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PERFORMANCES SOCIALES DE L’AB

Dans le document Vers des agricultures à hautes performances (Page 132-200)

PARTIE I REVUE DE LITTÉRATURE ET AVIS

CHAPITRE 6 PERFORMANCES SOCIALES DE L’AB

PERFORMANCES SOCIALES DE L’AB

CHAPITRE 6 Performances sociales de l’AB ... 131

A - L’emploi en AB ... 132 B - Le travail en AB ... 138 C - La confiance des consommateurs vis-à-vis des produits alimentaires issus de l’AB ... 143 D - Contribution de l’AB au développement local ... 151 E - Santé et bien-être des animaux ... 156 F - Références bibliographiques ... 158

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CHAPITRE 6

Performances sociales de l’AB

Auteurs : Guillaume Ollivier, Hervé Guyomard 43

La dimension sociale de l’AB est clairement identifiée dans les principes de l’IFOAM et dans les règlements européens relatifs à l’AB. Pour l’IFOAM, l’AB s’appuie sur les principes de santé (améliorer la santé des sols, des plantes, des animaux, des hommes et de la planète), d’écologie, d’équité et de précaution. En particulier, le principe d’équité prévoit « que ceux qui sont engagés dans l’AB devraient entretenir et cultiver les relations humaines d’une manière qui assure l’équité à tous les niveaux et pour tous les acteurs - producteurs, salariés agricoles, préparateurs, transformateurs, distributeurs, commerçants et consommateurs. L’AB devrait fournir une bonne qualité de vie à chaque personne engagée et contribuer à la souveraineté alimentaire et à la réduction de la pauvreté.» (IFOAM, 2005). Néanmoins, même si la question est en débat au sein des mouvements « bio », au-delà de ces principes généraux, il n’existe pas de normalisation poussée du volet social dans les cahiers des charges existants44 qui renvoient le plus souvent au droit commun appliqué à l’agriculture dans son ensemble (Dupré, 2011).

Même si des travaux de sciences sociales se sont intéressés dès les années 1970 aux agriculteurs « biologiques », à leurs motivations, leurs valeurs, leurs rapports au processus de modernisation agricole alors à l’œuvre, leurs logiques d’exploitation (Barrès et al., 1985 ; Lamine et Bellon, 2009a), la littérature de sciences sociales s’intéressant à l’AB ne se développe au niveau international en tant que champ d’étude fortement structuré qu’à partir du milieu des années 1990 (Ollivier et al., 2011). Cette littérature s’intéresse surtout aux dynamiques institutionnelles et individuelles (conversion et/ou adoption de l’AB) et aux déterminants de la consommation de produits issus de l’AB, mais assez peu à la mesure des performances sociales de l’AB en tant que telles. Des cadres conceptuels ont été proposés pour traiter de la dimension sociale de la durabilité (Ballet et al., 2004) ainsi que quelques méthodes d’évaluation de cette dimension de la durabilité, par exemple le « Social Impact Assessment » utilisé par Zanoli et al. (2007) ou le travail exploratoire sur les références sociales de l’AB du projet RefAB (2011)45. Néanmoins, toutes ces initiatives soulignent le besoin de recherches complémentaires et de développement d’indicateurs pour mieux appréhender la dimension sociale de la durabilité agricole. De nombreux auteurs affirment ainsi que cette dimension sociale reste un angle mort de l’analyse de la durabilité en général (Allen et Sachs, 1993 ; Ballet et al., 2004 ; Boström, 2012), de l’ AB de façon plus spécifique.

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Remerciements : A. Alaphilippe, M.-J. Amiot-Carlin, F. Barataud, S. Bellon, M. Benoit, M. Bertrand, A. Cardona, J.-P. Choisis, B. Colomb, c. Cresson, N. Daspres, M. Deconchat, C. Experthon, J.-C. Fardeau, J.L. Fiorelli, D. Forget, L. Fourrié, B. Gabriel, P. Garnon, K. Germain, J.F. Garnier, L. Guichard, C. Lamine, A. Mérot, C. Napoléone, M. Navarrete, S. Penvern, T. Nesme, F. Prezman-Pietri, A. Prunier, B. Rolland, J.P. Sarthou, N. Sautereau, I. Savini, M. Tchamitchian, N. Urruty, M. Vallaud, P. Veysset

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A l’exception de la question du bien-être animal qui relève pour partie de la normalisation technique classiquement incluseinclue dans les cahiers des charges de l’AB au travers d’obligations sur les conditions de vie des animaux : accès au plein air, pas d’attache, faible chargement à l’hectare, pas de mutilations corporelles, conditions de durées de vie des animaux et de transport, etc.

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Projet se référant à l’approche « Analyse Sociale du Cycle de Vie des produits » en cours d’élaboration depuis 2009 au sein du Programme des Nations-Unies pour l’Environnement (PNUE).

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Une autre difficulté du travail de comparaison des performances sociales de l’AB versus de l’AC est liée au fait que ces deux types d’agricultures ne sont pas des objets figés et homogènes ; c’est tout particulièrement vrai pour l’AB suite à son fort développement sur la dernière décennie. Des travaux réalisés en Californie ont montré que les performances sociales de l’AB ont évolué du fait de son mode de développement à la fin des années 1990 que d’aucuns appellent « conventionnalisation » de l’AB (Buck et al., 1997 ; Guthman, 2000, 2004 ; etc.)46. Ces auteurs décrivent un développement de l’AB correspondant à un alignement sur les pratiques conventionnelles : agrandissement des structures, spécialisation des productions, mécanisation, intégration verticale, marketing de masse, allongement des chaînes de commercialisation, globalisation des échanges, etc. Cette conventionnalisation de l’AB est liée à un changement d’échelle et à l’implication croissante d’acteurs en quelque sorte extérieurs à l’AB, acteurs qui vont structurer filières et marchés (industrie agro-alimentaire, grande distribution, etc.) et influencer les standards, les dynamiques intersectorielles et les pratiques agronomiques et zootechniques (Guthman, 2004 ; Gibbon, 2012). Ces travaux ont donné lieu à une littérature qui identifie, dans différentes situations, les effets du développement de l’AB sur ses performances47 en évaluant l’écart entre les pratiques et les principes fondateurs de l’AB (Darnhofer et al., 2010), de la durabilité (Goldberger, 2011) ou encore de l’agro-écologie (Guthman, 2000).

Tout en gardant à l’esprit le caractère hétérogène et dynamique de l’AB, il est néanmoins possible d’analyser ses performances sociales à travers cinq grandes catégories de performances, à savoir (i) la contribution de l’AB à l’emploi, (ii) la qualité de vie des producteurs agricoles en AB, (iii) la confiance des consommateurs à l’égard des produits issus de l’AB, (iv) la contribution de l’AB au développement local/territorial, et (v) la santé et le bien-être des animaux.48 Ces cinq catégories de performances sociales sont présentées successivement.

A - L’emploi en AB

A1 - Plus d’emplois agricoles en AB qu’en AC

Même si les études restent relativement peu nombreuses, elles montrent, dans leur très grande majorité, que l’AB contribue davantage à l’emploi que l’AC, que cette contribution soit rapportée aux exploitations ou aux surfaces. S’il est globalement admis, le surcroît d’emploi est toutefois variable selon les études considérées (cf. Tableau 1).

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Selon les auteurs et les questions abordées, ce concept de conventionnalisation recouvre des processus de différentes natures. Il peut s’agir : (i) de l’évolution des motivations de la conversion à l’AB ou de l’installation en AB, parmi lesquelles l’opportunité d’une meilleure performance économique joue un rôle croissant ; (ii) d’une normalisation des pratiques agronomiques en AB qui en réduit la portée écologique, normalisation pour partie au moins attribuée à la réduction des principes qu’opère la certification (Darnhofer et al., 2010) mais qui est aussi une condition qui permet le développement rapide des marchés des produits issus de l’AB (Sylvander, 1997) ; normalisation également attribuée à la dynamique des systèmes de connaissances (Stassart et Jamar, 2009) ; (iii) du développement des circuits marchands pour les produits de l’AB au sein des filières conventionnelles ; ainsi que (iv) d’une diversification des acheteurs et des lieux d’achat des produits alimentaires issus de l’AB (Allaire et al., 2013).

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Dans ces travaux, une performance est définie et appréciée par l’écart entre un objectif à atteindre et un état

effectivement atteint. L’objectif à atteindre est de nature variable et renvoie à différents systèmes de valeurs (principes de l’AB, du développement durable, etc.) ou de normes (réglementaires, sociales, etc.).

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Dans ce rapport, la santé et le bien-être des animaux sont analysés comme une performance sociale, tout en reconnaissant l’imperfection de ce classement.

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Tableau 1 : L’emploi (agricole) dans les exploitations en AB, en France et à l’étranger,

selon différentes études

A une exception (étude de la Commission européenne de 2010), tous les travaux convergent et concluent à une contribution positive à l’emploi agricole de l’AB relativement à l’AC, aussi bien par exploitation que par hectare. La synthèse de quelque 140 études centrées sur l’Europe réalisée par Offermann et Nieberg (2000) conclut à une création d’emploi agricole (ETP) par hectare comprise entre + 10 et + 20 % ; d’autres travaux avancent des créations d’emploi agricole toujours exprimées en ETP par hectare nettement plus élevées, jusqu’à + 135 % pour Morison et al. (2005) dans le cas du Royaume-Uni et de l’Irlande. Au-delà des divergences sur les ordres de grandeur, on retiendra que l’AB est plus intensive en travail agricole que l’AC. L’étude de la Commission européenne fait exception dans la mesure où elle conclut à une plus grande intensité en travail de l’AC. Au-delà des problèmes méthodologiques que pose cette étude (le rapport de la Commission européenne (2010) précise que les données utilisées, celles du Farm Structure Survey, ne sont pas stratifiées selon le critère AB versus non-AB ; par suite « la représentativité des données biologiques n’est pas garantie»), une explication additionnelle de ce résultat divergent relativement à la totalité des autres études est celle d’un biais d’agrégation lié à des importances relatives différentes des productions en AB et en AC ; si les spéculations plus intensives en travail sont proportionnellement plus importantes en AC relativement à l’AB, toutes choses égales par ailleurs, l’agrégation sur toutes les spéculations peut laisser croire que l’AC est plus intensive en travail alors que ce n’est pas vérifié pour chaque spéculation considérée isolément.

Les travaux de Mahé et Lerbourg (2012a) basés sur les chiffres du Recensement Agricole (RA) de 2010 indiquent une création d’emploi en AB de + 60 % relativement à l’AC, que cette création soit rapportée aux exploitations ou aux hectares : par exploitation, l’AB emploierait en moyenne 2,4 UTA et l’AC seulement 1,5

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ETP : Equivalent Temps Plein sur l’exploitation ; ha : hectares ; EA : Exploitation Agricole ; UTA : Unité de Travail Agricole. 50

Ratios calculés en rapportant la valeur de l’indicateur en AB à la valeur du même indicateur en AC.

Référence Région Production Nombre d’observations Années d’observation Emploi à l’échelle de l’exploitation49 comparaison AB/AC50 Vérot, 1998 France (Pays de Loire & Bretagne) Toutes 347 1995-1997 ETP/ha + 33 % Chambru, 2011 France (PACA) Toutes 824 2002-2009 Nombre moyen annuel de salariés ETP/EA AB : 10,6 ; AC : 8,4 ; AB/AC : + 26 % AB : 3,6 ; AC : 2,7 : AB/AC : + 33 % Mahé et Lerbourg, 2012a France (RGA 2010) Toutes toutes 2010 UTA/100 ha UTA/EA AB : 4,5 ; AC : 2,8 : AB/AC : + 60 % AB : 2,4 ; AC : 1,5 : AB/AC : + 60 % Offermann et

Nieberg, 2000 Europe Toutes

synthèse de 40 études 1990-1997 ETP/100 ha Entre +10 à 20 % en moyenne Morison et al., 2005 Royaume-Uni

& Irlande Toutes 1 144 2003

ETP/100 ha ETP/EA + 14 % + 135 % Lobley et al., 2005 Angleterre Toutes 302 2004 ETP/100 ha ETP/EA + 64% + 39% Green et

Maynard, 2006 Angleterre Toutes 1 031 2002

ETP/100 ha ETP/EA

+ 47 % + 31 %

Cisilino et

Madau, 2007 Italie Toutes 799 2003 ETP/EA + 11 % Lobley et al.,

2009 Angleterre Toutes 684 2003 ETP/100 ha + 94% European

Commission, 2010

UE Toutes - 2007 ETP/100 ha AB : 4 ; AC : 4,6 : AB/AC : - 14 %

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UTA ; pour 100 hectares, l’AB emploierait en moyenne 4,5 UTA et l’AC seulement 2,8 UTA. Des travaux d’enquêtes confirment que l’AB est plus intensive en travail agricole que l’AC et est créatrice d’emploi agricole. Ainsi, Petitgenêt (2010) montre que 50 % des arboriculteurs provençaux en phase de conversion vers l’AB embauchent à cette occasion entre 1 et 4 travailleurs salariés permanents (possiblement, pour partie du moins, en remplacement de travailleurs salariés saisonniers que le passage à l’AB permet de garder sur toute l’année)51. Egalement en région PACA, Chambru (2011) examine les impacts de la conversion à l’AB sur l’emploi agricole (analyse de 124 994 contrats de travail entre 2002 et 2009) ; il compare des exploitations en AB à des exploitations similaires en AC (appariement sur la base de caractéristiques telles que l’âge de l’exploitant, la surface de l’exploitation ou encore les catégories de produits) ; les conclusions de ce travail sont claires : accroissement du nombre d’ETP par exploitation agricole de 92 % et emploi additionnel de 2,06 salariés par exploitation, l’écart entre les deux chiffres suggérant qu’une partie importante de l’emploi généré est temporaire/saisonnier.

A2 - Des créations d’emploi agricole en AB variables selon

les productions

Deux facteurs principaux expliquent la plus grande intensité en travail de l’AB relativement à l’AC : la substitution des intrants chimiques par le travail et le développement plus important en AB des activités de transformation et de commercialisation des produits agricoles au sein des exploitations (Offermann et Nieberg, 2000). Par ailleurs, les productions les plus intensives en travail, notamment les fruits et légumes, sont « surreprésentées » en AB (Offermann et Nieberg, 2000 ; Mahé et Lerbourg, 2012a). MacRae et al. (2007) ajoutent que les producteurs agricoles en AB ont souvent une expérience limitée en termes d’utilisation des méthodes alternatives à la chimie ; leur productivité du travail est donc plus faible et elle est compensée en augmentant le volume de travail.

Les choix productifs des exploitations agricoles en AB ont des impacts différenciés sur les créations d’emploi ; c’est vrai à l’échelle internationale (Offermann et Nieberg, 2000 ; Morison et al., 2005 ; MacRae et al., 2007 ; Lobley et al., 2009) ; c’est également vrai à l’échelle de l’hexagone comme le montrent les statistiques du RA 2010 illustrés par la Figure 1 (Mahé et Lerbourg, 2012a ; Agence Bio, 2012c).

Figure 1 : Unités de Travail Annuel (UTA) moyennes des exploitations en AC versus en AB dans différentes

orientations technico-économiques (OTEX) ; chiffres 2010 ; Source : Agence Bio (2012c)

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La Figure 1 montre que c’est en viticulture que l’écart d’emploi entre l’AB et l’AC est le plus important, en faveur de l’AB (3,5 UTA par exploitation en AB versus 1,8 en AC) ; ceci s’explique par le surcroît de travail engendré du fait du remplacement des intrants chimiques par des pratiques de fertilisation et de protection des cultures exigeantes en travail (entretien du sol, désherbage manuel et/ou mécanique, etc.) ; en outre, la vinification est souvent réalisée sur les exploitations et la taille de ces dernières est en moyenne plus élevée en AB (13 hectares) qu’en AC (9 hectares). Puis viennent les exploitations spécialisées dans les cultures fruitières et autres cultures permanentes (2,9 UTA par exploitation en AB versus 1,8 UTA en AC) pour, de façon générale, les même raisons qu’en viticulture. Par contraste, dans les exploitations spécialisées en maraîchage et en horticulture, exploitations généralement intensives en travail, l’emploi apparaît légèrement plus faible en AB (3,5 UTA par exploitation) qu’en AC (3,7 UTA par exploitation) ; cet ordre n’est pas celui observé dans d’autres pays européens (Offermann et Nieberg, 2000).

Dans les exploitations de grandes cultures, le différentiel d’emploi est favorable à l’AB (+ 0,5 UTA par exploitation), l’interdiction des engrais de synthèse et des pesticides de synthèse en AB néces sitant l’emploi de techniques de fertilisation et de protection des cultures plus intensives en travail (Nettier et al., 2012). Les situations sont contrastées dans les élevages en fonction des types d’animaux : le différentiel en faveur de l’AB est égal à 0,7 UTA par exploitation en élevage ovin et caprin ; il est toujours favorable à l’AB mais moindre dans les élevages de bovins viande (+ 0,2 UTA) et de bovins lait (+ 0,2 UTA) ; il est défavorable à l’AB dans les élevages de monogastriques (- 0,1 UTA) ; la baisse du chargement animal qui accompagne très souvent la conversion à l’AB a pour effet de diminuer le besoin additionnel de main d’œuvre lors du passage à l’AB (Offermann et Nieberg, 2000).

A3 - Des impacts sur la structure de l’emploi dans les exploitations

agricoles en AB

Au-delà du nombre d’emplois générés et de leur variabilité en fonction des productions, examinons maintenant la structure des emplois générés par l’AB (emploi familial et/ou salarié, permanent et/ou saisonnier) et le temps de travail en AB.

A3.1 - Davantage d’emplois salariés (permanents et temporaires) en AB

De façon générale, on retiendra des différentes études centrées sur les Etats -Unis et les pays européens que l’AB génère plus d’emplois agricoles, principalement des emplois non familiaux (Neely et Escalante, 2006 ; Lobley et al., 2009) et en particulier des emplois non familiaux saisonniers (Latacz-Lohmann et Renwick, 2002 ; Lohr et Park, 2009). En France, les exploitations agricoles en AB génèrent davantage de travail familial, de travail salarié permanent et de travail salarié saisonnier que leurs consœurs en AC : en 2009/10, les trois différentiels sont en moyenne de + 0,3 UTA, + 0,3 UTA et + 0,2 UTA en faveur de l’AB relativement à l’AC (cf. Figure 2) ; par suite, alors que la structure de l’emploi dans les exploitations agricoles en AC est pour plus des deux tiers d’origine familiale, celle de l’emploi dans les exploitations agricoles en AB apparaît plus « équilibrée », 56 % sous forme d’emploi familial et 44 % sous forme d’emploi salarié (cf. Figure 2). Ce « rééquilibrage » peut s’expliquer, au moins pour partie, par la surreprésentation des exploitations de fruits et légumes en AB relativement à l’AC (Lerbourg et Mahé, 2012a) : ces productions sont fortement saisonnières et intensives en travail, en AB comme en AC, plus intensives en travail en AB qu’en AC (cf. Figure 1).

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Figure 2 : Structure du travail dans les exploitations agricoles en AB versus en AC,

en UTA par exploitation et en % de l’emploi par exploitation ; chiffres 2010 ; Source : Agence Bio (2012c)

A3.2 - Un recours accru au temps partiel en AB

L’AB a davantage recours au temps partiel que l’AC ; c’est vrai en France comme dans les pays étrangers. En Angleterre, en 2007, les temps pleins représentatient ainsi 44 % des emplois agricoles en AB versus 56 % en AC ; les pourcentages de temps partiels au sens strict étaient pratiquement égaux en AB (21 %) et en AC (22 %) alors que l’intérim était nettement plus fréquent en AB qu’en AC, respectivement 35 et 23 % (Lobley et al., 2009). Au-delà de la distinctioin temps plein versus temps partiel, il convient également de tenir compte du nombre d’heures travaillées dès lors qu’il ne s’agit plus d’un travail à temps plein. Une telle analyse a été réalisée en France sur la base des données du Recencensement Agricole de 2000 (Sébille, 2011), analyse qui montre que le pourcentage de salariés à temps partiel qui travaillent plus de la moitié du temps est plus élevé en AB qu’en AC ; situation a priori avantageuse que Sébille (2011) nuance cependant en notant que lesdits salariés à temps partiel / en intérim en AB peuvent de ce fait plus difficillement concilier plusieurs emplois à temps partiel. Sébille note également que l’emploi permanent est mieux qualifié en AB qu’en AC : les cadres, contremaîtres et agents de maîtrise représentaient ainsi 6,5 % de l’emploi permanent en AB versus 5,21 % en AC, les techniciens 6,38 % de l’emploi permanent en AB versus 4,91 % en AC, et les ouvriers agricoles 87,1 % de l’emploi permanent en AB versus 89,8 % en AC.

A4 - Des scénarios prospectifs de développement de l’AB

et des emplois induits

Plusieurs études ont cherché à quantifier les emplois générés par un développement de l’AB, à l’étranger ou en France, selon une démarche prospective.

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C’est le cas, par exemple, de Morison et al. (2005) qui estiment qu’un accroissement de 20 % du nombre d’exploitations agricoles en AB pourrait créer jusqu’à 73 200 équivalents temps plein au Royaume-Uni et 9 200 équivalents temps plein en Irlande. Le scénario utilisé est néanmoins très simple (maintien des importances relatives actuelles des différentes orientations productives en AB). En outre, Morison et al. (2005) font l’hypothèse d’une croissance linéaire de l’emploi généré par le développement de l’AB alors que tel ne sera vraisemblablement pas le cas ; l’effet sera moins que proportionnel. Ainsi, Offermann et Nieberg (2000) considèrent qu’un développement substantiel de l’AB aurait pour effet de réduire l’effet multiplicateur en termes d’emplois générés du fait d’un impact négatif sur les industries en amont et en aval des exploitations agricoles (industries des engrais de synthèse, des pesticides de synthèse, de la transformation). Ces deux auteurs notent ainsi que « si les entreprises de ces secteurs [en amont et en aval des exploitations agricoles] sont incapables de s’ajuster à cette [nouvelle] situation, les redondances apparaitront et amèneront à des pertes d’emploi ».

Par ailleurs, plusieurs travaux rapportent que l’effet positif sur l’emploi aurait tendance à diminuer avec le temps, au niveau des exploitations agricoles en AB comme des filières de transformation et distribution. Cet effet positif se ferait certes ressentir jusqu’à plusieurs années après la conversion mais il diminuerait avec l’expérience, au fur et à mesure que les compétences techniques, commerciales et organisationnelles sont acquises et maîtrisées (Jansen, 2000 ; Offermann et Nieberg, 2000 ; Neely et Escalante, 2006 ; MacRae et al., 2007 ; Petitgenêt, 2010 ; etc.). Citons ici Cisilino et Madau (2007) qui montrent que le différentiel d’emploi en AB relativement à l’AC se réduit avec le temps, plus précisément suite au développement de l’AB aux stades de la production, de la transformation et de la commercialisation grâce aux partages d’expériences au sein des collectifs d’agriculteurs en AB et dans les institutions d’accompagnement. La recherche et la recherche-développement contribuent aussi à réduire le différentiel d’emploi favorable à l’AB au cours du temps. Citons également Offermann et Nieberg (2000) qui montrent que l’impact positif de l’AB sur l’emploi est moindre dans les pays où l’AB est bien développée (Autriche, Finlande, Italie). Ces deux auteurs montrent aussi qu’en Allemagne et en Suisse, le développement de l’AB depuis 1990 s’est accompagné d’une moindre contribution à l’emploi, dégressivité qui s’explique par une meilleure efficacité (meilleure productivité du travail), un agrandissement des tailles des exploitations en AB et des choix productifs sur des spéculations moins

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