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Les participants devraient avoir le même droit à la parole et devraient pouvoir dialoguer d’une

IV. Mise en œuvre de dispositifs participatifs dans des processus multi-acteurs

2. Les participants devraient avoir le même droit à la parole et devraient pouvoir dialoguer d’une

ouverte et compréhensible

La question du droit de parole suppose d’abord une légitimité du savoir citoyen et sa valorisation dans le processus d’un projet, et donc une volonté politique et technique affirmée pour alimenter ce projet à partir du travail réalisé avec les usagers. Or les différents exemples étudiés dans la littérature mettent en doute la réelle volonté et la motivation des acteurs publics, que ce soient les élus ou les techniciens, à mettre en place de vrais dispositifs d’échanges qui intègrent les habitants/usagers dans les processus de projet et de décision. Cette réticence est surprenante dans un contexte marqué par la mobilisation de moyens importants pour la mise en place de démarches de concertation. Elle semble témoigner du fait que ces instances ne sont pas tant conçues pour nourrir le projet, comme on aurait pu l’imaginer, que pour apaiser les conflits, faciliter l’appropriation du projet par les usagers ou être tout simplement politiquement correct.

Les enquêtes que nous avons entreprises montrent que ces questions ne se posent pas dans les milieux industriels que nous avons étudiés car l’intégration des usagers dans les processus du projet relève d’une convention qui rassemble les différents acteurs autour de l’intérêt d’une telle démarche.

Contrairement au domaine d’urbanisme, où la rencontre avec les usagers se fait le plus souvent au cours des réunion d’information où la présentation du projet par des techniciens constitue l’essentiel du travail réalisé, la présentation d’un projet de produit industriel ainsi que la réaction des usagers sont organisées d’une manière adaptée, d’abord pour rendre intelligeable et compréhensible la proposition, puis pour accueillir les réactions des usagers. Les nombreuses méthodes mises en place dans ces milieux pour questionner et discuter avec les usagers, de façon individuelle ou collective, trouvent leurs origines dans les sciences sociales, et plus particulièrement la psychosociologie et l’ethnologie. Elles constituent de ce fait des ressources qui pourraient être utiles pour travailler sur les projets d’urbanisme avec des groupes d’usagers et pourraient sans mal être transposées dans ce domaine.

La parole des usagers versus celle des porteurs du projet

Les porteurs du projet se révèlent généralement peu disposés à mobiliser des habitants sur leurs projets, surtout quand ils proviennent de populations défavorisées et qu’il s’agit de rénovation urbaine. Les démarches entreprises sont le plus souvent de l’ordre de l’information, de la consultation, ou encore de la réassurance. Les usagers/habitants sont alors invités à donner leurs avis sur un travail en grande partie abouti, à l’occasion de réunions publiques dont l’objectif est de présenter celui-ci et de le faire valider (Gaudin 2010). Dans le cadre de la concertation du projet des Halles par exemple, « il ne s’agit pas de dégager du sens à partir de la démarche participative, mais de s’appuyer sur elle pour vérifier l’acceptation du projet. D’une façon générale, les dispositifs appelés concertation (…) nont pas véritablement mis en négociation la caractérisation du projet et de ses principes majeurs : les citoyens ont principalement été conviés à réagir à des propositions et très rarement à la définition de celles-ci » (Gardesse 2009, p.10). Selon une des directrices du cabinet de la Marie de Paris, « quelle que soit la configuration de concertation choisie, elle n’aura pas pour but de définir le projet stricto sensu, mais d’avantage de vérifier si on va dans le bon sens ».

Les projets d’Alma-Gare et de l’Union se sont déroulés à près de 40 ans de distance. Le premier a été marqué par la mobilisation de ses habitants et la résistance des porteurs de projet. Le second l’a été par de nombreuses instances mises en place pour travailler avec les acteurs de la société civile. Dans le premier cas, c’est la mobilisation des habitants d’Alma-Gare et le conflit qui en est résulté qui ont permis aux habitants d’entrer dans le jeu d’acteurs du projet et obligé ses porteurs d’en tenir compte. Ceci est également le cas de l’association « Rase pas mon quartier » et de la procédure qui a été mise en œuvre ensuite par les porteurs du projet. Les habitants se sont mobilisés dans les deux cas pour se défendre contre des projets qui les menacaient. Dans les deux cas, ces projets ont été annulés et repris de façon radicale. Les habitants ont participé à différents degrés à l’élaboration des nouveaux projets avec des interlocuteurs qui semblaient être plus à leur écoute tout en entretenant avec eux une relation ambiguë. Lemonier (1982) explique qu’« il n’y a pas de révolution fondamentale à attendre d’une parole d’habitant sur l’habitat, il y a plutôt du bon sens et de multiples détails infimes que la

production technique a tendance à toujours écraser. » (p.41) La parole d’habitant permet pourtant aux techniciens d’avoir une connaissance plus approfondie du site, des usages et des usagers. Elle devrait être légitime dans la mesure où elle rend compte de cette connaissance.

La participation des acteurs de la société civile au projet de l’Union se déroule dans un contexte où les enjeux ne sont pas aussi dramatiques. La mobilisation qui en résulte est moins conflictuelle et moins médiatique, même si le Collectif de l’Union utilise le conflit et la confrontation comme stratégie d’action. La parole de ces acteurs semble prendre une place différente dans la mesure où l’habitant n’est qu’un des acteurs du projet. « Les acteurs sociaux ont souvent des revendications qui relèvent de leurs vécus et de leurs attentes ». Si ces revendications sont justifiées à l’échelle de leurs auteurs, elles peuvent par contre se trouver en contradiction avec les priorités énoncées à une échelle plus globale. La gestion de ces différentes échelles de réflexion et de ces différents points de vue constitue un véritable enjeu difficile à relever. « Le rôle de la technique est justement de prendre en compte l’ensemble des points de vue et d’en faire une synthèse » selon le responsables du projet de l’Union. Cette situation a pour conséquence que le conflit devient le seul moyen pour se faire accepter comme un interlocuteur légitime face aux acteurs institutionnels. Le conflit semble également être le seul motif de mobilisation qui ait un certain poids. C’est pourquoi certains militants insistent sur l’importance du conflit lors de la mise en place des processus participatifs : « Il n’y pas de concertation sans conflit ».

Ce contexte, où la parole de l’usager n’a d’importance que si elle représente un certain poids politique démontre le manque de volonté des acteurs institutionnels pour intégrer l’usager dans le projet. Cette position présente des différences notoires avec celle que nous avons rencontrée dans les milieux industriels étudiés où l’intérêt d’une démarche participative va de soi. L’usager n’a pas à justifier sa legitimité, ni la validité de sa contribution qui est considerée, comme relevant d’une autre catégorie de savoir que celle que détiennent les concepteurs. Le savoir de l’usager apporte à une équipe de conception des connaissances tacites qui sont considérées comme une des richesses du projet.

Le savoir d’usager face au savoir technique

Dans le projet d’Alma-Gare comme dans celui de l’Union, les habitants et les acteurs de la société civile travaillent le plus souvent avec des techniciens qui jouent un rôle de médiation entre les élus et les habitants. La question est de savoir quelle part prend la parole habitante « dans cette confrontation avec les techniciens et les hommes de l’art » au cours d’une démarche de travail collectif (Dupuy & Giacobbe 1989. p. 6). Car il s’agit bien de confrontation entre culture technique et culture quotidienne des habitants, et l’enjeu est « de retrouver une plage commune » entre les deux, comme l’explique Lemonier (1982, p.40). Comment faire pour que le projet ne bascule pas d’un côté ou de l’autre et surtout pour que la technique ne prenne pas le pas sur la maîtrise d’usage ?

Dans le cadre du projet d’Alma-Gare, de nombreux témoignages rendent compte des difficultés que les habitants ont eu à communiquer avec les acteurs institutionnels et à passer de la phase de diagnostic de leur quotidien à un stade de proposition. Cette dernière a été rendue possible par l’Aide technique qui a servi de maillon entre les habitants et les acteurs institutionnels, qu’ils soient élus ou techniciens. Est-il possible d’en déduire que les choix faits par les habitants ont largement été encadrés par l’Aide technique? Est-ce ce rapprochement entre les militants et ces techniciens, et les relations de confiance qui se sont tissés entre eux, qui ont neutralisé la méfiance qui dominait jusque là les échanges avec les responsables de la ville de Roubaix et de la CU, et lréduisait les marge de manœuvre des habitants ? Et cette méthode de travail ne remet-elle pas par un autre biais la technique au cœur des processus de décision ?

La plupart des propositions provenant de l’APU, y compris la réhabilitation d’une partie des maisons existantes, et le travail sur l’habitat collectif dans le cadre de l’opération Fontenoy-Frasez, a été développée par l’Aide technique. Ces propositions ont été formulées à partir du travail réalisé avec les habitants et constituaient des réponses techniques pertinentes. Une approche similaire a été mise en œuvre dans le cadre de l’ilot Stephenson où l’Equipe technique a travaillé sur place avec les habitants sur le projet initial et les a mobilisé contre certaines de ses composantes. C’est cette mobilisation qui a obligé les porteurs du projet à prendre en compte les arguments de l’équipe technique et à modifier le projet initial. A l’occasion de cette démarche, les habitants ont joué un rôle clé dans les négociations entre le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre sur des questions essentiellement d’ordre technique. Dans les milieux industriels étudiés, l’objectif est plus d’écouter l’usager, de lui donner des outils et des moyens qui facilitent son expression. Le savoir technique semble alors s’effacer face au savoir de l’usager pour mettre la parole et ce savoir généralement tacite au centre des preoccupations. Dans ce cas aussi, le transfert de certaines de ces méthodes et de ces outils pourrait utilement être être étudié.

La question de la confiance

Dans les milieux industriels la question de confiance ne semble pas se poser de la même manière que dans le milieu urbain. A Alma Gare, l’appropriation de la proposition de l’Aide technique par l’APU a été facilitée par la relation de confiance qui caractérisait les échanges entre ces deux organismes. La mise en place d’un dialogue sincère dépendait du positionnement des différents acteurs et des relations qu’ils tissaient entre eux. Les projets que nous avons étudiés démontrent que ce dialogue n’est pas simple à mettre en œuvre dans un contexte d’action fortement polarisé, avec des confrontations plus ou moins vives entre les acteurs concernés, et des relations généralement caractérisées par un manque de confiance. Sur le projet de l’Alma Gare, les militants de l’APU ne faisaient clairement pas confiance aux techniciens de la ville, ni aux informations que ceux-ci leur fournissaient. De leur coté, les membres du Collectif de l’Union ne se sentent pas en confiance non plus avec les porteurs du projet qui restent, selon eux, trop proches des milieux économiques. Or la question de la confiance

émerge comme un enjeu important pour la mise en place d’un dialogue constructif. Le sentiment d’appartenance joue sans doute un rôle important pour la constitution d’une relation de confiance. Ainsi, les habitants d’Alma Gare font confiance à l’Aide technique car ils considèrent que son expertise est la leur. C’est également le cas du Collectif de l’Union qui voulait avoir son propre architecte pour l’aider à comprendre et à analyser le projet qui leur était soumis. L’accessibilité aux instances de décision est une autre condition de la confiance, comme c’eétait le cas du Groupe de travail d’Alma-Gare. Enfin, le contact direct et continu entre les différents acteurs et l’acculturation qui en résulte joue aussi un rôle important pour la constitution d’un dialogue de confiance. C’était le cas de la maitrise d’ouvrage collectif de l’Alma-Gare qui était composé de gens qui se fréquentaient depuis longtemps.