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Olsoner

Les m ouvem ents successifs, pléthoriques et co n tra d ic ­ toires qui naissent et m eurent à une cadence accélérée depuis le début du siècle, dans une atm osphère qui évoque plus la corbeille de la bourse aux heures de p o in te que la sereine recherche du beau et du v ra i dans le m on d e im m uable et ch angeant qui nous environne, o n t témoigné, certes, de la v italité de l’a r t au X X e siècle et d ’un louable souci d ’éch ap p er à la sclérose acadé­ mique. H é la s ! on n ’évite souvent un danger que po u r se p récipiter sur un autre. L ’esprit de système, la sur­ enchère, u n e « n éo p h y lie » fré n é tiq u e o n t c o n d u it à une confusion qui n ’entra it pas dans les perspectives des

véritables avant-gardistes de l’a r t m oderne. Il n’est pas douteux que nous éprouvons un peu de lassitude en présence de ta n t de modes éphémères et de ce q u ’elles en tra în e n t d ’opportunistes sans réelle personnalité. Aussi, tels D iogene cherch an t un homme, aspirons-nous à la rencontre d ’authentiques individualités qui, hors des sentiers b a ttu s, o n t su p réserv er leur originalité p ro fo n d e et p a r là a p p o rte r une réelle contrib u tio n à l’enrichissement de l’art.

C harles Clos O lsom m er est de cette race. D a n s un égoïsme sacré et fécond, il a consacré dans la solitude sa vie à l’élaboration d ’une œ u v re hors série puisée aux

seules sources de sa vie intérieure, ém anation sans in te r­ férence de son p ro p re personnage, où se conjugent les reflets de son âme d ’élite, de croyances p ro fo n d é m e n t ancrées et d ’un idéalisme lucide f o r t proche de la sagesse dans une indépendance d ’esprit qui ne se ren­ contre que rarem ent à no tre époque.

A u cours d ’une carrière de plus d ’un demi-siècle, p a rfa ite m e n t rectiligne, il a p oursuivi avec une surpre­ n a n te ténacité, in d ifféren te aux contingences et aux agitations du m onde contem porain, une tâche silen­ cieuse inspirée a u ta n t de sa vocatio n de pein d re qui s’im posa à lui dès son enfance que d ’u n e obstinée recherche d ’h arm o n ie spirituelle. L ’œ u v re accomplie a été considérable a u ta n t p a r le n om bre que p a r la qualité et l’originalité du style et du langage plastique, o u le ra y o n n e m e n t q u ’elle n ’a cessé d ’a c c ro ître dans son p a y s sur un large public qui co m p ren d a u ta n t de collec­ tionneurs fidèles que de simples am ateurs heureux de re tro u v e r d e v a n t ses tableaux l’écho de leurs p ropres émotions.

C e tte œ u v re, q u a tre années après la m o rt de son auteur, conserve une v italité que rien ne saurait entam er. Dégagée des péripéties de l’actualité, guidée p a r le sentim ent de l’universalité, pénétrée d ’un goût constant p o u r les valeurs perm anentes, elle est hors des atteintes du temps, en d ép it de ce qui, dan s son style, la r a t ­ tache à certains courants m odernes du début du siècle : le Jugendstil, mis en évidence dans les pays germ a­

niques p a r les artistes de Sécession, et son proche p are n t le symbolisme.

C h a rle s Clos Olsom m er, en d ép it de son no m aux consonances Scandinaves dues à de lointaines origines, est un artiste suisse. N é en 1883 à N e u ch âtel, où son père était p h o to g rap h e, il tém oigna très tô t de son g o û t et de son ta le n t p o u r le dessin, puis d ’u n e véritab le vocation qui l’orien ta vers l’Ecole des beaux-arts. A G enève de 1903 à 1907, il se lia avec le sculpteur V ibert et fit ses premières armes hors de l’école. E v én e­ m ent plus im p o r ta n t encore, il y ren co n tra une jeune Bulgare qui plus ta r d d e v in t sa fe m m e et a joué ju sq u ’au dernier in stan t dans sa vie et dans son œ u v re un rôle capital. Dès cette époque, ses dons s’im posent, ce q u ’a t ­ teste l ’a ttrib u tio n qui lui fu t faite à trois reprises de bourses de la C o n féd ératio n , d o n t on im agine q u ’elles ne fu re n t pas sans emploi lors des séjours d ’études du jeune artiste à M unich surtout, mais aussi en Italie. Le Valais, le plus espagnol des cantons suisses, devait ensuite le séduire et, en 1912, il se fix a it à V eyras, to u t pro ch e de Sierre, un bien joli village q u ’il ne devait plus quitter. Ses tab leau x depuis lors se sont chargés de le représenter loin à la ronde. Lui-m êm e ne s’est guère écarté de ce coin de pays d o n t il est devenu bientôt un personnage légendaire.

C ’est que le farouche bonh o m m e cu ltiv ait son in d i­ vidualism e jusque dans les m oindres détails, et sa tenue v estim en taire, im m u ab le, ne passait pas inaperçue. D e

« V e s k a » , h u i l e s u r f o n d g o u a c h e

loin, on reconnaissait sa silhouette familière, les longs cheveux soyeux échappés d ’un bon n et de laine, les bas à torsades, les culottes saumur, les grosses vestes de tw eed et, selon la saison, la h o u p p e la n d e ; p e rd u dans ses pensées ou dans l’observation des oiseaux, des insectes ou des fleurs, il s’av an ç a it la canne à la main, sans hâte, vers la réalisation d ’une vision intérieure. C ’était, dans son étrangeté, un être sans doute difficile à con n aître v ra im e n t au-delà de ses dehors excentriques, de ses accoutrem ents d ’ailleurs non d épourvus d ’une certaine allure racée, que l’on p o u rra it dire abstraite, idéale, en to u t cas intem porelle — un style vestim en­ taire nullem ent affecté mais directem ent issu d ’une certaine conception de la vie, celle-là même qui don n ait son sens à sa peinture.

M ais ce sont là les images que nous conservons de lui : les plus récentes. Il y a v a it eu aussi, a v a n t l’erm i­ tage valaisan, l’O lsom m er vagabond, ne t r o u v a n t nulle p a r t où se fixer, curieux des contrastes européens ; les pérégrinations dans les Balkans, la vie en Bulgarie, pays de sa femme. Mille expériences accumulées, une suite

infinie d ’images enregistrées, de sensations éprouvées, une am ple moisson d ’acquisitions, d ’impressions am as­ sées en une dizaine d ’années. C ’est ainsi q u ’il fau t com p ren d re la retraite précoce à Veyras. Il y a un temps p o u r les expériences, un au tre p o u r les m ettre en ordre et en tire r les fruits. P a rv e n u à cette étape de sa vie, l’artiste s’est trouvé l’esprit suffisam m ent riche p o u r n ’av o ir plus besoin de sortir de l’isolement néces­ saire au m ûrissem ent de sa pensée et de son art. Avec le temps1, beaucoup de choses s’étaient précisées, des convictions avaient été acquises, que la vie, la m éd i­ ta tio n allaient sans cesse renforcer. C ’était là l’im p o r­ ta n t. C a r ici, la vie in té rie u re de l’h o m m e et de son œ u v re ne fo n t q u ’un, l ’un v iv a n t p o u r l’a u tre et p a r l’autre, et l’œ u v re étan t entièrem ent conditionnée par la dém arche spirituelle de l’artiste. Il est évident q u ’O lsom m er n ’a été guidé que p a r son idéal, une doc­ trine m orale et philosophique à laquelle il s’est efforcé de se conform er avec le souci constant de se ra p p ro ch er d ’une certaine réalité, de mieux s’intégrer à son p ro p re univers.

Ce c h e m in e m e n t solitaire q u i l’a p ro té g é des agres­ sions extérieures a été propice à l’épanouissement de son œ u v re qui, si elle présente deux faces nettem en t différenciées, a p p a r a ît p a rfa ite m e n t hom ogène et sans ru p tu re. C ela lui confère un style bien p articu lier qui, comme to u t ce qui relève d ’un esprit réellement indé­ p e n d a n t, a parfo is surpris certains observateurs tro p soumis aux im pératifs des modes esthétiques. Ainsi, un critique un jo u r s’est étonné q u ’O lsom m er ait toujours peint « comme si C ézanne n ’a v a it jamais existé. » C ’était tém oigner d ’une vue assez simpliste des choses. E n effet, ainsi que le relevait en 1936 déjà le célèbre historien d ’a rt italien Lionello V enturi, et c o n trairem en t à une opinion tro p généralem ent ré p an d u e dans certains pays, C ézanne, quelle que soit l’immense influence q u ’il a exercée sur plusieurs g énérations, n ’est pas le seul père de l’a rt m oderne. P a rallèlem en t aux divers courants qui se réclam èrent de lui, d ’autres, non moins im p o rtan ts, d o n t p o u r certains les prolongem ents sont loin d ’avoir été épuisés actuellem ent, ont o u v ert des portes à l’ex­ pression de n o tr e tem ps. Il en f u t ainsi d u sym bolism e, plus proche sans doute de l’âme germ anique ou scandi­ nave que de la française, et qui p o u r cette raison connut dans ces pay s son plus g ra n d essor.

C ’est à cette famille que se ra tta c h e l’œ u v re d ’Olsom m er. Eu égard à ses lointaines origines, on a parfois p arlé d ’atavism e. Plus vraisem blable me p a r a ît l’em preinte laissée sur le pein tre p a r ses études à M unich à une époque où le rom antism e m ystique de K linger et de Bœcklin, les recherches de synthèses des artistes de Sécession exerçaient une fo rte influence sur les jeunes esprits dans ce g ra n d centre allem and de l’art. C ette semence d ev ait tro u v e r chez le jeune Suisse un terrain particulièrem ent favorable, en raison n o ta m m e n t de son p e n ch an t n atu re l p o u r le mysticisme et l’ésotérisme. A jo u to n s que l’Ecole de M unich, à cette époque, invente le Jugendstil qui devien d ra en F ra n c e le M o d e r n ’Style, et que c’est précisément cette esthétique qui caractérise l’un des aspects de l’œ u v re d ’Olsom m er. Le Jugendstil, directem ent issu du m ou v em en t précédent, se définit p a r une tendance à l’abstraction (p a r quoi il fau t e n te n d re u n e synthèse de la f o rm e q u i n ’a rien à v o ir avec la n o n-figuration), des d éform ations dans un b u t décoratif des formes végétales et même de la form e hum aine, le règne de l ’arabesque m on u m en tale et, à l’intérieur d ’un dessin linéaire, des aplats qui s’im posent au d é tr im e n t d u m odelé alors si c h er aux académistes. A quoi il est bon d ’ajouter un in térêt croissant p o u r l’a rt oriental q u ’O lsom m er eut des raisons personnelles de cultiver.

D e l’orientalism e bulgare q u ’il a v a it pu étudier sur place lors de ses séjours, il conserva to u te sa vie à ses côtés, en la personne de son épouse, un v iv a n t et influent témoin. D ans ce style net, aux lignes dépouil­ lées, il a traité de nom breux tab leau x où les figures et les p o rtra its abondent. E vocations religieuses qui nous m o n tre n t souvent le visage transfiguré, en extase m ys­ tique, de sa fem m e ; personnages pris dans le milieu fam ilial en des a ttitu d es réfléchies ; scènes de la vie

p o p u la ire valaisanne, paysages où se tr a d u it si bien l’âme et le clim at d ’un pay s au caractère fo rtem en t accusé. Il y a là une p a rfa ite unité d ’inspiration et de langage. L ’artiste em brassait dans sa to ta lité un m onde q u ’il ne cro y ait pas forcém ent perfectible mais qui : n a tu re , faune, flore et h u m ain s, le passionnait et lui inspirait une m anière de culte p anthéiste ém ouvant. Ce q u ’on ad m ire alors, c’est la perspicacité redoutable de l’œ il d ’aigle auquel rien n ’échappe, la ferm eté du dessin linéaire fouilleur mais d ’une sobriété qui ignore les

et b r o u d e n o i x

détails secondaires p o u r aller toujours et d ’instinct à l’essentiel.

E n fin , il est un au tre aspect de l’œ u v re d ’O lsom m er, d ifféren t q u a n t à la forme, mais nullem ent étranger q u a n t au fond à celui que nous venons d ’évoquer. N o u s restons dans le symbolisme, mais les parentés ici nous ra p p ro c h e n t de la F rance et d ’un m ouvem ent qui tro u v e ses prémices chez Puvis de C h av an n es et G auguin, son épanouissement avec M aurice Denis qui en fu t le théoricien, les N ab is et O d ilo n R edon. C ’est

à ce dernier su rto u t que nous pensons, car les parentés souvent étroites qui se révèlent alors entre ces deux artistes ne p e u v en t échapper à personne. C ’est le meme m on d e onirique et sacré, le même panthéism e, le même esprit visionnaire, qui répudie tous les efforts de synthèse linéaire que nous voyons ailleurs p o u r une effusion lyrique, un m onde de couleurs diaprées, de lumières irisées, qui fait a p p a ra ître un univers idéal, une sorte de terre promise, à la végétation lu xuriante et paradisiaque. D a n s ces peintures, généralem ent exécutées sur p a p ie r à la gouache, on décèle parfois le mélange de différentes techniques, la figure hum aine est plus rare et fa it plus souvent place à des paysages vraisem blablem ent im aginaires, à des plantes, ou des com positions m étam orphiques qui ne sont plus que des hym nes à la création. T o u te te n ta tio n natu raliste est vigoureusem ent écartée de cette peinture émotionnelle suggestive de sensations qui nous in tro d u it d a n s le m on d e ambigu de l’indéterm iné. Il semble alors que l’artiste ait tenté, au-dessus des apparences habituelles profanées, de b â tir le m on d e saint d ’une meilleure vie p a r un a rt qui a p p a r a ît comme une irra d ia tio n des choses p o u r le rêve aventureusem ent prospecté p a r le chem inem ent de la pensée.

N o u s avons là la p a rtie la plus secrète de l ’œ u v re de C. C. O lsom m er. Celle où, dans le plus p a r f a it abandon, il se laisse aller aux phantasm es que lui dictent ses vagabondages spirituels. Son sens du sacré dépasse largem ent les définitions des religions p o u r attein d re à une pleine et totale com m union avec la C réatio n , en quoi nous voyons une nouvelle m anifestation de son orientalisme. Il livre dans ces pages un peu de m ystère de son âme dans une confidence où p a lp ite n t les accents diffus d ’une pure poésie.

Le 3 juin 1966, à l’aube d ’un de ces étés p articulière­ m en t flam b o y an ts dans ce pay s du soleil, le p atria rc h e de Veyras a q u itté définitivem ent l ’atelier dissimulé sous la végétation sauvage, ce saint des saints d o n t il défen d it toujours farouchem ent la porte. C e fu t un événem ent dans to u t le pay s qui depuis n ’est plus to u t à fait le même p o u r tous ceux qui, inconsciemment, s’a tte n d e n t toujours à v o ir surgir au coin d ’une rue ou d ’un chemin la figure familière de ce curieux pèlerin. M ais si l’homme, subissant le sort com m un, a disparu à nos yeux, effacé p a r le destin, l’œ u v re reste et son nom ne fait que grandir. En effet, l’intérêt p o u r cet a rt singulier qui p o rte en lui une parcelle d ’éternité ne cesse de croître avec le temps et continue de p o rte r p a r to u t le message à la fois éclairan t et réco n fo rta n t d ’un peintre qui eut plus que to u t a u tre le rare talent de d onner une form e sensible à l’im m atériel chemine­ m ent de ses conquêtes spirituelles. L a ferveur avec la­ quelle depuis sa m o rt ont été accueillies les différentes expositions de ses œuvres, la place grandissante qui est faite à ces dernières dans les musées et les collections privées, la qualité des hommages qui ont été rendus à l’artiste sont de sûrs g aran ts de la pérennité du témoignage laissé p a r C. C. O lsqmmer.

Souvenir de Charles Clos Olsommer

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