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Particularités métaboliques du cancer du pancréas

I. Introduction bibliographique

3. Le métabolisme énergétique tumoral

3.3. Particularités métaboliques du cancer du pancréas

La mutation quasi-systématique de Kras dans le cancer du pancréas provoque son activation constitutive et est liée à la reprogrammation du métabolisme tumoral pancréatique caractérisé par une augmentation du flux glycolytique et une diminution de la respiration (détaillé dans la partie « rôle des oncogènes et des suppresseurs de tumeurs dans la modulation du métabolisme énergétique »). Entre autres, les tumeurs pancréatiques mutées sur KRAS ont donc une consommation de glucose exacerbée et redirigent le flux glycolytique vers des voies anaboliques telles que la production de nucléotides, de lipides ou encore vers la voie des hexosamines (HBP) pour la glycosylation des protéines272. En contrepartie, des voies annexes telles que la glutaminolyse se mettent en place pour compenser un apport de carbone suffisant au niveau du cycle de Krebs et assurer toutes les fonctions décrites dans la partie « La glutaminolyse ». Cette reprogrammation métabolique est commune à de

nombreux cancers, et se caractérise par un ensemble d’altérations mitochondriales330 (voir

figure 37). L'activation constitutionnelle de Kras entraîne également la stabilité de c-Myc331, qui régule de nombreuses voies métaboliques (détaillées dans la partie « rôle des oncogènes et des suppresseurs de tumeurs dans la modulation du métabolisme énergétique »), ce qui suggère que certaines altérations de la fonction mitochondriale associées à l'activation de Kras sont en fait dues à une activation de c-Myc.

Figure 37 : Schéma récapitulatif des altérations métaboliques retrouvées dans les tumeurs pancréatiques. De : W. Zhou et coll. 2011.

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De façon surprenante, H. Ying et ses collaborateurs ont montré que les cellules cancéreuses pancréatiques utilisent préférentiellement la partie non oxydative de la voie des pentoses phosphates pour la synthèse de phosphoribosylpyrophosphate (PRPP), précurseur des nucléosides272. En redirigeant le flux de la sorte, la voie oxydative, qui permet normalement le recyclage de NADPH, est contournée. Sans la mise en place d’une voie annexe de recyclage de ce cofacteur essentiel de la cellule, l’équilibre RedOx serait perdu, et la prolifération tumorale rendue impossible. L’équipe de C. Kimmelman a alors mis en évidence que les tumeurs pancréatiques utilisent la glutamine principalement via la voie des transaminases GOT1 et GOT2. GOT2 est une aspartate aminotransférase mitochondriale qui permet la conversion simultanée de glutamate en α-cétoglutarate et d’acide oxaloacétate en aspartate, transporté dans le cytoplasme. Une deuxième aminotransférase GOT1, cytoplasmique cette fois-ci, permet la transformation inverse, ce qui produit de l’oxaloacétate cytoplasmique qui peut être transformé en malate puis en pyruvate par l’enzyme malique ME1. Cette nouvelle voie permet donc de maintenir l’homéostasie RedOx cellulaire en régénérant alors NADPH grâce à ME1332,333 (voir figure 38). Des études de traçage métabolique réalisées par R. J. DeBerardinis et ses collaborateurs ont montré que plus de 60% du carbone dérivé de la glutamine est libéré par la cellule sous forme de lactate ou de CO2334, ce qui implique que le cycle de Krebs est principalement dérivé via GOT1 et GOT2 vers l’enzyme malique pour fournir le NADPH nécessaire à la cellule pour maintenir l’équilibre RedOx. En outre, seulement 5% de la glutamine est incorporé dans les acides gras et 15% dans les protéines279. Dans les cellules normales, la glutamine est plutôt utilisée via la glutamate déshydrogénase GLUD1 pour ravitailler le cycle de Krebs335.

Figure 38 : A. l’utilisation de la glutamine par le cycle de Krebs des cellules tumorales. B. l’utilisation de la glutamine par le cycle de Krebs des cellules tumorales pancréatiques. De : C. A. Lyssiotis et coll. 2013.

Aussi, il a été montré chez les patients atteints de cancer du pancréas une dérégulation de la méthylation en R248 de MDH1 (malate déshydrogénase 1, cytoplasmique), ce qui activerait la consommation de glutamine par les cellules tumorales336. Selon les auteurs, une activation de Kras et/ou un fort stress oxydatif peuvent être responsables de l’inhibition de CARM1 (Coactivator-Associated Arginine Methyltransferase 1) qui méthyle MDH1, ce qui a pour conséquence une surconsommation de glutamine. Ces résultats suggèrent que les tumeurs pancréatiques sont quasiment indépendantes du métabolisme mitochondrial

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puisque la glycolyse et l'utilisation alternative de la glutamine ont lieu dans le cytoplasme. En accord avec cette théorie, Viale et ses collaborateurs ont montré dans un modèle expérimental KRAS ON/OFF que les cellules cancéreuses pancréatiques survivantes à l’ablation de KRAS ont à nouveau les caractéristiques d’un état énergétique OxPhos337.

Comme énoncé dans la partie « activation des voies anaboliques », PKM2 est une enzyme centrale dans la régulation du flux métabolique et sa redirection vers les voies anaboliques. Cependant, l’équipe de M. G. Vander Heiden a montré que PKM2 n’est pas essentiel à carcinogénèse pancréatique. En effet, son invalidation dans un modèle murin de cancer du pancréas n’affecte pas l’induction ni la progression tumorale et ne modifie pas la survie des souris. En revanche, PKM1 est retrouvé surexprimé dans ces tumeurs, suggérant que les fonctions spécifiques de l’isoforme 2 de la pyruvate kinase ne sont pas requises dans le cancer du pancréas338.

Les tumeurs pancréatiques sont caractérisées par un microenvironnement dense qui limite la disponibilité des nutriments et de l’oxygène. En conséquence, les cellules développent des moyens de dégrader la matrice afin d’en récupérer des éléments essentiels à leur croissance. Par exemple, la synthèse de l’aspartate est généralement réalisée dans les cellules cancéreuses à partir de glutamine via le cycle de Krebs. Cependant, cette voie implique plusieurs étapes d'oxydation qui sont limitantes pour les tumeurs pancréatiques. Les tumeurs pancréatiques piègent alors les acides aminés des protéines extracellulaires telles que l’albumine et réalisent leur catabolisme, limitant ainsi leur besoin de synthétiser elles- mêmes l’aspartate339. Aussi, O. Olivares et ses collaborateurs ont montré que les tumeurs pancréatiques dégradent le collagène afin d’en récupérer de la proline, qui représente un quart de la composition en collagène et dont le catabolisme initié par la proline déshydrogénase (PRODH1, mitochondriale) est essentiel à la progression tumorale pancréatique in vitro et in vivo340. La dégradation de la proline génère, entre autres, du glutamate et de l'alpha-cétoglutarate afin de permettre un apport anaplérotique dans le cycle de Krebs.

La signalisation en aval de l’oncogène KRAS active également Drp1 et favorise la fission mitochondriale dans les cancers pancréatiques341. Ainsi, M. Yu et ses collaborateurs ont montré que l’expression de Kras induite dans un modèle cellulaire inductible par la Le cancer du pancréas présente des caractéristiques métaboliques particulières. En effet, les cellules cancéreuses pancréatiques utilisent préférentiellement la partie non

oxydative de la voie des PPP, ce qui empêche la régénération de NADPH. Les tumeurs

pancréatiques utilisent alors la glutamine principalement via la voie des transaminases

GOT1 et GOT2 afin d’alimenter l’enzyme malique pour régénérer NADPH et assurer

l’équilibre RedOx. La glutamine est donc indispensable aux cellules cancéreuses pancréatiques, qui se montrent particulièrement gourmandes pour cet acide aminé. Par contre, PKM2 n’est pas essentiel à la carcinogénèse pancréatique, alors que c’est un régulateur central du flux glycolytique dans d’autres cancers. Enfin, les mitochondries des cellules tumorales pancréatiques mutées sur KRAS sont particulièrement fragmentées du fait de l’activation de Drp1 par Kras.

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doxycycline quadruple le nombre de mitochondries fragmentées254. Ils ont aussi constaté que

les cellules HPNE (des cellules épithéliales pancréatiques humaines utilisées dans cette étude pour contrôler la morphologie des tissus normaux) présentent des mitochondries allongées, de même que la lignée issue d’un patient KRAS WT alors que les lignées cancéreuses pancréatiques issues de patients avec KRAS muté ont des mitochondries fragmentées.