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5. LA DIMENSION DE LA DÉMOCRATIVITÉ

5.2. La participation et les membres

De par sa forme juridique particulière, une coopérative n’opère pas de la même manière que toute autre entreprise. Il y a d’importantes distinctions, surtout au niveau démocratique et participatif. Cependant, ce ne sont pas tous les administrateurs qui réussissent à bien cerner la différence coopérative et à l’intégrer dans le quotidien de l’entreprise. Dans le cas du Mont Adstock, ceux-ci gèrent la coopérative de la même façon qu’une entreprise privée. Les administrateurs ne constatent pas de différence réelle entre la coopérative et l’entreprise privée puisque les deux sont constituées d’un CA, d’une direction et d’employés. Un membre

de soutien a même affirmé que c’était « la même affaire » et un membre utilisateur de la catégorie affaires a avoué : « Au niveau du CA, on le gère comme une compagnie. » Les seuls moments où les administrateurs mettent en valeur la forme juridique de la station est lorsque cela leur permet d’en tirer un avantage quelconque, par exemple, pour bénéficier d’une subvention ou de rabais sur des achats. Ils avouent qu’ils jouent cette carte non pas auprès des membres, mais bien auprès des organisations avec lesquelles ils entretiennent des relations financières. Ils ont déjà, auparavant, sollicité la participation des membres pour effectuer des corvées en insistant sur le fait que c’était pour le bien de la coopérative, mais ceux-ci n’ont pas obtenu les résultats escomptés. En effet, les gens se disent prêts à investir du temps, mais lorsque vient le moment de passer à l’acte, la grande majorité se désiste. Les tâches à effectuer consistent souvent en des travaux lourds et les administrateurs ne croient pas que beaucoup de gens sont disposés à passer leur samedi à déplacer des roches… Cependant, à l’automne 2003, ils prévoyaient réessayer d’attirer les membres pour une corvée en jouant la carte coopérative.

Selon le représentant des membres utilisateurs de catégorie loisir siégeant au conseil d’administration, le fait qu’il n’y ait qu’un seul membre de cette catégorie qui participe à cette instance s’avère une lacune. En effet, le CA commence à être davantage à l’écoute des membres et l’élément qui en ressort est que certaines personnes voudraient bien s’impliquer dans la coopérative, mais ne se sentent pas encouragées à le faire à cause du fait que la place et l’influence des membres utilisateurs de catégorie loisir sont très limitées. Interrogé sur l’importance d’annoncer l’assemblée générale aux membres, un membre du conseil a répondu avec empressement : « Ah oui, c’est obligatoire. » Ces paroles laissent donc supposer que la participation des membres aux assemblées importe peu aux administrateurs et que ces derniers perçoivent leur présence comme une obligation. Les particularités de la formule coopérative, dont l’écoute des membres, semblent être plus un fardeau pour les administrateurs qu’un atout.

Un des administrateurs a affirmé que les employés ne démontraient aucun intérêt pour siéger au CA et c’est pourquoi il n’y avait qu’un membre travailleur et que celui-ci était automatiquement élu au conseil d’administration. Questionnés quant à la possibilité de diminuer les parts de qualification des membres travailleurs afin de susciter le membership, les membres du CA ont répondu qu’ils ne savaient pas de quelle façon les fondateurs s’y étaient pris pour déterminer le coût d’adhésion. Ils ont également affirmé que lors de la constitution, tout s’est déroulé extrêmement vite et vu que le Mont Adstock était la première coopérative de solidarité dans le domaine du loisir, ils ne bénéficiaient pas d’exemple concret sur lequel se baser. Ils ont cependant avoué que ce serait un élément intéressant à considérer puisque cela entraînerait du changement au sein de la coopérative. En effet, la démocratie pourrait réellement être pratiquée au sein des travailleurs, puisqu’ils pourraient élire un représentant au lieu que celui-ci soit automatiquement proclamé ainsi.

Lorsque la coopérative est devenue propriétaire du centre de ski, la vision que partageaient les résidants du milieu par rapport à la station n’était pas très positive. L’ancien propriétaire ne disposait pas de fonds suffisants pour entretenir les infrastructures de façon appropriée, ce qui a engendré leur détérioration. De plus, le Mont n’était pas exploité à sa juste valeur

puisqu’en dehors du ski, il y avait très peu d’activités qui y prenaient place. Les gens n’étaient pas conviés à s’impliquer à cause du statut de propriété privée et ceux-ci se sont blasés d’entendre parler des problèmes associés au centre. Selon un représentant des membres de soutien, la coopérative a réussi à redonner des lettres de noblesse à la montagne et à modifier cette mentalité. D’après cette personne, les skieurs se sentent davantage concernés par le Mont Adstock puisque les infrastructures sont gérées par une coopérative. Ceux-ci sont donc plus conscientisés à l’importance de skier au centre plutôt que de se rendre ailleurs.

Le même représentant affirme que les membres s’adressent aux administrateurs lorsqu’ils ont quelque chose à dire et que ceux-ci abordent ensuite ces sujets lors des réunions. Cependant, malgré la demande des utilisateurs d’être davantage écoutés, il n’en demeure pas moins que le taux de participation aux assemblées annuelles pourrait être qualifié de très faible. En effet, la participation des membres utilisateurs de catégorie loisir à l’assemblée générale de 2003 a avoisiné les 6 %, soit environ 22 personnes sur 371. Cette piètre implication peut être expliquée par plusieurs facteurs. Avant tout, comme il a été mentionné précédemment, les administrateurs font peu pour valoriser la formule coopérative et promouvoir la participation démocratique. Deuxièmement, les gens qui veulent participer sont rapidement confrontés à la dure réalité qu’il n’y a pas vraiment de place pour eux. En troisième lieu, l’assemblée générale est tenue au mois de juin. Les skieurs ont donc complètement décroché de tout ce qui est associé aux sports hivernaux et pensent plutôt aux joies de l’été. L’assemblée est tenue à cette période puisque l’année financière de la coopérative se termine le 30 avril. De plus, il serait impensable d’élire de nouveaux administrateurs en hiver, lorsque l’entreprise opère au maximum. Selon un administrateur, la raison expliquant le faible taux de participation est que les membres se sentent bien représentés et sont satisfaits de la gestion effectuée. Par conséquent, ils ne voient pas la nécessité de participer. Cependant, en 2003, certains membres ont demandé à ce qu’il y ait une réunion informelle en janvier, histoire de les tenir au courant des derniers développements en rapport avec la coopérative pendant la haute saison. Selon le représentant des membres utilisateurs de catégorie loisir, les administrateurs vont se faire un devoir de répondre à cette demande.

En 2002, le taux de participation des membres utilisateurs de catégorie loisir à l’assemblée générale fut d’environ 11 %, ce qui signifie qu’en 2003, avec un taux de 6 %, les membres se sont impliqués encore moins. Cette statistique est plus ou moins surprenante considérant le fait que certains administrateurs qualifient les commentaires des membres utilisateurs de catégorie loisir de « chialage ». Cependant, le représentant des membres utilisateurs de catégorie loisir, lui, insiste sur le fait qu’il faut les écouter et les prendre en considération. Il affirme qu’avec le bulletin de nouvelles qui sera envoyé de façon hebdomadaire, les membres se sentiront privilégiés, ce qui développera leur sentiment d’appartenance. Un représentant des membres de soutien, lui, insiste sur le changement de mentalité. Il a déjà proposé de mettre en place une boîte à suggestions, mais on lui a répondu que les neuf membres du conseil d’administration étaient présents au Mont à toutes les fins de semaine et le directeur y était presque tout le temps. Par conséquent, si les membres avaient quelque chose à dire, ils pouvaient s’exprimer directement à un administrateur. Selon eux, tout le monde connaît tout le monde et cette façon de procéder favorise une circulation rapide de l’information. Cette

méthode, pour le moins informelle, peut également occasionner la classification plus rapide de commentaires « dans la filière 13 », surtout que certains administrateurs avouent « filtrer » les remarques des membres. De plus, un élément important qui ressort de la discussion avec le CA de la coopérative est que chaque membre fait partie « d’une gang ». Par exemple, lorsque ceux-ci se retrouvent dans le chalet, ils vont tous s’asseoir de leur côté avec un groupe d’individus différents.

Le taux de participation à une assemblée extraordinaire ayant eu lieu en 2002 ne fut guère mieux que celui des assemblées générales. Seulement 10 à 12 personnes au total se sont présentées.

Un autre facteur qui explique la faible participation des membres est que ceux-ci ne bénéficient d’aucun privilège particulier. Selon le représentant des membres utilisateurs de catégorie loisir qui siège au CA, « […] le membre n’a pas de privilège versus les non-membres. À la station, les membres sont ceux qui achètent un abonnement de saison, on demande d’être membre, point à la ligne. Alors il n’y a aucun privilège d’être membre. » Et une autre personne de rajouter : « Que ça soit une coop, il s’en fout comme dans l’an 40. Il veut faire du ski pour payer son abonnement de saison alors, c’est peut-être pour ça qu’il s’en fout un peu des assemblées et tout ça. » En abordant le sujet des différences entre les membres versus les non-membres, une autre pensée a germé dans l’idée des administrateurs. Ceux-ci ont admis qu’il serait peut-être bon de trouver des avantages pour les membres et ainsi susciter le membership. Par exemple, ils pourraient offrir un prix membre et un prix non-membre pour tous les services.

Il importe de mentionner un élément particulier au niveau de la représentation faite par le CA. Un des administrateurs a affirmé que depuis son entrée au sein de la coopérative il y a cinq ans, il n’y avait jamais eu d’élections entre plusieurs candidats. Chaque poste vacant s’est toujours comblé automatiquement puisqu’il y avait une seule personne qui se présentait. Cependant, en 2003, trois personnes se sont présentées pour combler deux postes ce qui a forcé les administrateurs à prendre connaissance des procédures d’élection. En effet, vu que des élections n’avaient jamais eu lieu, ceux-ci ne savaient pas comment se déroulait une telle opération. Par contre, une des trois personnes s’est désistée lorsqu’elle a su que cela impliquait des élections, alors le scrutin n’a jamais eu lieu.

D’après les administrateurs, la forme juridique de la coopérative est expliquée plus en détail lors de l’assemblée générale annuelle. On informe aussi les nouveaux membres sur le fonctionnement de la coopérative en la comparant souvent à la caisse populaire où il faut débourser un certain montant pour devenir membre. Malgré ces brèves présentations des notions coopératives, il n’en demeure pas moins que les administrateurs considèrent l’assemblée générale annuelle comme « une assemblée normale de compagnie ».