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Du parti d’opposition au parti d’Etat : le KSČ et le SED au début des années 1950

Chapitre 1 : Des partis au pouvoir

Entre 1945 et le début des années 1950, les partis communistes de la zone d’occupation soviétique et de Tchécoslovaquie passent du statut de groupe politique marginalisé à celui de parti d’Etat et de parti de masse. Cette évolution peut se lire d’abord comme l’histoire de leur accession au pouvoir, qui permet à ces partis de mettre en œuvre une partie de leur programme de transformation radicale de la société. Mais il faut aussi la lire comme une profonde mutation interne, dans un contexte géopolitique changeant : ces « partis » ne correspondent pas aux mêmes réalités en 1945, en 1948 et en 1953. Les événements de juin 1953, qui ébranlent le SED et le KSČ posent finalement la question de la fiabilité de la base de ces partis fraîchement soviétisés.

Des« démocraties populaires » à la « construction du socialisme » Le passage du statut de parti marginal à celui de parti d’Etat se fait selon des modalités différentes d’un pays à l’autre entre 1945 et 1950. En zone d’occupation soviétique, les communistes allemands reviennent au côté des troupes d’occupation dans un pays dévasté et hostile. Avec la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie, l’Allemagne est en effet dans le camp des perdants à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le SED, né en avril 1946 de la fusion précoce entre communistes du KPD et sociaux-démocrates du SPD, passe ainsi pour le « parti des Russes ». Les faits de résistance des communistes et sociaux-démocrates ne constituent qu’une ressource limitée pour légitimer le nouveau parti auprès d’une population marquée par douze années de propagande nationaliste et raciste, une guerre et le traumatisme de l’occupation. Dans le discours officiel, l’année 1945 est célébrée de manière ambivalente comme celle de la « libération du fascisme hitlérien ».

Au contraire, avec la Yougoslavie, l’Albanie et la Pologne, la Tchécoslovaquie fait partie du camp des vainqueurs. A la différence d’un pays comme la Pologne, l’Union soviétique y est perçue, par les dirigeants politiques et par une grande partie de la population, comme une puissance libératrice et un allié sûr après l’abandon par les puissances occidentales lors des accords de Munich en septembre 1938. Les communistes, en se présentant comme les meilleurs alliés de Moscou, profitent de la popularité de l’URSS, particulièrement importante dans les Pays tchèques, mais plus modérée en Slovaquie, théâtre de durs combats en 1945. Le KSČ remporte ainsi les élections de mai 1946 avec 38% des voix (40% dans les Pays tchèques, mais seulement 30% en Slovaquie)1. Outre leur proximité avec l’URSS, les communistes représentaient entre 1938 et 1945 la seule force politique cohérente au sein de la résistance aussi bien dans le Protectorat de Bohème-Moravie sous domination allemande qu’en Slovaquie formellement indépendante2. En 1945, il est la seule force politique présente sur l’ensemble du territoire, ce qui fait de lui, de manière inédite, le porteur du projet de refondation nationale tchécoslovaque3. Le KSČ acquiert une popularité décisive en s’impliquant dans l’expulsion des minorités allemandes des Sudètes. Initialement décidée par Edvard Beneš et autorisée à l’issue de la conférence de Potsdam, l’expulsion profite en fait avant tout aux communistes qui la mettent en œuvre en redistribuant les biens des expulsés et en s’accaparant l’image de garants de la souveraineté nationale4.

Ces points de départs opposés contribuent à donner une place très différente au parti communiste dans les deux pays. En zone d’occupation soviétique, l’Administration militaire soviétique (Sowjetische Militäradministration Deutschlands ou SMAD) exerce les pouvoirs régaliens, mais également des pouvoirs économiques et administratifs. Cela fait du SED, même sous la tutelle de la SMAD, le principal centre de pouvoir. Par conséquent, lorsque la République démocratique allemande est fondée le 1er octobre 1949, le SED dispose déjà d’un monopole du pouvoir incontesté. La situation est différente en Tchécoslovaquie, qui redevient un Etat souverain à l’issue de la guerre. Entre 1945 et 1948, sur un modèle qui rappelle dans une certaine mesure celui de la première République d’avant-guerre, les partis rivalisent entre eux pour le contrôle de l’appareil d’Etat, chacun d’entre eux tentant de s’approprier un ou plusieurs ministères5 : l’Intérieur et l’agriculture pour le KSČ, les affaires sociales et

1 Sur les élections de 1946, voir Jiří Sláma et Karel Kaplan, Die Parlamentswahlen in der Tschechoslovakei 1935-1946-1948. Eine statistische Analyse. (Munich: Oldenbourg Verlag, 1986).

2 Suda, Zealots and Rebels, pp.164–165 et pp.173–174.

3 Jacques Rupnik, Histoire du Parti communiste tchécoslovaque: des origines à la prise du pouvoir (Paris: Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1981), p.217; Blaive, Une déstalinisation manquée, pp.143–145.

4 Blaive, Une déstalinisation manquée, pp.129–133 et p.144.

5 Heumos, « Probleme des Neuanfangs », p.370.

l’industrie pour les sociaux-démocrates, les affaires étrangères et la justice pour les socialistes nationaux. Le KSČ, bien qu’en position de force, doit donc faire des compromis avec les autres partis. En outre, certains corps existants conservent une grande part d’autonomie, tels que l’armée6, la justice7 ou l’université8, autant d’institutions dont la continuité avec la période d’avant-guerre est brisée dès 1945 en Allemagne.

Malgré ces points de départ très différents pour le KSČ et le SED, les politiques menées en Tchécoslovaquie et dans la zone d’occupation soviétique entre 1945 et 1948 sont par bien des aspects comparables : politique d’épuration à l’encontre des collaborateurs en Tchécoslovaquie et dénazification en Allemagne, nationalisation de la grande industrie, réforme du système bancaire et réforme agraire. Ces réformes prennent place dans un modèle commun, celui des « démocraties populaires », conçu à l’intention des pays de la sphère d’influence soviétique et censé s’appliquer à des régimes politiques jugés intermédiaires entre le capitalisme et le socialisme. Il permet notamment aux partis communistes dans chaque pays d’afficher des « voies nationales », comme le fait Anton Ackermann au sein du SED et Klement Gottwald lui-même pour le KSČ9.

Dès les années 1945-1948 apparaissent donc certaines configurations précocement mais durablement définies. Il y a tout d’abord le rapport à la nation : au projet national pleinement assumé par le KSČ s’oppose, du côté du SED, une politique nationale réelle mais sélective et problématique, étant donné l’héritage du nazisme et la division allemande10. Il y a ensuite le rapport à la puissance occupante : le SED est arrivé au pouvoir en tant qu’auxiliaire de l’Administration militaire soviétique alors que les dirigeants du KSČ ont mené leurs politiques de manière relativement autonome et théoriquement souveraine entre 1945 et 1948.

Il y a enfin la position du parti par rapport à l’Etat : considéré en tant qu’organisation, l’Etat apparaît en RDA comme subordonné au parti qui lui préexiste ; au contraire, il existe en Tchécoslovaquie une forme de dualisme entre le parti et l’Etat, qui s’exprime dans le dédoublement des fonctions de premier secrétaire du parti et de président de la République,

6 Jiří Valenta et Condoleeza Rice, « The Czechoslovak Army », dans Communist Armies in Politics, éd.

par Jonathan R. Adelman (Boulder, Col.: Westview Press, 1982), pp.130–135.

7 Otto Ulč, The Judge in a Communist State (Columbus, Ohio: Ohio State University Press, 1972), pp.10–

12. 8 J.Francis Connelly, Creating the Socialist Elite : Communist Higher Education Policies in the Czech Lands, East Germany and Poland 1945-1954 (Cambridge, Mass.: Harvard University Press, 1994), pp.2–12.

9 Voir pour le KSČ Blaive, Une déstalinisation manquée, p.147; pour le SED voir Malycha, Die SED, pp.123–124.

10 Sigrid Meuschel, « Politisch-kulturelle Kontinuität im Nachkriegsdeutschland und die Legitimitätsansprüche der SED (1945-1949) », dans Lebensstile und Kulturmuster in sozialistischen Gesellschaften, éd. par Krisztina Mänicke-Gyöngyösi et Ralf Rytlewski (Cologne: Wissenschaft und Politik, 1990), pp.25-50.

respectivement exercées par Rudolf Slánský et Klement Gottwald jusqu’en septembre 1951, puis par Antonín Zápotocký et Antonín Novotný après la mort de Gottwald en mars 1953.

L’année 1948 correspond sur le plan international à un durcissement qui va de pair avec l’entrée dans la Guerre froide. La zone d’influence soviétique de 1945 se transforme peu à peu en un « bloc » institutionnalisé sur le plan idéologique par le Kominform créé en octobre 1947, sur le plan économique par le Conseil d’aide économique mutuelle (CAEM) fondé en janvier 1949 et doté d’institutions en 1954 et sur le plan militaire par le pacte de Varsovie signé en mai 1955. Dès 1947, le modèle des « démocraties populaires » est abandonné : bien que le terme continue à qualifier officiellement ces Etats, il cesse de désigner un modèle intermédiaire entre capitalisme et socialisme. Désormais, l’URSS devient le modèle à suivre, ce qui engage ces pays dans la « construction du socialisme ». Cette entreprise implique une concentration du pouvoir entre les mains du parti communiste pour transformer radicalement la société : transformation économique, avec le passage à l’économie planifiée, mais aussi transformation culturelle avec l’encadrement de la jeunesse et la militarisation de la société.

En RDA la « construction du socialisme » a un commencement précis : elle est au centre de la IIe conférence de parti de juillet-août 1952, au cours de laquelle sont annoncées plusieurs mesures fondatrices : la réorganisation administrative du pays, la collectivisation, l’introduction d’une profession de foi laïque (Jugendweihe) ainsi que le développement d’une force armée est-allemande. En Tchécoslovaquie, le slogan de la « construction du socialisme » est omniprésent, même ne correspond pas à un moment précis. On peut la faire commencer en 1949 avec la conquête de l’appareil d’Etat, les débuts de la collectivisation agricole et ceux du premier plan quinquennal.

Dans un premier temps, l’année 1948 met fin à la politique d’alliance pratiquée depuis 1945 par les partis communistes au sein des « Fronts nationaux ». En Tchécoslovaquie, le KSČ, à l’issue d’une crise gouvernementale dont il sort vainqueur, parvient au pouvoir le 25 février 1948, lors du « coup de Prague ». Dans toutes les usines, les administrations et les universités, une multitude de « comités d’action » (akční výbory) se forment au printemps et au cours de l’été 1948, en général dirigés par des communistes, qui mènent une épuration systématique du personnel dans leurs domaines respectifs. Leur action est particulièrement importante dans les ministères qui n’étaient pas sous influence communiste, en particulier ceux de la Justice et des Affaires étrangères, dans les institutions qui avaient gardé une part d’autonomie importante, comme les universités et l’armée, et même dans les anciens partis concurrents du KSČ dont l’autoépuration est véritablement téléguidée par les responsables

communistes11. Parallèlement à cette épuration, le recrutement du KSČ s’ouvre largement au personnel d’encadrement des entreprises, au personnel administratif des ministères et aux membres des anciens partis qui étaient il y a peu ses concurrents12. Le KSČ s’empare donc de l’appareil d’Etat de deux manières apparemment contradictoires, mais en réalité complémentaires : par l’épuration et par l’entrisme.

En RDA, la situation est toute différente : dans la mesure où les fonctions régaliennes et une partie des fonctions économiques sont prises en charge par l’Administration militaire soviétique, la question de la conquête de l’appareil d’Etat ne se pose pas. Il s’agit plutôt d’une transmission du pouvoir qui s’effectue entre 1949, avec la fondation de la RDA le 1er octobre, et 1954, avec la reconnaissance de la souveraineté de la RDA et la dissolution de l’Administration militaire soviétique en août. C’est pourquoi les enjeux ne se cristallisent pas sur l’appareil d’Etat mais sur le parti lui-même amené à l’exercer à terme : en juin 1948, la transformation proclamée du SED en « parti de type nouveau » manifeste officiellement la rupture avec le projet – théorique – d’un parti ouvrier héritier des traditions sociale-démocrate et communiste13. Cette rupture se concrétise par une campagne contre le « social-démocratisme » destiné à éliminer tous les anciens sociaux-démocrates critiques au sein du SED14.

La prise en main de l’appareil d’Etat n’a pas seulement pour but d’étouffer toute opposition. Elle est aussi une condition pour mettre en œuvre un programme, celui du passage à l’économie planifiée, qui se traduit par les premiers plans quinquennaux de 1949 à 1953 en Tchécoslovaquie et de 1951 à 1955 en RDA. Ce passage à l’économie planifiée s’accompagne de la reprise des méthodes productivistes soviétiques inspirées du stakhanovisme : sur la base d’exemples individuels à suivre, tels ceux du mineur Adolf Hennecke et de l’ouvrière du textile Frieda Hockauf en RDA ou celui, moins connu de Václav Svoboda en Tchécoslovaquie, il s’agit de faire accepter l’augmentation continue des normes ou le passage au salaire à la pièce15. Dès 1949 en Tchécoslovaquie et à partir de 1952 en RDA, les deux régimes lancent également une politique de collectivisation des terres, prévoyant la formation de coopératives agricoles sur une base théoriquement volontaire, mais accompagnée dans les faits de diverses formes de pressions allant jusqu’à la contrainte pure et

11 Kaplan et Svátek, « Die politischen Säuberungen in der KPTsch », p.94.

12 Ibid., p.95.

13 Malycha, Die SED, p.297.

14 Ibid., pp.375–383.

15 Voir pour la RDA Kott, Le communisme au quotidien, pp.120–121; pour la Tchécoslovaquie Peter Heumos, « “Wenn Sie sieben Turbinen schaffen, kommt die Musik” Sozialistische Arbeitsinitiativen und egalitaristische Defensive in tschechoslowakischen Industriebetrieben und Bergwerken 1945-1965 », dans

simple et à la condamnation aux travaux forcés, surtout en Tchécoslovaquie, dans le cadre d’une masse de procès politiques. Dans le domaine administratif, les deux Etats refondent leur organisation sur le modèle soviétique à trois échelons qui devient aussi celui du parti communiste : les arrondissements (Kreise / okresy) sont subordonnés aux districts (Bezirke / kraji), eux-mêmes subordonnés au pouvoir central. Dès 1949, une nouvelle carte administrative, réduisant le nombre d’unités administratives est adoptée en Tchécoslovaquie.

En RDA, les cinq Länder, créés à l’origine dans l’idée de former un Etat fédéral, sont remplacés par quatorze districts (plus Berlin Est) en août 1952.

Dans un contexte international de plus en plus tendu après l’éclatement de la guerre de Corée en 1950, les régimes connaissent une militarisation croissante. Les besoins en armement justifient l’orientation économique vers l’industrie lourde, un choix qui pèse lourdement sur l’économie tchécoslovaque16. L’armée joue un rôle de plus en plus important : c’est le cas en Tchécoslovaquie sous la direction d’Alexej Čepička, ministre de la Défense et gendre de Gottwald, qui organise l’armée entre 1949 et 1953 comme un véritable Etat dans l’Etat17 ; c’est aussi le cas, mais dans une moindre mesure, en RDA avec la mise en place d’un embryon d’armée, la Police populaire encasernée (Kasernierte Volskpolizei), créée dès 1948, dont le recrutement est relancé en 1952 de manière volontariste mais sans grand succès au sein d’une population hostile à la militarisation18.

A partir de 1948, la dimension répressive des régimes s’accentue, non seulement des suites de l’étouffement des oppositions aux partis communistes mais aussi et surtout des suites de la mise en œuvre de leurs politiques : la résistance à la collectivisation agricole, la persécution des Eglises, l’explosion des délits pour criminalité économique, tous ces phénomènes contribuent au tournant répressif des régimes. La répression connaît dès 1945 un niveau élevé en zone d’occupation soviétique, future RDA. Mais elle est principalement le fait des forces d’occupation soviétiques qui dirigent les camps de concentration et de travail destinés aux anciens nazis présumés, mais où se retrouvent aussi des opposants au SED ou à la politique de l’Administration militaire soviétique19. En Tchécoslovaquie au contraire, après l’épisode de l’expulsion des Allemands des Sudètes, la répression d’Etat reste faible. Ce sont deux lois d’octobre 1948, dites 231 et 247, l’une sur la « défense de la République », l’autre

Sozialgeschichtliche Kommunismusforschung. Tschechoslowakei, Polen, Ungarn, DDR, éd. par Peter Heumos et Christiane Brenner (Munich: Oldenbourg Verlag, 2005), pp.145–150.

16 Valenta et Rice, « The Czechoslovak Army », p.138.

17 Cette militarisation est bien décrite par Karel Kaplan dans ses mémoires, voir Karel Kaplan, Dans les archives du Comité Central: trente ans de secrets du bloc soviétique (Paris: A. Michel, 1978), pp.163–164.

18 Ross, Constructing Socialism at the Grass-Roots, pp.74–77.

sur « les camps de travaux forcés », qui vont entraîner l’explosion des arrestations arbitraires, l’emprisonnement de masse et le développement du travail forcé en général. Ils touchent les opposants au régime, les ecclésiastiques, les paysans opposés à la collectivisation et ont concerné entre 100 000 et 150 000 personnes20. La sanction était souvent précédée d’un procès public, sur le modèle de ceux mis en place contre les leaders des partis opposés au KSČ. Ces derniers atteignent un retentissement national voire international, en faisant comparaître des figures de la vie politique, telle la dirigeante du parti socialiste national Milada Horáková, condamnée à mort et exécutée en juin 1950.

Entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et le début des années 1950, le SED et le KSČ, dans des contextes différents, parviennent donc à s’établir au pouvoir : ils concentrent peu à peu entre leurs mains le monopole de l’exercice du pouvoir en éliminant toute opposition ou concurrence par la répression ou l’intimidation, mais aussi en usant de séduction ou en réalisant certaines attentes de la population. Ce monopole leur permet d’imposer, à des rythmes différenciés, de profonds changements dans la vie économique et sociale. Réalisés dans des contextes nationaux différents, avec ou sans la présence de troupes d’occupation soviétiques, tous ces changements sont convergents et s’observent sous des formes similaires dans les autres pays de la sphère d’influence soviétique qui se constitue peu à peu en bloc.

Des partis soviétisés

La concentration du pouvoir entre les mains du parti, ou plutôt de sa direction de plus en plus resserrée, s’accompagne d’une transformation continue de ses institutions à partir de 1948 : alors qu’entre 1945 et 1948 le SED et le KSČ ont encore un certain nombre de spécificités tenant aussi bien à leur contexte d’expansion depuis 1945 qu’à leurs traditions politiques propres, leur fonctionnement s’aligne à partir de 1948 entièrement sur le modèle du PCUS. C’est la raison pour laquelle on peut parler de « soviétisation » institutionnelle de ces partis.

Stalinisation, bolchevisation, soviétisation

Il peut sembler paradoxal d’appliquer le terme de soviétisation à des partis communistes. Dans l’historiographie allemande, c’est le terme de « stalinisation » qui est

19 Sur ce point, voir la récapitulation de Hubertus Knabe dans « Die Zentren der Repression. Lager und Haftanstalten in Ostdeutschland », dans Bilanz und Perspektiven der DDR-Forschung (Paderborn: Schöningh, 2003), pp.133-140.

20 Pour une mise au point critique sur ces chiffres, voir Blaive, Une déstalinisation manquée, p.94.

généralement privilégié, fondé de manière plus ou moins explicite sur la définition du stalinisme que donne l’historien Hermann Weber : un régime caractérisé par l’arbitraire politique généralisé, le culte de la personnalité, la dictature d’un parti appuyée sur la police politique, le principe du centralisme démocratique, le système de la nomenclature et le monopole de l’information, de l’éducation et de l’organisation21. Réunir ces différents éléments sous l’étiquette de stalinisme peut sembler paradoxal dans la mesure où ils survivent tous, sauf les deux premiers, au-delà de la mort de Staline et au-delà de ce que l’on nomme par ailleurs « déstalinisation ». Il est en outre problématique de désigner un type de régime ou d’exercice du pouvoir par un terme qui renvoie à un individu en particulier et à des pratiques de pouvoir liées à un dirigeant unique plus qu’à un modèle institutionnel qui lui a survécu.

C’est pourquoi on privilégiera plutôt le terme de « soviétisation », qui renvoie plus précisément à un système existant dans la durée, adopté ou imposé dans d’autres sociétés que la société soviétique. Le terme de soviétisation ne se limite d’ailleurs pas seulement aux partis communistes : les Etats, les économies nationales et une partie des relations sociales connaissent aussi ce phénomène.

Mais le paradoxe consiste surtout à parler d’une soviétisation de partis communistes, dans le sens où ceux-ci devraient être déjà en eux-mêmes des calques soviétiques. La soviétisation des partis trouve évidemment une partie de ses origines dans la tradition organisationnelle du KPD et du KSČ de l’entre-deux-guerres. Ces deux partis ont déjà subi un processus dit de « bolchévisation » entre 1921 et 1928, à l’issue duquel les partis communistes acceptent sans conditions les directions nationales imposées par l’Internationale

Mais le paradoxe consiste surtout à parler d’une soviétisation de partis communistes, dans le sens où ceux-ci devraient être déjà en eux-mêmes des calques soviétiques. La soviétisation des partis trouve évidemment une partie de ses origines dans la tradition organisationnelle du KPD et du KSČ de l’entre-deux-guerres. Ces deux partis ont déjà subi un processus dit de « bolchévisation » entre 1921 et 1928, à l’issue duquel les partis communistes acceptent sans conditions les directions nationales imposées par l’Internationale

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