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Quels sont les modèles logiques mis en œuvre, dans les deux esthétiques, pour subdiviser la peinture ?

A- Le genre « peinture ».

Kant divise les arts figuratifs en plusieurs sous-espèces. La plastique est « la première espèce des arts figuratifs ». Elle comprend la sculpture et l’architecture. La peinture en est

« la seconde espèce »1. Kant justifie l’inscription de la peinture, dans les arts figuratifs définis par le geste dans une langue, en suggérant que « l’esprit de l’artiste, à travers ces figures, donne une expression physique à ce qu’il a pensé et de la façon dont il l’a pensé, qu’il fait parler la chose elle-même, pour ainsi dire par une mimique »2. La peinture se présente comme l’apparence sensible artistiquement liée avec des Idées. De la même façon Hegel établit le caractère général, comme la déterminité particulière de la peinture, dans un constant parallèle avec la sculpture et dans une moindre mesure avec l’architecture3. L’unité du genre pictural est donnée par le concept d’apparence sensible, et est fondée dans la notion d’expression des Idées dans l’intuition sensible, dans la représentation de figures qui ne s’offrent qu’au sens de la vue. Autrement dit, le genre de la peinture est constitué à partir d’un rapport d’expression entre Idées et figures. Ce rapport n’est pas propre à la peinture, mais permet au contraire d’en faire un art à proprement parler. La peinture se spécifie comme expression de ces figures, au plan des apparences, pour l’intuition sensible réduite à sa seule propriété visuelle4. Elle est donc définie par deux relations, l’une relative à la création, à l’objectivité de l’expression, l’autre relative au spectateur, au sujet de l’expérience esthétique, et ces deux principes déterminants doivent figurer dans les deux sous-espèces de la peinture proprement dite, dont le type semble donné par la peinture de paysage et l’art des jardins. Hegel définit la peinture comme ce qui expose un contenu de nature romantique, « dans les formes de la figure humaine extérieure et de tous les êtres naturels en général, sans toutefois en rester au caractère sensible et à l’abstraction de la

1 Kant, Critique de la faculté de juger, § 51, p. 310.

2 Kant, Critique de la faculté de juger, § 51, p. 311.

3 Voir Hegel, Esthétique, tome III, pp. 14-98.

4 Kant, Critique de la faculté de juger, § 51, p. 309, haut.

sculpture »1. Elle est donc spécifiée par son contenu (le principe de la subjectivité) et par ses formes, rejoignant alors l’esthétique kantienne. Dans toute l’analyse hégélienne de la peinture, les deux critères du contenu et de la forme se retrouvent. Ils constituent les déterminations essentielles du concept, fondant le genre, à partir desquelles toutes les déterminations et spécifications particulières se déploieront. En ce sens les Leçons répondent aux exigences de subdivision du genre en espèces, telles que La logique subjective les dégage.

La pertinence de l’analyse hégélienne du genre et de l’espèce dans la Doctrine du concept doit pouvoir se vérifier dans les subdivisions kantiennes des beaux-arts. Les déterminations principales de la peinture à partir de la notion d’apparence et de tableau destiné à la vue doivent, en se spécifiant, être les principes de la subdivision de cette sphère. En effet le genre prochain est « l’universel avec cette déterminité qui est en même temps principe pour la différence du particulier »2. La division kantienne du domaine pictural en « arts de la belle description de la nature et en arts du bel agencement de ses produits »3, c’est-à-dire en peinture proprement dite et en art des jardins met en œuvre la détermination de la peinture comme apparence, puisque la peinture proprement dite produit l’apparence de l’extension physique et l’art des jardins offre l’apparence de l’utilisation et de l’usage de ses formes pour des fins qui ne soient pas simplement esthétiques4. Dans ces deux sous-espèces le sens de l’apparence se module de façon distincte, puisqu’elle se rapporte, dans le premier cas, à la surface et dans le second cas à l’illusion. La détermination de l’universel pictural par la détermination de l’apparence est bien en même temps principe pour la différence du particulier (peinture proprement dite et art des jardins), telle qu’une détermination supplémentaire de ce principe (l’apparence comme surface se distinguant de l’apparence comme illusion) permet une différenciation du genre en espèces. Le principe de la division est bien immanent au genre et la division est effectivement disjonction de l’universel. La différence du genre et de l’espèce est dans

1 Hegel, Esthétique, tome III, pp. 12-13.

2 Hegel, La logique subjective ou doctrine du concept, p. 330.

3 Kant, Critique de la faculté de juger, § 51, p. 310.

4 On retrouve avec l’art des jardins un modèle d’interprétation qui permet à Kant de préciser la nature et le sens des deux espèces de l’art de la parole, puisque « l’éloquence est l’art de mener à bien une opération de l’entendement comme s’il s’agissait d’un libre jeu de l’imagination ; la poésie est l’art de mener à bien un libre jeu de l’imagination comme s’il s’agissait d’une opération de l’entendement » (Critique de la faculté de juger, § 51, p. 308).

l’esthétique kantienne, comme l’expose la Logique hégélienne, une différence du genre par rapport à lui-même.

Le principe de la vue – deuxième détermination de l’universel pictural – se résout, avec la spécification de l’art des jardins, dans la détermination du premier principe : l’apparence comme illusion. La spécification supplémentaire de la détermination de l’universel pictural comme apparence permet à Kant de faire entrer l’art des jardins dans le genre de la peinture, plutôt que dans celui des arts plastiques. Il est « une espèce de la peinture » bien qu’il présente ses formes physiquement à la façon des arts plastiques, car s’il emprunte effectivement ces dernières à la nature (arbres, buissons, etc.), il se distingue de la plastique, dans la mesure où il n’a pas pour condition de l’agencement qu’il réalise un concept de l’objet et de sa fin, comme c’est le cas pour l’architecture et les arts plastiques en général. La pertinence et la validité de la position kantienne sont manifestes à la lumière de la logique hégélienne, puisque la plastique, première espèce des arts figuratifs, est définie – comme genre déterminé – par une présentation physique, sensible de concepts.

Or aucune spécification supplémentaire de ce principe ne permet de rejoindre l’art des jardins. Ce dernier n’appartient donc pas à la plastique, puisque « le genre est par conséquent le genre prochain d’une espèce dans la mesure où celle-ci a sa différenciation spécifique en la déterminité essentielle de celui-là [en l’occurrence dans la présentation plastique d’un concept], et où les espèces en général ont dans la nature du genre leur détermination différenciée comme principe »1. L’art des jardins présente des formes naturelles sans subordonner leur organisation à aucun concept. En revanche Kant rapporte la présentation physique de formes esthétiques à la finalité de cette présentation, c’est-à-dire au principe par lequel les genres déterminés de la plastique et de la peinture sont définis (présentation d’un concept, apparence destinée à la vue). L’art des jardins ne renvoie à aucun concept et a pour seule condition le libre jeu de l’imagination dans la contemplation. L’appartenance de cet art à la peinture, qui à la lumière de la logique hégélienne semble évidente, est justifiée par Kant par sa parenté avec la peinture simplement esthétique.

Celle-ci désigne une peinture qui n’a aucun thème déterminé et qui agence de façon divertissante l’air, la terre et l’eau grâce à la lumière et à l’ombre1. Cette peinture évoque la peinture de paysage à laquelle ne doit pas être réduit toutefois le genre pictural. Le privilège que Kant lui accorde s’explique par le double principe de détermination choisi

1 Hegel, La logique subjective ou doctrine du concept, p. 141.

pour définir ce genre : l’apparence, la finalité visuelle. Une autre peinture, telle la peinture religieuse privilégiée par Hegel dans l’Esthétique, ou la peinture d’histoire, fait intervenir le concept et par conséquent porte l’esprit au-delà du simple jeu de l’imagination. Lorsque le tableau a « pour intention d’enseigner (…) l’histoire »2, il sort du type pictural kantien.

Mais la détermination kantienne du genre pictural par la notion d’« apparence sensible artistiquement liée à des Idées » est suffisamment large et universelle pour accueillir dans son domaine la peinture d’histoire et la peinture religieuse. Néanmoins tous les genres picturaux traditionnellement distingués (nature morte comprenant tableaux de victuailles, tables servies et corbeilles de fleurs, peinture animalière, peinture d’objets et de scène de la vie quotidienne, portrait, paysage, peinture d’histoire, peinture de scènes nobles ou mythologiques) n’entrent pas dans le champ pictural délimité par Kant. En effet la liberté du jeu de l’imagination est inévitablement entravée dans la peinture d’objets de la vie quotidienne et dans le portrait, dans la mesure où l’expérience esthétique se rapportera nécessairement au concept de l’objet représenté ou au modèle du portrait. La détermination kantienne de la peinture présente, en revanche, l’intérêt de suggérer une extension du domaine pictural à partir d’une détermination plus aboutie des principes, en particulier celui de la vue, qui ont permis de le délimiter. Ainsi le genre pictural comprend « la décoration des pièces par des tapisseries, des garnitures et tout bel ameublement qui est destiné simplement à la vue » et « l’art de s’habiller avec goût »3.

Ces troisième et quatrième sous-espèces de la peinture respectent à la fois le principe de la destination visuelle et celui de l’apparence sensible. Ce faisant l’esthétique kantienne renouvelle le sens du pictural et la notion même de tableau. Alors que l’esthétique hégélienne pense la peinture à partir de sa détermination comme art romantique, donc comme art de la subjectivité, Kant en propose une épure. La peinture se réduit à un sens purement et strictement formel, où Kant saisit ce qui en donne l’essence même. Le tableau est forme, surface offerte à la vue. Il est « surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées » (Maurice Denis4). La définition du purement pictural se résout dans sa finalité. Le tableau « n’existe que pour être vu et afin de soutenir l’imagination dans son libre jeu avec les Idées et d’occuper sans fin déterminée la faculté de juger

1 Kant, Critique de la faculté de juger, § 51, p. 310, note.

2 Kant, Critique de la faculté de juger, § 51, pp. 310-311.

3 Kant, Critique de la faculté de juger, § 51, p. 310.

4 Voir Maurice Denis, Théories (1890-1910), Paris, 1912 ; réédité sous le titre Du symbolisme au classicisme. Théories, présenté par O. Revaut d’Allonnes, Paris, 1963.

esthétique »1. La subdivision hégélienne de la peinture exclut l’art des jardins qui consiste, selon Hegel, en un « simple arrangement extérieur d’un site déjà donné pour soi par la nature et qui n’est pas beau en soi-même »2, alors que la peinture a pour principe essentiel la subjectivité intérieure dans sa vie et ses sensations, dans ses représentations et ses actions. Lorsque la peinture intègre en elle-même la nature extérieure ou le cadre architectonique, elle en fait un reflet de l’intériorité subjective et les met en rapport avec l’esprit des figures qui y évoluent, ce que la conception kantienne du « tableau » omet.

L’introduction de l’art des jardins dans le genre pictural est courante dans l’esthétique du XVIIIe siècle. Elle s’explique chez Kant par la conception épurée du pictural proposée dans le paragraphe 51 de la Troisième Critique, c’est-à-dire pour reprendre les termes de J.-M. Schaeffer par le fait que la peinture, aux yeux de Kant, ne se réduit pas à la reproduction de la nature, à la peinture mimétique. La subsomption de l’art des jardins sous le domaine pictural vérifie la thèse selon laquelle l’esthétique kantienne repose sur une conception indéterministe du bel objet3, puisqu’ainsi tout bel arrangement visuel relève de la peinture. « En cela, il est génériquement lié à l’art pictural »4, ce qui permet à Kant d’étendre le pictural à la décoration des appartements et à l’art de s’habiller avec goût.

Hegel associe à l’art des jardins l’architecture décorative, mais ce faisant l’exclut des beaux-arts au sens kantien, puisque cette dernière ne vise qu’à rendre agréable par la décoration et les embellissements extérieurs la fonctionnalité d’un local installé pour des situations et des circonstances prosaïques. En ce sens et par analogie elle serait un art esthétique, mais en tant que simple art d’agrément. Le thème du « tableau » est étendu par Kant au-delà de son acception strictement picturale.

L’extension du genre pictural dans l’esthétique kantienne permet de saisir les principes logiques de constitution d’un genre esthétique. Le tableau comprend aussi bien un parterre de fleurs diverses qu’une salle de fête avec toute espèce d’ornements, dont les parures des dames. L’unité du genre n’est donc pas donnée par une identique intentionnalité créatrice, car y compris dans une telle fête on ne saurait trouver cette unité. Les objets qui s’y rencontrent sont le produit des arts mécaniques (tabatières) comme des beaux-arts5, mais leur ensemble constitue pourtant un tableau. De même que le fondement du genre « beaux

1 Kant, Critique de la faculté de juger, § 51, p. 311.

2 Hegel, Esthétique, tome I, p. 563.

3 J.-M. Schaeffer, L’art de l’âge moderne, p. 45.

4 J.-M. Schaeffer, L’art de l’âge moderne, p. 46 ; nous soulignons.

5 « La fabrication peut certes, pour tous ces ornements, être très différente du point de vue mécanique et requérir des artistes d’un tout autre genre » (Kant, Critique de la faculté de juger, § 51, p. 311).

objets », comprenant aussi bien les productions de la nature que les productions de l’art, est donné par les conditions subjectives de leur appréciation, de même la constitution du genre pictural, dans son unité, s’explique in fine à partir du jugement global que l’amateur porte sur l’organisation formelle de ce qu’il appréhende visuellement1. C’est pourquoi J.-M.

Schaeffer peut affirmer qu’une nouvelle fois le prédicat esthétique renvoie à une attitude réceptrice et n’institue, pour Kant, aucune différence d’essence au sein du domaine artistique, pas plus qu’il ne fonde de distinction entre une œuvre artistique au sens strict et un arrangement visuel composite, tel qu’une soirée mondaine ou un paysage naturel. Il n’y a pas de genre artistique reposant sur une distinction seulement objective dans l’esthétique de Kant.

Le hégélianisme présente une subdivision de la peinture qui emprunte des voies distinctes et qui, comme Kant, ne suit pas les divisions classiques. En effet la détermination du « caractère général » de la peinture relègue au second plan la problématique des genres picturaux. Le caractère général de la peinture se déduit de son concept2. Celui-ci détermine le contenu spécifique ainsi que le matériau que la peinture doit adopter. De même ce qui fait figure de déterminations particulières de la peinture est compris dans le principe du contenu pictural et de sa représentation. Ces déterminations définissent et « délimitent plus strictement l’objet correspondant de la peinture »3. L’esthétique hégélienne ne suit donc pas la distinction des genres picturaux (portrait, paysage, marine, nature morte, peinture animalière, peinture d’objets et de scène de la vie quotidienne, peinture d’histoire, peinture de scènes nobles ou mythologiques) procédant à partir des distinctions d’objets représentés. L’étude de ces genres est subordonnée au concept même de la peinture, à son principe essentiel. Ce dernier consiste dans « la subjectivité intérieure dans la vie de ses sensations, représentations et actions englobant le ciel et la terre, dans la multiplicité des situations et des modes de manifestation au sein du corporel »4. La peinture, dans le système hégélien, est donc étroitement liée à l’art

1 « Le jugement de goût portant sur ce qui est beau dans cet art [dans tout tableau] a, en tant que tel, pour unique détermination de ne juger que les formes (sans considération d’une fin) telles qu’elles s’offrent au regard, soit isolément, soit à travers leur combinaison, d’après l’effet qu’elles produisent sur l’imagination » (Kant, Critique de la faculté de juger, § 51, p. 311).

2 Voir Hegel, Esthétique, tome III, p. 16.

3 Hegel, Esthétique, tome III, p. 16.

4 Hegel, Esthétique, tome III, pp. 16-17.

romantique chrétien1. La détermination de son objet essentiel – l’objet de la représentation étant l’élément qui, traditionnellement, permet d’établir des genres de la peinture − c’est-à-dire la subjectivité intérieure – décide de l’orientation de l’analyse. Celle-ci, dans les Leçons, ne repose pas sur la base empirique de genres préexistants2, mais vise à dégager

« l’essentiel », c’est-à-dire la dimension conceptuelle du fait artistique et l’adéquation des œuvres à ce principe3 : « la question la plus profonde concerne le principe de la peinture, l’étude de ses moyens de représentation, et vise par là à établir quel est le contenu qui, de par sa nature même, concorde avec le principe de la forme et du mode de représentation pictural »4. Hegel détermine l’objet le plus approprié à la peinture, non pas à partir d’une hiérarchie établie des genres picturaux, mais à partir du principe de la forme artistique romantique, l’intériorité. On pourrait supposer, ce faisant, que l’esthétique hégélienne va écarter de son champ tous les types picturaux demeurant en deçà de l’expression de l’intériorité subjective et qu’elle « aboutit aussi à une réduction de tous les genres historiquement attestés »1.

Pourtant le domaine pictural s’étend au-delà de la seule subjectivité, car si la peinture doit rendre sensible l’intérieur de l’esprit qui s’exprime comme intérieur, celui-ci pouvant se manifester dans le reflet de l’extériorité, la peinture d’objets quotidiens entre ainsi dans le cadre de l’analyse. Dans la mesure où l’intériorité comme telle se fait connaître dans la réalité effective, l’examen de la peinture déterminée par le principe de la forme artistique romantique s’étend au-delà de la figuration de l’humain. Une des divisions de la hiérarchie classique (peinture d’objets insignifiants ou peinture d’objets quotidiens) est spéculativement et donc logiquement justifiée par l’esthétique hégélienne, et s’introduit en celle-ci non pas au titre de division empirique, mais comme division nécessaire, logique de l’esthétique. L’étendue du répertoire pictural se pense donc à partir de la détermination principale du contenu de la peinture, de son sens : la subjectivité étant pour elle-même. La tradition picturale institue des genres selon l’objet représenté, c’est-à-dire en un sens, selon le contenu de la peinture, mais l’esthétique hégélienne s’en distingue, car elle se situe à un

1 « Nous devons admettre que la peinture ne saisit le contenu qui s’accorde pleinement à ses moyens et à ses formes que dans le matériau de la forme artistique romantique » (Hegel, Esthétique, tome III, p. 20).

2 Hegel récuse que l’esthétique soit simplement attention à l’« empirique » (Esthétique, tome III, p. 17).

Cf. aussi les premières pages de l’Esthétique où Hegel établit la validité d’une science de l’art.

3 La conséquence étant que l’analyse logique qui suit le déploiement du concept est indissociable d’un jugement de goût normatif. L’esthétique hégélienne est conjointement esthétique du concept et esthétique du jugement.

4 Hegel, Esthétique, tome III, p. 17.

niveau d’universalité supérieure. La détermination du principe de l’intériorité subjective prétend rendre raison aussi bien des tableaux de cet intérieur en tant que tel que de l’expression, à travers l’extériorité, de l’intérieur subjectif. Ce principe, dont on peut d’abord croire qu’il est historique puisqu’il coïncide avec l’art chrétien romantique, est en réalité conceptuel.

La peinture comme art romantique exprime le moment artistique où le spirituel se manifeste en tant que tel, c’est-à-dire comme esprit. Or ce moment est logiquement nécessaire dans la mesure où le spirituel ne peut se satisfaire d’une manifestation seulement sensible et immédiate – telle qu’il la trouve dans l’art classique, la sculpture de la Grèce antique, par exemple. La nécessité d’une manifestation adéquate au spirituel comme tel rend raison de la peinture et détermine sa sphère. C’est au sein de cette problématique que la division classique des genres picturaux prend sens et place. On ne peut donc dire que dans la peinture, la classification hégélienne soit « largement empirique et descriptive »2. La pertinence et la validité esthétique du concept se vérifient dans l’interprétation hégélienne de ces genres. L’avènement du principe de la subjectivité suppose une dissolution du principe sculptural et classique, associant le substantiel de l’esprit à l’individualité, comme sujet singulier, non encore réfléchie en elle-même. Cette dissociation se traduit en peinture par l’existence autonome et libre de ces deux moments – qui toutefois demeurent unis dans et par le principe de la peinture. Leur séparation permet de rendre compte de l’existence d’une peinture religieuse.

Elle se présente comme le côté de « la substantialité du spirituel, le monde de l’éternité et de la vérité, le divin », mais celui-ci étant saisi et réalisé selon le principe de la subjectivité, il est appréhendé comme « sujet, personnalité, comme Dieu dans l’esprit et dans la vérité »3. L’autre côté constitue aussi un aspect autonome et libre et permet de comprendre pourquoi la peinture n’est pas seulement peinture religieuse, mais tout aussi bien « peinture de la subjectivité humaine et profane, laquelle, n’étant plus en unité immédiate avec le substantiel de l’esprit, peut désormais se déployer selon toute la particularité humaine et ouvre à l’art toute la plénitude et la phénoménalité humaine »4. La dissociation du principe de l’art classique explique la première division de la peinture en

1 J.-M. Schaeffer, L’art de l’âge moderne, p. 224.

2 « C’est uniquement pour la littérature qu’il [Hegel] propose un véritable système des genres fondé sur ses catégories philosophiques fondamentales, alors que les classifications génériques dans les autres arts restent largement empiriques et descriptives » (J.-M. Schaeffer, Qu’est-ce qu’un genre littéraire ?, p. 10).

3 Hegel, Esthétique, tome III, p. 10.

4 Hegel, Esthétique, tome III, p. 10.