• Aucun résultat trouvé

La qualification juridique de la pratique

2. L’ANALYSE D’UNE PRATIQUE PROPRE À L’ÉTABLISSEMENT

2.2 L’ ÉVALUATION DE LA PRATIQUE

2.2.3 La qualification juridique de la pratique

Les éléments figurant au cadre de référence du MSSS340 découlent des orientations ministérielles341, lesquels doivent régir les pratiques des établissements de santé et de services sociaux342, en matière de mesures de contrôle. Ils mettent en évidence, de façon non équivoque, que le verrouillage automatique des portes de chambre des patients la nuit répond à la définition juridique d’un isolement, lequel constitue une mesure de contrôle au sens de l’article 118.1 LSSSS.

339 MSSS, Cadre de référence pour l’élaboration des protocoles d’application des mesures de contrôle, préc., note 331, p. 12-13.

340 Id.

341 MSSS, Orientations ministérielles relatives à l’utilisation exceptionnelle des mesures de contrôle : contention,

isolement et substances chimiques », préc., note 297.

En effet, le fait d’être captif dans sa chambre, de 23h00 à 8h00 le lendemain, correspond, de toute évidence, au confinement d’une personne dans un lieu, pour un temps déterminé, d’où elle ne peut sortir librement343. On utilise un dispositif, soit la porte verrouillée, afin d’empêcher les patients de circuler librement dans l’unité la nuit. Le cadre de référence commandant de s’interroger sur le but visé par une intervention, afin de déterminer s’il s’agit ou non d’une mesure de contrôle, il importe de se référer aux objectifs prévus à la directive sur l’ouverture et la fermeture des portes de chambre des patients de l’INPLPP344. Ceux-ci sont liés à la gestion des risques. Quant aux objectifs énoncés par le sous-ministre du MSSS dans sa lettre adressée au Protecteur du citoyen, ils se rabattent, pour leur part, sur des motifs de sécurité.

On ne se situe donc pas, en l’occurrence, dans un contexte où ce dispositif est utilisé à la demande des patients, comme prévu par le cadre de référence, lorsqu’il s’agit d’écarter une pratique de la définition d’une mesure de contrôle. En effet, dans le cas de la pratique qui a cours à l’INPLPP, il s’agit d’une mesure imposée, sans aucune autre considération. Les patients ne sont pas en mesure de sortir par eux-mêmes de leur chambre quand ils le désirent. L’enjeu sécuritaire est seul derrière le justificatif du recours au verrouillage des portes la nuit, aucune considération thérapeutique ou visée d’assistance n’y figurant. À titre de comparaison, il est intéressant d’observer le raisonnement articulé dans un jugement de la Cour du Québec qui impliquait l’encadrement auquel était soumise une adolescente dans un établissement de santé et de services sociaux, soit un centre jeunesse. Cet encadrement prévoyait que l’adolescente était quotidiennement contrainte à sa chambre de 21h45 à 7h30. Le juge a considéré qu’il s’agissait là d’un isolement :

« Cela dit, le Tribunal assimile l'encadrement intensif, tel qu'explicité par le témoin, à une mesure de contention et d'isolement.

Il s'agit d'une mesure qui empêche la liberté de circulation à l'intérieur du centre de réadaptation et de l'unité. La chambre devient une cellule. Donc, la seule différence entre la chambre et la cellule est le nom qu'on lui donne. L'effet est le même, tant psychologiquement que physiquement.

343 MSSS, Cadre de référence pour l’élaboration des protocoles d’application des mesures de contrôle, préc., note 331. 344 Directive « Ouverture et fermeture des portes de chambre des patients » de l’INPLPP, préc., note 300.

Si l'isolement dans une cellule n'est pas permis, le Tribunal ne peut envisager comment l'isolement dans une pièce que l'on appelle « chambre » peut être acceptable »345.

Conséquemment, il ne fait pas de doute que la pratique en vigueur à l’INPLPP devrait être déclarée et gérée à titre de mesure de contrôle par l’établissement. Tel n’est pas le cas, puisqu’il s’agit d’une pratique appliquée de manière programmée et systématique, sans aucune évaluation clinique du risque de lésion que représente le patient individuellement et sans déclaration du recours à celle-ci à titre de mesure de contrôle. Les critères légaux requis en matière de mesure de contrôle en établissement de santé et de services sociaux sont ainsi escamotés.

Il est intéressant de constater que, à la suite d’une intervention menée à l’INPLPP par le Protecteur du citoyen, de sa propre initiative, dans le cadre de laquelle la question du verrouillage de la porte des chambres des patients la nuit a été spécifiquement examinée, celui-ci conclut que cette pratique ne respecte pas le cadre légal, en vigueur ni les orientations ministérielles en la matière346. Le Protecteur du citoyen souligne que « [b]ien que certains patients aient un statut de détention, il n’en demeure pas moins que la LSSSS et les orientations ministérielles s’appliquent en matière de mesure de contrôle à l’Institut, toutes clientèles confondues, puisqu’il s’agit d’un établissement de santé et de services sociaux »347. Par conséquent, une recommandation adressée au MSSS et à l’INPLPP a été émise, soit celle « [d’]analyser conjointement, dans quelles situations la pratique de verrouiller la nuit les portes des chambres des patients de l’Institut est permise et à quelles conditions, par la suite, de s’assurer de cesser toute pratique qui ne serait pas conforme »348.

La réponse déconcertante du MSSS à cette recommandation du Protecteur du citoyen fut justement la lettre du 16 novembre 2016 voulant que cette pratique soit justifiée, compte tenu des caractéristiques de la clientèle accueillie à l’INPLPP. Le MSSS, dans cette réponse, a fait fi du cadre légal s’appliquant aux établissements de santé et de services sociaux, comme si la production d’une telle lettre de réponse constituait un mécanisme permettant d’outrepasser la loi.

345 Dans la situation de V.D. (26 juillet 2002), Val d’Or 615-41-000500-016, B.E. 2002BE-792 (C.Q.), par. 26 à 28. 346 Protecteur du citoyen, « Intervention à l’Institut Philippe-Pinel de Montréal – Verrouillage de la porte des chambres des usagers la nuit », préc., note 303.

347 Id., p. 4. 348 Id.