entier se dissout et périt ». Le mauvais livre « flétrit et tue tout ce qu’il
touche », conclut-il
50; il infeste les familles, ajoute l’évêque de Gand
51.
45 Aloïs Simon, Lettres de Pecci, 1843-1846, Bruxelles, Rome, Institut historique belge de Rome, 1959, pp. 43 à 45.
46 Cité dans Abbé Godineau, Quelques pensées pour les jeunes gens,Angers, Librairie de Briand et Hervé, Paris, Librairie de Ch. Blériot, 1872, p. 222.
47 « Lettre pastorale de Mgr l’évêque de Montréal », 4 décembre 1841, dans
Mandements, lettres pastorales, circulaires et autres documents publiés dans le diocèse de Montréal …, op. cit.,pp. 135 à 142.
48Instruction pastorale sur le danger des mauvaises lectures, et mandement de Mgr l’évêque de Moulins pour le saint temps de carême 1864, op. cit., p. 29.
49 « Mandement pour le carême de 1843 », dans Mgr Louis-Joseph Delebecque,
Recueil des mandements, op. cit.,p. 197.
50 « Mandement pour le saint-temps de carême contre la propagande protestante », dans Œuvres pastorales de Monseigneur Jacques-Marie-Antoine-Célestin Du Pont, Bourges, P.-A. Manceron, 1845, tome 2, pp. 13 et 14.
La dangerosité du roman réside surtout dans l’influence qu’il exerce
sur ses lecteurs : c’est une « école d’immoralité »
52. Comment « lire des
livres qui outragent la pudeur, qui sont un long tissu de récits scandaleux,
d’intrigues criminelles, d’images lascives » et garder l’imagination « pur[e]
de toute pensée mauvaise », s’interrogent les évêques belges
53. Les exemples
ne manquent pas, d’ailleurs, pour dissuader l’auditoire. Dans son mandement
de carême pour 1845, Mgr Clausel de Montals introduit pour frapper les
imaginations le portrait d’un jeune homme perdu par un roman :
Un air inquiet, farouche, hautain a remplacé la modestie et la douceur de ses manières ; sans égards pour ses proches, sans complaisance pour ses amis, fâcheux à tout ce qui l’environne, il est plongé lui-même dans de sombres horreurs et dans une agitation continuelle. Qu’est-il donc arrivé ? [ …]. Il a ouvert, en effet, il a lu ce livre funeste, et dès ce moment, vertu, candeur, calme du cœur et de la conscience, grâces extérieures, bonheur, espérance même, il a tout perdu54
.
Précipité, comme l’écrivent les évêques belges, « dans le gouffre du
désordre »
55, le lecteur se renferme. Il change ses habitudes et lit la nuit
56;
« le roman ne le quitte plus, le plaisir de se repaître de ces chimères est
devenu, avec la parure et les parties de plaisir, son unique occupation
sérieuse »
57. Le poison touche « le cœur », qu’il captive, amollit, énerve
58. Il
sort de l’innocence
59. Il crée une accoutumance, une « impatiente avidité »
qui explique la nécessaire création du feuilleton, découpé en livraisons
quotidiennes
60. Enfin, il transforme : l’évêque de Carcassonne constate que
des « jeunes gens, auparavant chastes et modestes, soumis et laborieux, ont
offert le triste spectacle d’une licence complète et d’un affreux
libertinage »
61. Le sensualisme, comme l’écrit l’abbé Combalot, « domine
surtout dans la littérature », fabriquant ainsi « des vieillards de vingt ans,
sortis des clapiers de la débauche »
62. Cette accentuation de la puissance des
51 « Mandement pour le carême de 1844 », dans Mgr Louis-Joseph Delebecque,
Recueil des mandements, op. cit.,p. 296.
52 « Instruction pastorale sur les mauvais livres … », op. cit.
53Ibidem.
54 Mandement pour le carême de 1845 et instruction pastorale sur les ravages produits par les mauvais livres, op. cit., pp. 6 et 7.
55 « Instruction pastorale sur les mauvais livres … », op. cit.
56 « Sermon sur les mauvais livres prêché le quatrième dimanche de l’Avent, 1822 »,
op. cit., p. 141.
57 « Instruction pastorale sur les mauvais livres … », op. cit.
58Mandement pour le carême de 1836, op. cit., p. 2.
59Mandement de Mgr l’évêque de Carcassonne pour le carême de 1838, op. cit., p. 7.
60Revue des bibliothèques paroissiales …, op. cit.,p. 3.
61Mandement de Mgr l’évêque de Carcassonne pour le carême de 1838, op. cit., p. 7.
62 « Le Sensualisme », dans Mgr Ricard, Les Chefs-d’œuvres oratoires de l’abbé Combalot publiés d’après les manuscrits,Paris, Lyon, Delhommme et Briguet, 1894, pp. 186 à 215.
30
livres est aussi un moyen de dédouaner leurs lecteurs. Ils ne peuvent être
entièrement responsables, puisque, dans les livres, « le désordre [ …] est
travesti sous des dehors empruntés »
63. La fiction est trompeuse, face à elle,
le lecteur est désarmé :
Comment la masse des lecteurs, qui se compose toujours de personnes peu instruites dans la religion, démêlera-t-elle les sophismes de l’impiété adroitement délayés dans une intrigue, dans une aventure romanesque, dans un dialogue ou dans une correspondance, et présenté avec l’assaisonnement obligé du sarcasme, du persiflage, parfois même d’un zèle hypocrite pour la religion64
?
Le peuple a l’esprit trop frustre, il n’a pas « le sens assez droit, le tact
assez fin, pour trouver le secret de se dégoûter d’un mauvais livre par l’excès
du mal qu’il recèle », selon l’épiscopat belge
65. Mais c’est aussi ce manque
de subtilité qui lui rend le « mauvais » roman si séduisant :
[Le] vin des opinions modérées, des sentiments délicats, des fictions décentes est trop fin pour lui, sa rude nature demande des saveurs plus fortes. Frustré de la liqueur sagement enivrante sortie de notre vigne précieuse, inventée par notre divin Noé, servie des mains maternelles de l’Église, vos compositions tempérées ne lui suffisent plus. Détourné de la table de Jésus-Christ, c’est à la table des démons qu’il veut s’asseoir [ …]66
.
Le roman, jugé à l’aune des textes saints, est présenté comme une
production de basse qualité, bafouant « les règles du goût ». « Il faut à la
frivolité et à l’esprit gâté de notre siècle, non plus des livres qui instruisent,
mais des brochures qui amusent », observe l’archevêque d’Avignon en
1849
67.
Le constat de l’extrême dangerosité du roman nécessite d’urgence des
mesures prophylactiques, qu’esquissent déjà ces instructions à visées
essentiellement proscriptives. Mgr Baillès, évêque de Luçon, établit ainsi en
1852 un règlement à l’usage des lecteurs de son diocèse. Il conseille
d’apprendre « la nomenclature des auteurs et des ouvrages qui ont été mis à
l’Index » et engage à faire viser par un ecclésiastique la liste des ouvrages
détenus dans les bibliothèques personnelles. Il prévient que l’absolution sera
refusée, « même au temps pascal, à ceux qui tiennent des cabinets de
lecture » renfermant de « mauvais » livres
68. À Aoste, c’est en 1852 sous
63Mandement pour le carême de 1836, op. cit., p. 2.
64 « Instruction pastorale sur les mauvais livres … », op. cit.
65Ibidem.
66Instruction pastorale sur le danger des mauvaises lectures, et mandement de Mgr l’évêque de Moulins pour le saint temps de carême 1864, op. cit., pp. 6 et 7.
67Revue des bibliothèques paroissiales …, op. cit., p. 3.
68Instruction pastorale de Mgr l’évêque de Luçon sur l’Index des livres prohibés,