• Aucun résultat trouvé

La partie non méthodique de la recherche

I. INTRODUCTION

2. La partie non méthodique de la recherche

Ci-après, nous dévoilons quelques éléments de la partie non méthodique de la recherche (Saada-Robert & Leutenegger, 2002), démarche que Pourtois et al. (2001) nomment triangulation interne, celle consistant en une réflexion que le chercheur devrait s’imposer

« (…) sur ses motivations, son histoire, ses croyances afin d'assurer la fiabilité de sa recherche » (p. 30). Par partie «non méthodique », nous nous référons à Saada-Robert &

Leutenegger (2002) qui estiment qu’au départ de toute recherche, une vision ou une compréhension du monde culturellement définie est présente chez le ou les chercheurs qui a une répercussion sur le moment méthodique de la recherche. Le « moment méthodique »

correspond au moment où les données sont expliquées. Il s’agit à la fois de mettre en évidence quelques croyances et surtout beaucoup de questionnements.

Parler pour apprendre ?

Nous nous référons ici à un colloque (Nonnon, Perrin & Tissoires, 2004) dont le titre était « Faut-il parler pour apprendre ?». Nous n’allons pas discuter de la nécessité de l’activité langagière pour apprendre (Bronckart & Schneuwly, 1992 ; Vygotski, 1978, 1997), mais plutôt du rôle de l’activité verbale interactionnelle. Certains auteurs, comme Halté (1995), posent comme hypothèse que l’activité interactionnelle est décisive à l’apprentissage parce qu’elle constituerait la base de l’activité cognitive de l’apprenant. Sans entrer dans le débat épistémologique engendré par cette hypothèse, relevons simplement que les interactions langagières seraient alors constitutives de l'apprentissage. Celui-ci résulterait, en effet, d'une négociation de sens permise par le langage. Nous nous permettons de nuancer ce propos dans la mesure où, d’une part, les interventions langagières n’auraient aucun effet si elles n’étaient pas intériorisées, réorganisées dans l’histoire cognitive de chaque individu, d’autre part, en considérant que la parole n’est pas le seul médium de l’apprentissage de la littératie.

Toutefois, elle est le médium principal de l’enseignement-apprentissage (Bucheton, 2005) en situation institutionnelle. La verbalisation constitue également une trace facilement accessible pouvant témoigner de processus cachés. Il est, en effet, difficile d’inférer des processus à partir d’une activité ne laissant pas de traces, comme la réflexion solitaire. Alors à la question

« faut-il parler pour apprendre ? » nous répondons évidemment que oui, tout en admettant que la parole n’est pas la seule dimension par laquelle on apprend.

Nous postulons donc que la verbalisation constitue un outil central dans les situations formelles d’apprentissage, c’est-à-dire qui se caractérisent par le fait d'avoir pour finalité explicite la transmission des savoirs (Brossard, 1998) et que c’est un moyen très attractif pour le chercheur puisqu’il est observable et appréhensible. Les interactions verbales ne sont pas transparentes pour autant. Si elles sont « observables », il s’agit encore de les interpréter. La question qui se pose également concerne les caractéristiques qu’elles devraient contenir pour favoriser l’apprentissage. Il s’agit dès lors d’élaborer des outils pour interpréter les interactions verbales et pour cerner les manières pour un enseignant et un apprenant d’interagir verbalement pour permettre la construction des connaissances chez l’apprenant.

Rendre compte des processus d’apprentissage ?

Au départ de cette recherche, nous avions l’ambition d’observer des signes reflétant un processus d’apprentissage, d’être témoin du moment où une personne dit « j’ai compris » en

ayant réellement compris, et d’être en mesure de capter immédiatement ce qui avait amené à cette compréhension. Nous avions en tête des souvenirs d’école, de moments « heuristiques » survenant suite à une phrase, un mot prononcé à un moment particulièrement propice, par l’enseignant. C’est ce genre de souvenir qui nous a laissé croire qu’il était possible d’

« observer l’apprentissage ».

Nous sommes convaincue qu’un mot ou une simple phrase dits au bon moment par l’enseignant permet à l’apprenant de comprendre et ainsi de construire des connaissances. La question qui se pose à l’enseignant est de savoir quel mot, quelle phrase va résonner chez tel apprenant, va constituer le « déclic » lui permettant d’aller plus loin. La question qui se pose au chercheur est de comprendre ce qui induit ce déclic et de déterminer les indices sur lesquels se baser pour considérer que l’énoncé en question a facilité le processus d’apprentissage.

Partir de l’apprenant pour mieux enseigner ?

Partir de l'apprenant pour mieux enseigner n'est pas une idée nouvelle - mais encore faut-il savoir ce que cela implique, ou comment cela est possible. Au niveau cognitif - concernant la langue écrite - plusieurs théories d'acquisition par étapes ou phases ont été mises en avant. Des recherches prenant comme point de vue ces théories montrent la construction de stratégies d’acquisition à l'intérieur de ces étapes. Pour rendre l'enseignement plus adéquat aux apprenants, l'observation et la prise en compte de ces stratégies peut représenter un apport enrichissant (Balslev, 2000). Les entretiens d'explicitation ou les entretiens cliniques piagétiens sont également des moyens de comprendre ce qui se passe dans la « tête » de l'apprenant.

La question qui se pose se situe pour nous tant du côté de l’enseignant que de celui de l’apprenant. Du côté de l’enseignant, nous nous questionnons à propos des gestes permettant de s’ancrer sur les significations de l’apprenant. Du côté de l’apprenant, nous nous demandons quels sont les gestes permettant de rendre ses significations accessibles. En d’autres termes, quels sont les gestes débouchant sur une zone de compréhension commune à l’enseignant et à l’apprenant ?

Le rôle du contenu de savoir dans l’enseignement-apprentissage

Qu’est-ce que différencie l’enseignement-apprentissage du français écrit de celui d’autres matières ? Prenons deux personnes face à une boule de pâte à modeler. L’une connaît bien la matière, les formes « légitimes » du résultat final, l’autre les connaît peu ou mal.

L’une pré-modèle la pâte pour faciliter le travail de l’autre, pour l’amener à se concentrer sur quelques aspects. Il lui laisse faire avec un regard bienveillant, ou alors lui laisse seulement une partie, en fonction de ses capacités. Peu à peu, les deux modèlent ensemble une assiette, un vase, une figure. Puis, plus tard, ailleurs, l’apprenant saura modeler seul son assiette, son vase, etc. C’est ainsi que nous percevions l’enseignement-apprentissage du français écrit.

Évidemment, ce n’est pas si simple. Le français écrit n’est pas une pâte molle qui se laisse modeler. Une assiette se doit d’être fonctionnelle : contenir des aliments, ne pas couler, ne pas rendre les aliments toxiques. Il n’y a pas trop d’obstacles à expliquer pourquoi l’assiette doit être plate, pourquoi elle doit être émaillée avec un émail sans plomb, etc.. Mais le français, comment expliquer que lorsqu’on rédige il faut éviter les répétitions ? Comment expliquer que les L se prononcent dans « ville » mais pas dans « bille » ? Comment comprendre ce qu’est une phrase : une série de mots dont le premier commence par une majuscule et le dernier est suivi d’un point ? Une série de mots contenant un sujet et un verbe ? Une série de mots contenant un message ? Comment transmettre ce qu’est une lettre correcte demandant un renseignement précis ? Bien sûr le français écrit n’est pas seulement le fruit d’une série de conventions arbitraires. Tout s’explique. Le français écrit a une longue histoire que nous n’aborderons pas ici. Il y a évidemment une raison pour laquelle certains noms prennent un X au lieu de S lorsqu’ils sont mis au pluriel. Le français écrit n’est pourtant pas non plus seulement une série de codes, de conventions à apprendre par cœur. Il constitue l’une des formes les plus élaborées de la culture (Brossard, 1998 ; Bronckart, 1996) et son enseignement, comme son apprentissage, sont extrêmement complexes.

Nous considérons que les particularités de l’objet d’enseignement-apprentissage influencent fortement la manière dont il est expliqué, transmis en situation didactique, etc. En cela, notre entrée théorique et empirique est en grande partie didactique (Goigoux, 2001 ; Dufays, soumis ; Bucheton, 2005 ; Aeby Daghé & Dolz, soumis ; Sensevy, Schubauer-Leoni, Mercier, Ligozat & Perrot, 2005.). Nous nous demandons aussi si la tâche ne détermine pas également la manière dont les interlocuteurs se rencontrent ou non autour de l’objet de savoir.

Avec ses particularités liées à son histoire (Catach, 1980, 1990), le français écrit ne s’enseigne pas comme les mathématiques ou comme la géographie. Ce qui revient à dire que les formes socio-historiquement élaborées de chaque contenu d’enseignement déterminent la manière dont celui-ci va s’enseigner-s’apprendre.

Finalement, ajoutons la dimension sociale de l’objet « français écrit ». Un adulte francophone est censé savoir écrire correctement, en respectant plusieurs conventions. Celles-ci diffèrent d’un lieu soCelles-cial à un autre. Les attentes ne sont pas les mêmes face à un message

écrit par le concierge destiné aux locataires de l’immeuble dont il est responsable, face à un courrier électronique destiné à un ami et face à une lettre de motivation pour une demande d’emploi. De plus, les exigences pour fonctionner dans une société industrialisée varient d’une époque à l’autre, celui qui peut être considéré comme lecteur en 2000 ne l’était pas forcément en 1950. Le nombre de personnes se situant dans le niveau le plus bas des tests PISA (OCDE-PISA, 2002) aurait sans doute été plus élevé quelques décennies en arrière. Cet aspect rend donc aussi complexe l’enseignement-apprentissage du français écrit.

Le sens : élément crucial de l’enseignement-apprentissage

Apprendre de manière durable et solide consiste en grande partie à attribuer du sens au savoir. Comprendre que le circonflexe de l’adjectif « sûr » sert à le distinguer de la préposition « sur » peut être suffisant pour accepter le circonflexe. Or les enseignants de français ne connaissent pas le sens de l’orthographe de chaque mot, des règles de syntaxe ou des conventions de rédaction. D’autant plus que les sens sont multiples, ils résultent d’un plurisystème (Catach, 1973, 1980, 1990) et de pratiques socioculturelles diverses (Bronckart, 1996). Nous nous questionnons alors sur la manière dont l’enseignant s’y prend pour proposer un sens aux objets enseignés et sur la façon dont l’apprenant attribue du sens aux objets à apprendre. Rajoute des mots pour placer l’interrogation qui suit Quels sont les signes que les uns et les autres donnent à voir aux autres ?