• Aucun résultat trouvé

PARTIE II.- LE CONSENTEMENT AUX SOINS MEDICAUX ET SES DIFFERENTES APPROCHES

Chapitre 2.- Les paradigmes du consentement

A. Paradigme paternaliste

Une citation de Platon nous montre aussi le caractère inutile de l‟information qu‟un médecin peut tenter de donner à un malade sur sa maladie :

« Si un médecin traditionnel trouvait un confrère en train de philosopher avec un malade et de lui expliquer tout le cours de la maladie depuis le début et la physiologie du corps, il se rirait de lui, et lui dirait ce que ces médecins-là disent toujours : espèce de fou, tu ne le

soignes pas, tu fais son éducation alors qu‟il demande à guérir, et non à devenir médecin253

Très clairement, nous voyons que Platon néglige ici la nécessité pour le médecin de transmettre à son malade des explications sur sa maladie. Le bon médecin étant celui qui vise le bien de son patient quitte à le laisser ignorant sur sa souffrance.

Un autre exemple qui nous aidera à bien fixer le sens du paternalisme médical est celui de Pasteur. Celui-ci lancera à un de ses malades :

« Je ne te demande pas ton pays, ni ta religion. Tu souffres cela me suffit. Tu m‟appartiens, je

te soulagerai ».

Selon Jean Pierre GRAFTIAUX254, le pronom personnel ‘je’ utilisé ici par Pasteur pourrait manifester une présence du moi envahissante voire de témoigner d‟une volonté d‟appropriation du patient par le soignant. La relation soignant/soigné s‟approchant alors

253PLATON, Lois IX, 857 C-D. In ANGUILL Jean-Dominique, Les évaluations objectives du consentement au traitement. Etude critique autour de MacCAT-T. Thèse de docteur en médecine, Université du Droit et de la Sante-Lille, Faculté de médecine Henry WAREMBOURG, soutenue le 19 janvier 2007.

d‟une relation entre maître et esclave. Mais, dans l‟esprit du paternaliste son comportement ne vise que le bien de l‟autre. C‟est dans ce sens qu‟il faut aussi comprendre le point de vue de Gerald DWORKIN255 pour qui le paternalisme consiste dans une intervention de la liberté d‟action d‟une personne se justifiant par des raisons exclusivement relatives au bien-être, au bien, au bonheur, aux besoins, aux intérêts ou aux valeurs de cette personne contrainte. Typologie de paternalisme

Pour un autre auteur, Joël FEINBERG256, il existe deux types de paternalisme :

x Le paternalisme soft qui est légitimé par l‟incompétence des personnes et qui s‟impose de manière involontaire.

x Le paternalisme hard, qui revendique une action pleinement directrice et volontaire sur la personne, quel que soit son degré de compétence. Si l‟on peut comprendre le paternalisme soft dans certains cas très critiques comme par exemple un malade en coma, ou bien un malade psychotique pour qui on demande une hospitalisation sans consentement, dans d‟autres cas le paternalisme médical reste toutefois instrumental, c‟est-à-dire quand il sous-tend l‟idée selon laquelle le médecin demeure la personne la plus compétente pour réaliser le bien-être du malade. On trouve cette réification du patient très clairement dans cette déclaration de Louis PORTES257 à l‟académie des sciences morales et politiques le 30 janvier 1950 :

« Au sens exact du terme, le patient ne voit plus clair en lui-même, en lui-même observant son mal et lui-même souffrant de son mal, s‟est glissée une opacité et parfois même une obscurité

totale ; tous ses pas dans sa connaissance de lui-même sont devenus trébuchants comme ceux

d‟un enfant »

Une telle déclaration de PORTES exclut toute idée pour le malade d‟avoir un choix quelconque en ce qui a trait au traitement de sa maladie. En lieu et place de la capacité de choisir, PORTES demande au malade de faire confiance au médecin : « Tout acte médical

normal, ne peut et ne doit être qu‟une confiance qui rejoint librement une conscience258».

255 DWORKIN Gerald, Paternalism, the monist, 56, Janvier 1972,p. 65

256 FEINBERG Joel, « legal paternalism », Canadian journal of philosophy, 1, 1977, p.106 124

257 PORTES Louis, « Du consentement du malade à l‟acte médical », communication a l‟académie des sciences morales et politiques le 30/01/1950, repris dans le recueil, A la recherche d‟une éthique médicale, Paris, Masson et Puf, 1954, p.158

Ce qui pose problème ici, c‟est que cette conscience qui est celle du médecin n‟est pas toujours au rendez-vous. Même s‟il a pris la précaution de dire « tout acte médical normal », PORTES n‟a pas résolu le problème. Car, pour le malade, comment savoir si un acte médical est normal ou pas pendant que rien dans cet acte ne tient compte de sa volonté, de son choix, ou pour le moindre de son souhait ? Les dix années qui ont précédé la date à laquelle cet auteur a fait cette déclaration nous l‟ont prouvé: les médecins nazis n‟ont pas écouté cette conscience quand ils ont fait des expériences odieuses de toute sorte sur les personnes humaines indépendamment de leur volonté. A ce sujet faut-il donner raison à Alexandre JOUNAIT qui a dit :

« La conscience est synonyme de liberté pour le praticien : liberté de tout entreprendre sur la personne du malade pour lui faire recouvrer sa santé. A cet égard le médecin est traditionnellement tenu à une obligation de moyen et non à une obligation de résultat –C‟est une question de conscience et de dévouement avant que d‟être une question d‟efficacité259».

De ce fait, le paternalisme est passible de beaucoup de critiques. En effet, on peut considérer que le paternalisme porte atteinte au principe d‟autonomie de la personne - définie comme une capacité individuelle à faire ses propres choix et à réaliser ses propres objectifs. Le paternalisme suppose qu‟il y a des valeurs ou des intérêts supérieurs au prix qu‟on peut attacher à l‟autonomie d‟une personne. Sa principale justification reste d‟ordre instrumental. Elle consiste à affirmer que le médecin est la personne la plus compétente pour réaliser le bien être du patient.

En pareil cas, nous voyons que le paternalisme médical est non libéral en ce qu‟il détermine le bien-être du patient conformément à l‟objectivité médicale. La critique, selon Alexandre JOUNAIT260, est double. D‟une part, le paternalisme est autoritaire et de ce fait, incite à une ingérence sur la personne d‟autrui, d‟autre part, il est non moral puisqu‟il traite la personne de manière inégale, comme un inférieur ce qui épouse la critique kantienne du traitement instrumental de la personne. En outre, la critique libérale est aussi une critique épistémologique. Elle suppose que la définition du bien est indissociable du sujet et qu‟il n‟y a pas d‟objectivité qui peut se substituer à l‟autodéfinition des conceptions et désirs d‟une personne. Isaiah BERLIN pousse plus loin la réflexion en disant :

259 JOUNAIT Alexandre, « Comment peut-on être paternaliste? Confiance et consentement dans la relation médecin patient ». In Raisons politiques 3/2003, #11, p.12

« Je souhaite que ma vie et mes décisions dépendent de moi et non de forces extérieures

quelles qu‟elles soient…je désire être un sujet et non un objet ; être mû par des raisons et des mobiles conscients qui soient les miens et non pas des causes pour ainsi dire extérieures…

Par-dessus tout je désire me concevoir comme un être pensant, voulant, agissant, assumant la

responsabilité de ses choix et capable de les justifier en s‟appuyant sur sa propre vision des

choses261».

BERLIN a plus que raison, mais que faire quand la capacité de désirer, de penser, de vouloir agir et assumer est perdue ou altérée par une maladie ?

Le praticien reconnait le caractère arbitraire du paternalisme. C‟est pourquoi quand il agit ainsi dans ce cas, il ne s‟y réfère pas. Il agit dans l‟idée d‟aider l‟autre, au contraire, à retrouver l‟autonomie perdue. On pourrait même dire à retrouver sa liberté pleine et entière. Par exemple, le philosophe Robert MISRAHI262 distingue deux niveaux de liberté du sujet humain :

« La personnalité malade et souffrante est atteinte dans sa liberté réflexive, cette liberté de second niveau qui correspond à la maitrise de soi et à la conscience redoublée que tout individu peut conquérir par sa volonté et son travail. Le malade, le patient semble ne plus pouvoir accomplir ce travail. Il ne dispose plus que de la liberté spontanée, anarchique, qui certes fait de lui un sujet, mais un sujet soumis à tous les dérèglements et à toutes les dépressions passionnelles de sa spontanéité ».

En ce sens, le travail du soignant consiste donc à rétablir la liberté réflexive de son malade en vue de le rendre apte à consentir non seulement dans le contexte de soins mais aussi dans toute autre occasion où le sujet humain est appelé à prendre des décisions. Donc l‟entorse se fait à la suite d‟un jugement éthique pour autant que ce dernier, selon Jean-Paul RESWEBER,

« s‟emploie à apporter des solutions au problème, à découvrir les réponses de la question, à

indiquer les possibles résolutions de l‟énigme. Celle-ci en effet se résout263». Mais malgré son

caractère soft qui, par obligation morale264 pousse le médecin à se substituer au patient pour son bien, le paternalisme médical ne peut tenir. D‟où il devient important de trouver une

261 BERLIN Isaiah, Deux conceptions de la liberté, dans l‟Eloge de la liberté, Calmann Levy, Paris, 1988. p.179

262 MISRAHI Robert, La signification de l‟éthique, Collection empêcheur de penser en rond, première éd. mai 1995, Paris, p.141-142.

263 RESWEBER Jean-Paul, Le questionnement éthique, Prosôpon, Cariscript, Paris, 1990, p. 98

264RAMEIX Suzanne, Du paternalisme des soignants à l‟autonomie des patients. In Justice et psychiatrie : normes, responsabilités, éthiques. Sous la direction de Louzoun C, Salos D, éd. Eres 1998, p.65-75.

solution de rechange. Cette dernière a été remarquée dans un travail de recherche européen. Le Pr Michel WALTER, dans un article, l‟a souligné ainsi :

« Un récent travail européen concernant l‟éthique biomédicale a confirmé la double constatation suivante. D‟une part les attitudes médicales se sont modifiées passant des liens

autoritaires et protecteurs du paternalisme à la reconnaissance d‟une grande autonomie des

personnes- d‟autre part et surtout, il apparait que le consentement informé constitue la base

éthique incontestable, à la fois dans le cadre des soins (traitements médicamenteux et/ou hospitalisation) mais aussi dans celui de la recherche biomédicale »265.

Cette remarque reprise par le Pr Walter nous permet de passer à un autre modèle de relation médecin malade. C‟est le paradigme libéral ou anti- paternaliste.