crimen'obtiendra de
moi
les honneurs que mérite la vertu,mais
quiconque auramontré du
zèle pour sa patrie, je l'honorerai après samort comme
de son vivant(1). » Ces principes,Créon
lesdéveloppe encoreà
sonfils. «Quiconque, dans soninsolence, transgresse les loisetprétendcommander
à ses chefs, ne saurait obtenirmes
éloges.«Ilfaut écoutercelui quel'Etat
a
choisipourmaître.Oui,jeréponds d'un telcitoyen ; il saura
commander
etne refuserapasd'obéir.
Dans
lesoragesdelaguerre^ilsemaintiendra, loyal etcourageux,
au
poste qui lui sera confié. Il n'estpoint depire fléauque l'anarchie:elle détruitlesEtats, elle bouleverse les familles, elle
provoque dans les
combats
la déroute des armées, tandisque laplupart des guerriers qui restentfermesà leur poste doiventleursalutàl'obéissance.Il fautdonc
maintenirles lois établies(2). »La
loi estsouveraine. Ellene doit fléchirque devantune
loi plus haute,la loi de la conscience ;Antigonele prouve(3).
Mais
la loi est une formule abstraite.Comment
l'interpréter,
comment
l'appliqueraux
réalitésdelavie?Les uns l'appUquent àla lettre :
dura
lex, sedlex.Ilsne connaissent que l'obéissanceaveugle.
Ce
sontlestyranset les despotes,les
Créon
et lesMénélas, espritsà
vuesétroites, esprits formaUstes.Lesautres l'appliquent avecintelUgence et largeur de vues: ilss'inspirent
du
bien supérieurde l'Etat et descitoyens.Ce
sontlesŒdipe
etlesThésée.«
Dans
les300 premiersvers de VŒdipe
Roi,Sophocle nousdépeintŒdipe comme un
roimodèle,jouissantd'une autorité souveraine et incontestée, et admiré autant(1)Antig,, 162 sq.
(2)Antig., 663 sq.
(3) Lire, dans Revue de métaphysiqueet demorale, un article remarquable deM. Boutroux: «La conscienceindividuelle etla loi» (janvier1906).
LES IDÉES
MORALES
DE SOPHOCLE 79 qu'aimé deses sujets.On
l'aime poursa bonté toute paternelleetpourlesservicesqu'ila déjà rendus ;on
l'admire pour sa clairvoyance, sa sagesse et sonbonheur
;on
le vénère presqueà l'égald'undieu ;on
s'adresseàlui dans lemalheur
avecune
entière con-fiancecomme
àun
êtresupérieur,àun
àXe^ixaxoç incom-parable, dont l'expérience, les lumières, la fortune peuventseules trouverun remède au
fléauqui ravageThèbes
etlasauverune
seconde fois.Œdipe
est vérita-blementdigne d'inspirer ces sentiments,non
seulement parl'intelligence et le courage qu'il a déployés jadis contreleSphinx
etlamanière dontila régné jusqu'à cejour,maisaussiparla sollicitudequ'iltémoigne à son peupledans lescirconstances pénibles qu'iltraverse.Il ressent, delasouffrance deses sujets, une douleur pro-fonde ; sesjoursetses nuits se passentà chercher lemoyen
d'enrayer lefléau (1). » « Jesais bien, dit-il,que vous souffrez tous, mais si souffrants que fous soyez,nulde vous nel'estautantque moi, car
chacun
de vousn'aque sapeine, étrangère à celle d'autrui;
mais
moi, c'estsur la ville,survousquejepleure(2). » Il estune
citémodèle, « qui pratique la justice,où
rien nese faitque par laloi, » cité gouvernée par le plusgénéreuxdesrois,Thésée. Cettecité,c'estAthènes.Le
poète chante Athènes avec l'ardeurdu
plus pur patriotisme.« S'il
donne
pourthéâtreàl'action l'ombre des oli-viers et despampres où
son enfance s'est écoulée, Sophocle adéployédans lelointain,surla toiledefond, la lignedesremparts d'Athènesetlesspectateursaurontconstamment
souslesyeux
l'image de leur cité, que toutes lesscènesdu drame
glorifient.. .Le
panégyrique d'Athènesa
soncentrelumineux
dansle célèbre mor-ceaulyrique, que, suivant la tradition, Sophocle lut devantlesjuges, pour repousser les imputations diri-gées contreluiparsonfilslophon.Ce chœur
admirable, Dlacéau
milieude latragédie,n'est pas seulementun
(1)Allèore,op. cit.,332.
(2)Œd. Roi, 59-64.
80
LES IDÉESMORALES
DE SOPHOCLEhymne ému du
poèteen l'honneur deson bourg natal^de Colone
au
sol blanc, nidde verdureetde fleurs peu-pléderossignols, rafraîchi parleseaux
viveset fécon-dantesdu
Céphise, séjour préféré de Dionysos, d'Aphrodite et desMuses
; il est la glorification del'Attique entière, de safertilité,deses olivierssacrés, troncs centenaires protégés parla vigilance de Zeuset d*Athéna, redoutés et respectés des ennemismôme
;ils'adresse àlamétropolefière àbon droitdes présents inestimables dePoséidon, lecheval
aux
bellesformesetà
la bouchedocileet le navire qui bat les flots de sesrames
agiles : symboles ingénieux desdeux
éléments dela forceetdelagloire nationales, de la cavalerie et delamarineathéniennes. Sophocle nepouvait choisir pourcechœur une
place plus heureuse. Les Athéniens viennent d'accueillirŒdipe
parmieux
etdelui confé-rer, pourainsi dire, ledroitde cité: lenouveau
citoyen d'Athènesdevaitdonc apprendretoutleprixdelafaveur quiluiétaitaccordée etjouirpar avance descharmes
desa future patrie...Ce
quifait lasupérioritépohtiqued'Athènes, c'estla sagesse desinstitutionsde la cité et de sa pohtique ; c'est lahaute prudencede l'aréopage, aussi ancienque lavillequ'ils'appHaueàpréserver de l'impiété et des souillures ;ce sontles principesdejusticequi présidentaux
déhbérationsetaux
entreprisesde ce peupleforméd'hommes
libres etchez lequeltoutsesoumet
à l'auto-ritéde laloi ; c'est surtout la vaillance des citoyens, leur courage mihtaire et leurs triomphes guerriers.Quand
lesAthéniens prennent les armes, ce n'est ni parintérêt ni par ambition ; c'est pour repousser les attaques injustesou
défendre les opprimés ; alors leur bravouredevientirrésistible. Ajoutonsque, grâceà
Théséequi la personnifie, cettebravoure prend dans lapiècelemême
airchevaleresquequecelledes antiques héros bienfaiteurs de laGrèce(1). »Enfinlasupérioritémorale d'Athènes vientde cette
(1)ALLÈGRE,op, cit.»241-242;244-245.
LES IDÉES
MORALES
DE SOPHOCLE81
piété dont
nous
avonsdéjàparlé. «On
dit,remarque Œdipe,
qu*Athènes estlaplusreligieusedes cités, que seuleelleestcapable desauver Tétranger malheureux, seuleenétat dele secourir... Etrangers, ne ternissez pas l'éclatde l'heureuseAthènes pardes actes impies,mais
défendezetprotégez lesuppliant quia
reçu votre foi (1). »Au
dénoûment,ilsemblequeladivinité,en
élevantŒdipe au rang
des hérosimmortels,seproposesurtout« d'établirsur des bases inébranlables la prospérité de la cité