• Aucun résultat trouvé

Les choses sont toujours mêlées, mais si c’est aux fruits que l’on reconnaît l’arbre, alors le changement de regard vis-à-vis des juifs en terrain calviniste doit être considéré comme le résultat d’une herméneutique portant, tel un bon arbre, de bons fruits.

Par Bruno Gaudelet

La Parole qui guérit

Dans ce dernier article, l’auteur récapitule sa thèse : les guérisons de l’Évangile concernent d’abord les maladies spirituelles.

Nous avons vu que les auteurs bibliques ont établi des analogies entre les maladies du corps et les maladies spirituelles. La cécité, la surdité, la boiterie se font sous leurs plumes langage figuré pour évoquer l’aveuglement spirituel, la

surdité aux choses de Dieu et la marche déviante de la vieille nature pécheresse.

Concluons aujourd’hui cette série en évoquant la thérapeutique.

Dieu est présenté dans la Bible comme le Médecin divin qui guérit toutes les maladies (Ps 103,3), même les maladies liées à la culpabilité et aux différentes formes d’affliction. Il « guérit ceux qui ont le cœur brisé et il panse leurs blessures » (Ps 147,3). Respecter ses commandements assure la santé du corps (Pr 3,8 et 4,22-23). Que Dieu soit conçu comme la source de toute guérison n’a rien d’exceptionnel pour l’histoire comparée des religions. C’est même un grand classique de la pensée magique, toutes traditions religieuses confondues.

Tradition des prophètes

La tradition des prophètes a considéré les messagers de Dieu comme des médecins-thaumaturges. Élie, Élisée et Ésaïe guérissent de la part de Dieu.

Toutefois les prophètes sont perçus aussi comme des thérapeutes spirituels, notamment par Jérémie qui se plaint que nul prêtre ou prophète ne puisse soigner son peuple de ses fautes (8,22). Les prophètes guérissent les maladies physiques par un pouvoir donné par Dieu, mais c’est par la prédication de la conversion qu’ils soignent les maladies spirituelles. C’est sur ce modèle que les évangiles présentent Jésus :

– tel un nouvel Élie ou un nouvel Élisée, il multiplie des aliments, ressuscite des morts, guérit des lépreux, ouvre les yeux d’aveugles et commande même à la nature ;

– tel un nouveau Moïse, il oppose la pratique des commandements à la contagion du péché, en soulignant la visée fondamentale de la loi : à savoir l’amour de Dieu et du prochain ;

– tel un nouveau prophète, mal accueilli dans sa patrie, il prêche la conversion par laquelle l’humain retourne à Dieu et naît de nouveau.

La version que Luc donne du passage de Jésus à Nazareth est beaucoup plus longue et glosée que celle de Marc rédigée entre 20 et 25 ans plus tôt, ou que celle de Matthieu qui suit quasiment Marc. Jésus s’y donne le titre de médecin : « Sans doute vous m’appliquerez ce proverbe : médecin guéris-toi toi-même et vous me direz : fais ici, dans ta patrie, tout ce que nous avons appris que tu as fait à Capernaüm. » (Lc 4,23).

Mais la désignation de Jésus comme médecin se retrouve déjà chez Marc dans le

récit où Jésus est blâmé de fréquenter des gens de mauvaise vie et où il rétorque :

« Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs. » (Mc 2,17).

Les évangiles présentent Jésus comme médecin des maladies spirituelles :

– les mal-portants qui ont besoin de médecin ne sont pas, en effet, des malades somatiques, mais des gens de mauvaise vie que Jésus qualifie lui-même de pécheurs ;

– quant au récit de Luc reprenant le passage de Jésus à Nazareth, il est intéressant de relever qu’il introduit librement Ésaïe 61-1-3 : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a oint pour annoncer une bonne nouvelle aux pauvres ; il m’a envoyé pour guérir ceux qui ont le cœur brisé, pour proclamer aux captifs la délivrance, et aux aveugles le recouvrement de la vue, pour renvoyer libres les opprimés, pour publier une année de grâce du Seigneur. » Les maux visés par ce passage sont soignés par le même remède : la proclamation de la Grâce de Dieu. Jésus s’inscrit bien dans la lignée des prophètes-médecins qui exercent leur cure d’âme par la prédication de la conversion.

Le cœur du message

Les récits de guérisons suggèrent que les évangiles conservent la mémoire d’une activité thaumaturgique accomplie par Jésus. C’est peut-être exact. Il n’est pas impossible cependant que ces récits constituent des métaphores catéchétiques pour illustrer la guérison des maladies de l’âme qu’opèrent la conversion et l’accueil de la grâce de Dieu.

Dans cette perspective, ce serait la guérison de la cécité spirituelle qui serait visée au travers des cas des guérisons d’aveugles, celle de la surdité spirituelle que camperait la guérison des sourds, celle de la marche pathologique de la vieille nature humaine qu’évoquerait la guérison des boiteux. La guérison des affections de la langue serait mise en scène au travers de la guérison des muets, la guérison du dégoût des choses spirituelles serait illustrée par la guérison des lunatiques et des déments , et la purification du péché et de sa contagion serait au cœur des récits de purification de lépreux.

Le message de Jésus à Jean-Baptiste : « Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres » devrait être rapporté, non à la

guérison de maladies somatiques, mais bien à celle des maladies spirituelles liées au péché qui est fondamentalement séparation d’avec Dieu (Mt 11,4-5). Le rapprochement que Marc et Luc font entre l’incrédulité des gens de Nazareth et l’affirmation que Jésus ne put faire beaucoup de guérisons dans sa patrie soutient cette interprétation qui révolutionne peut-être l’image de Jésus, mais redit le cœur de son message.

Par Bruno Gaudelet

Documents relatifs