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1. L’EXPLORATION DU CARACTÈRE HYBRIDE DE L’ÉTABLISSEMENT

1.2 L E PORTRAIT ACTUEL DE L ’INPLPP

1.2.6 Le personnel employé

Il faut prendre acte du fait que la majorité du personnel exerçant à l’INPLPP est lié au domaine clinique, contrairement au personnel œuvrant dans les prisons, qui relève plutôt de corps d’emploi connexes à la sécurité ou à des mandats liés à la réinsertion sociale des personnes contrevenantes263. Les postes

261 Directive du commissaire « Cote de sécurité et placement pénitentiaire », Service correctionnel du Canada, en ligne : < https://www.csc-scc.gc.ca/lois-et-reglements/705-7-cd-fra.shtml#annexeE>, consulté le 23 août 2019. 262 Rapport annuel de gestion 2018-2019 de l’INPLPP, préc., note 120.

263 À titre d’exemple, le site Internet du Ministère de la sécurité publique du Québec présente certaines possibilités de carrières dans le domaine carcéral : agent(e) des services correctionnels, agent(e) de probation et conseiller(ère) en milieu carcéral. Ces titres d’emplois font référence aux mandats auxquels sont rattachés des considérations de

sécurité, de promotion de la réinsertion sociale et d’évaluation, en ligne : <

présentement disponibles à l’INPLPP264, excluant les secteurs para-technique et des services auxiliaires, comportent des candidats à l’exercice de la profession d’infirmière, des éducateurs spécialisés (appelés « sociothérapeutes »), des infirmiers, des infirmiers cliniciens, des psychologues, des travailleurs sociaux, des commis surveillants d’unité, des secrétaires médicaux. Ces postes s’apparentent davantage à des emplois retrouvés en contexte hospitalier. On compte d’ailleurs rehausser les ressources infirmières et professionnelles265.

De fait, de nouveaux postes cliniques, tels des assistants du supérieur immédiat (dites « infirmières-chefs » dans le réseau de la santé), des ergothérapeutes et des kinésiologues, sont prévus, selon l’organisation des services projetée266. En plus d’y voir là la marque d’une volonté de rehausser la qualité des soins et services, on y voit une tendance à se calquer un peu plus sur un modèle hospitalier traditionnel. On y retrouve toutefois des postes d’intervenants spécialisés en pacification et en sécurité et des postes de gardes qui sont tous les deux responsables d’assurer la sécurité. Ces derniers titres d’emploi font plutôt référence à l’univers correctionnel. On constate donc une mixité des emplois reliés à la santé et à la sécurité.

De plus, des criminologues prennent part de façon importante à l’organisation des services de l’INPLPP. Cette profession évoque également une certaine singularité au sein du réseau de la santé et des services sociaux. En effet, on se demande quelle place peut prendre un criminologue dans un hôpital, puisque son appellation même fait référence au domaine criminel. De fait, l’une des activités principales que les criminologues peuvent exercer est d’« évaluer les facteurs criminogènes et le comportement délictueux de la personne ainsi que les effets d’un acte criminel sur la victime »267, activité particulièrement axée sur le crime et non la pathologie. Toutefois, certaines activités qu’ils sont autorisés à exercer se rapportent à l’univers du soignant, soit « évaluer une personne atteinte d’un trouble mental ou neuropsychologique attesté par un diagnostic ou par une évaluation effectuée par un professionnel habilité »268 ou à des éléments appartenant au réseau de la santé et des services sociaux, soit décider de l’utilisation des

264 Données obtenues sur le site Internet de l’INPLPP, en ligne :

http://www.pinel.qc.ca/JobList.aspx?NavID=124&CultureCode=fr-CA (consulté le 23 août 2019).

265 Trajectoire et programmation – Opérationnalisation de la planification stratégique de l’IPPM ; an 3, préc., note 175, p. 11.

266 Id., p. 43.

267 Décret 639-2915, Code des professions, RLRQ, c. C-26, Lettres patentes constituant l’Ordre professionnel des criminologues du Québec, art. 2, par. 1.

mesures de contention269 et d’isolement270 dans le cadre de l’application de la LSSSS. Cette référence à une activité précisément prévue par la loi qui régit le réseau de la santé et des services sociaux confirme le fait que l’on conçoive que la profession de criminologue ait un rôle à jouer au sein de celui-ci.

À l’INPLPP particulièrement, les criminologues sont appelés à assumer les fonctions suivantes : clarifier le statut juridique du patient et informer celui-ci et l’équipe, quant aux modalités de fonctionnement du système de justice, réaliser des évaluations criminologiques, des facteurs de risques de violence et de rechute, effectuer des interventions en lien avec la reconnaissance des facteurs de risques de violence et de la prévention de la rechute ou de la récidive et effectuer des démarches en lien avec la réinsertion sociale du patient271. Les liens entre le système de justice et l’INPLPP sont réaffirmés par le fait qu’une profession se concentre expressément sur ceux-ci. Le volet de l’évaluation du risque est également très présent dans l’accomplissement des fonctions de criminologue à l’INPLPP. Pour ainsi dire, ce titre d’emploi, bien qu’il apparaisse de prime abord corollaire à l’univers de la criminalité, participe à l’éventail de services offerts à la clientèle spécifique de l’INPLPP. Considérant la particularité qui singularise une majorité de la clientèle de l’INPLPP, soit un lien direct avec le système de justice criminelle, on peut y voir là une certaine cohérence à ce que des professionnels de la criminalité prennent part à l’offre de services présentée par l’établissement.

Les professionnels de la santé œuvrant à l’INPLPP axent leurs interventions sur l’évaluation du risque présenté par le patient. On peut, à nouveau, soulever la probable difficulté, qui réside dans l’instauration et la préservation de l’alliance thérapeutique entre le patient et les professionnels de la santé. En effet, ces derniers, en plus d’offrir soins et traitements au patient, mènent un exercice constant d’évaluation de son niveau de risque de violence envers autrui, qui découle en l’attribution d’un degré de sécurité avec lequel, on peut se l’imaginer, le patient peut être en désaccord. Les comportements du patient sont scrutés sans relâche dans le but de déceler les indices nécessaires à évaluer son risque de dangerosité. Cette surveillance incessante peut avoir un impact sur l’aisance du patient dans ses interactions avec les professionnels de la santé. Le patient peut être déstabilisé, puisqu’il est conscient du jugement qui est porté à l’ensemble de ses façons d’être. Ceci peut trouver écho dans n’importe quel hôpital psychiatrique,

269 Id., art. 2, par. 2, al. 4. 270 Id., art. 2, par. 2, al. 5.

271 Ces informations figurent sur le site Internet de l’INPLPP, en ligne :

mais davantage, à mon sens, dans le modèle proposé à l’INPLPP, qui met au cœur de son fonctionnement l’évaluation du risque dangereux.

Foucault parle de « discours qui non seulement s’organise autour du champ de la perversité, mais autour également du problème de danger social », de « discours qui aura pour fonction de détecter le danger et de s’opposer à lui », donc de « discours dont l’organisation épistémologique (qui est), tout entière commandée par la peur et la moralisation »272. De son côté, Bernheim réitère que « la prévention des comportements dérangeants, marginaux ou déviants est une activité de contrôle social, qui n’a plus rien à voir avec la fonction thérapeutique médicale, mais plutôt avec la constitution d’un discours expert »273. L’évaluation du risque criminel ou violent propre à l’individu, étant un élément central aux fonctions des professionnels de la santé exerçant à l’INPLPP, est fort probablement indispensable dans ce milieu de soins. Toutefois, il introduit une forme de contrôle et de surveillance continue des patients hospitalisés : contrôle et surveillance sont pourtant des concepts qui guident le travail carcéral274, bien qu’ils ne soient pas élaborés et soutenus par des visées thérapeutiques comme c’est le cas à l’INPLPP.

Cette forme de « glissement conceptuel (…) vers une politique de gestion du risque »275 n’est par ailleurs pas unique à l’INPLPP puisque l’histoire dans le domaine de la psychiatrie légale semble en avoir été teintée. De fait, au XIXe siècle, en France, alors qu’on vint établir le critère légal de la dangerosité imminente, pour permettre l’internement d’une personne, on a assisté à une évolution de la conception de cette dangerosité imminente, celle-ci ayant muté vers un risque éventuel qui menace la sécurité276. Cette transformation est actualisée, et s’actualise toujours, dans une optique louable de prévention, de manière à protéger tout un chacun, y compris le malade, contre cette folie qui conserve en elle un potentiel dangereux pouvant, à divers degrés, se matérialiser à tout moment, sans que l’on puisse savoir quand exactement.

272 Michel FOUCAULT, Les anormaux – Cours au collège de France 1974-1975, Paris, Édition numérique réalisée en août 2012 à partir de l’édition CD-ROM, Le Foucault Électronique (éd.2001), en ligne : <http://ekladata.com/a5J- kPD0FAZwSKkLJzNbvbFa1Jw/Foucault-Michel-Les-Anormaux-1974-1975-.pdf> (consulté le 6 juin 2019)

273 E. Bernheim, préc., note 139, p. 41.

274 M. FOUCAULT, préc., note 24, p. 182 : Michel Foucault, dans cet ouvrage, fait l’historique et l’analyse des systèmes punitifs, spécifiquement de la prison.

275 Id., p. 39. 276 Id., p. 38-39.