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CHAPITRE I : L’âme, l’esprit et la folie aux XVII e et XVIII e siècles

1.3 La volonté

1.3.2 Les passions

La deuxième catégorie de la volonté est constituée des passions, qui sont « des désirs de conserver son être excité par les sensations86. » De nouveau, les passions se

retrouvent à la fois dans le domaine du corps et de l’âme, puisque « ces désirs dépendent des sensations pour appercevoir [sic] dans nos corps une certaine disposition organique propre à les produire87. » Pour le Camus, il n’y a qu’une seule passion qui est « un tronc

dont toutes les autres Passions forment les branches88. » Il s’agit de l’amour, qui découle

du désir de conservation et de bien-être de l’homme. L’amour propre, l’amour social et la sympathie sont ici en cause.

L’amour propre « est un aiguillon qui sert à réveiller une âme vertueuse89. » Il part de l’amour qu’une personne éprouve pour elle-même, pour ensuite atteindre un cercle de plus en plus grand, allant de la famille, aux amis, pour finir par englober toute la race humaine. Il s’agit ici aussi d’une forte union entre l’âme et le corps, puisque « tout ce qui est fait pour la satisfaction de l'une & pour la conservation de l'autre y est un aimant qui les attire tellement, que les obstacles si petits qu'ils puissent être, sont autant de monstres propres à vomir le chagrin, l'ennui, les inquiétudes, les allarmes sur nos jours les plus serains90. »

L’amour social, contrairement à ce que son nom indique, représente « cette passion qui s’allume entre les deux sexes91 ». Cette forme d’amour, selon le Camus,

dépend davantage des mouvements corporels. L’amour social dérive en quelque sorte de l’amour propre, puisqu’il implique lui aussi un amour de soi-même afin de reconnaître

86 Ibid., p. 132. 87 Ibid., p. 134. 88 Ibid., p. 137. 89 Ibid., p. 138. 90 Ibid., p. 139. 91 Ibid., p. 141.

l’amour chez l’autre, et qu’il « reconnaît pour principe les mouvemens les plus satisfaisans des fibres à l’égard de l’âme & que ces mouvemens sont déterminés par les sensations92. » Il faut donc en conclure que l’amour social est lui aussi le résultat d’un

travail de l’âme (sensations), qui influe sur le corps (fibres du cerveau).

D’après le Camus, « si l’amour est subit, son action vive & les rapports plus cachés, on l’appelle ordinairement Sympathie93. » La spontanéité de la sympathie implique l’association de son sujet à quelque chose d’agréable par le passé, un état qui peut changer s’il arrive « un changement notable dans la constitution de l’être94. » La

capacité du corps à influer sur l’amour que l’âme porte à certaines choses explique donc qu’il est possible de perdre la sympathie pour un sujet que l’on a pu avoir à une époque antérieure.

Les autres composantes des passions, si elles ne font pas partie de l’amour, se développent par rapport à lui. La première, la haine, « est un sentiment qui nous fait fuir le mal95 », en opposition à l’amour qui fait rechercher le bien. Le désir, regardé dans ce

cas-ci comme une passion et non comme l’enfant de la vertu, est « une inquiétude particulière qui nous fait chercher avec empressement, & embrasser avec ardeur les moiens [sic] qui peuvent nous conduire au bien être96. » Qu’il s’agisse du désir de

posséder un objet aimé, ou du désir de fuir un objet haïs, aussi nommé la crainte. On retrouve ici l’amour ou la haine dépossédés de leur prudence. Finalement, la satisfaction du désir entraîne soit la joie ou la tristesse, selon que l’objet désiré soit obtenu ou non.

92 Ibid., p. 147. 93 Ibid., p. 148. 94 Ibid., p. 151. 95 Ibid. 96 Ibid., p. 158.

Toutes les passions sont, selon le Camus, centrales dans le développement de la folie, puisqu’elles « nous trompent & nous font voir ce que nous désirons, ou ce que nous évitons, & non pas ce qui est97. » Le médecin Jean Colombier (1736-1789) aborde

lui aussi l’importance des passions dans le développement de la folie. Elles sont à son avis une des causes de la manie et jouent un rôle essentiel dans le développement de la mélancholie, qui tire entre autres son origine de « l’oisiveté, une vie molle, des méditations métaphysiques, des chagrins profonds dévorés dans un long silence98 ».

Même perspective dans l’œuvre de Daquin, qui décrit de son côté que « la force qu’acquiert le tempérament en avançant en âge; les passions surtout auxquelles on devient sujet; l’état qu’on se propose d’embrasser ou auquel on s’est destiné, toutes ces causes [...] nous font tomber dans la folie99. »

En conclusion, la vision du fonctionnement de l’esprit par les médecins au XVIIIe siècle est essentielle à la compréhension des rapports entre l’âme et le corps,

lesquels permettent de dissocier l’une de l’autre et deviennent centraux dans l’analyse des manifestations et des causes de la folie, comme nous allons le voir dans la prochaine section à travers la nosographie de la folie. Sans cette profonde mutation dans la compréhension de la nature de l’esprit, la médecine n’aurait pu revendiquer le traitement de la folie : il fallait dissocier âme et esprit pour que le travail médical puisse se justifier. Sans établir une cause terrestre, concrète et matérielle à la déraison, les médecins de la folie du XVIIIe siècle n’auraient pas pu aller à la rencontre du fou et développer leurs

traitements.

97 Ibid., p. 58.

98 J. Colombier, op. cit., p. 39. 99 J. Daquin, op. cit., p. 18.