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Consentement existentiel : comment le définir ?

Comme on le sait déjà, consentir c‟est accepter que quelque chose se fasse, c‟est donner son accord à ce que cette chose se produise, se réalise. Donc en ce sens, un consentement existentiel, c‟est un accord favorable que donne le sujet après la compréhension du sens et de signification de ce qu‟il est en train de vivre, ou de faire comme expérience dans sa vie, et aussi en fonction de sa projection dans le temps. L‟obtention de ce consentement ne se base pas sur aucune théorie pré - existante. Elle émerge à partir du sens et de la signification des vécus du sujet qui, loin de se fermer sur lui, s‟ouvre sur le monde, en tant qu‟il est projet dans ce monde. Dans le monde médical, ce consentement peut se donner soit à chaud, soit à froid. A chaud, quand le sujet est en situation de crise, quand il est sous le choc, faisant l‟expérience de la maladie, et à froid quand il est supposé ne pas être en crise, c‟est-à-dire non malade dans le sens aigu du terme. Pour obtenir ce consentement, nous allons nous baser sur la méthode issue des travaux d‟Edmund Husserl et de Heidegger, elle se nomme méthode « phénoménologico-existentielle » Plusieurs chercheurs l‟ont déjà utilisée dont le psychologue phénoménologue Amadeo Giorgi et le psychiatre Ludwig Binswanger.

Méthode phénoménologico-existentielle

Husserl (1859-1938), avec la publication en 1900 de ses recherches sur la logique, a pu jeter les

bases de la phénoménologie, une philosophie qu‟il a continuée à élaborer et à approfondir tout au

long de son existence. C‟est ainsi qu‟il est arrivé à influencer plusieurs penseurs du vingtième

siècle dont Martin Heidegger, Ludwig Binswanger qui, par la suite, interprètent et

approfondissent sa pensée. Mais celui qui a donné l‟essor à ce courant dans le domaine de la

psychologie par exemple, c‟est Amadeo Giorgi463. Dans cette méthode l‟analyse porte surtout sur ce qui se présente à la conscience, « exactement comme cela se présente : elle ne pose aucun a priori quant au contenu du phénomène ; elle se limite à une description exclusive de la façon dont le contenu du phénomène se présente en lui-même »464. C‟est une façon de décrire la personne dans l‟expérience vécue qu‟elle fait du monde.

La phénoménologie révèle ou laisse voir « tout ce qui se montre à la conscience avant d‟être l‟objet de quelque théorisation, ou explication philosophique ou scientifique »465. L‟objectif de

cette approche consiste à identifier « les structures invariables de sens et de signification »466,

c‟est-à-dire ce qui constitue l‟essence des différents phénomènes humains et la façon dont les choses se tiennent autour du sens et de la signification que la personne donne au phénomène, cela veut dire tout ce qui se montre immédiatement à sa conscience, celle-ci pouvant se définir comme le « moyen d‟accès à tout ce qui se donne dans l‟expérience »467. Le but de la méthode consiste à identifier la logique interne des expériences de la personne par « retour aux choses elles-mêmes »468. Selon Husserl, la phénoménologie, « c‟est le retour aux données immédiates, […] telles qu‟elles se présentent à la conscience des personnes »469. C‟est la façon dont l‟être -au-monde ou un sujet concret, le Dasein, est dans un rapport intentionnel avec un -au-monde concret.

D‟après Jacques Croteau, c‟est la manière propre à l‟être humain d‟être-au-monde, comme un sujet conscient et libre par le moyen de visées intentionnelles ou de visées dévoilantes de sens ou de significations470. Ici il y a donc un enjeu important : comment se fait ce recueil du sens dans la tension entre l‟interprétation du comportement, la possibilité de l‟attitude asignifiante, le

463 GIORGIG A. Phenomenology and psychological research, Pittsburgh, Duquesne University Press, 1985, p.10

464 POUPART J. et al. La recherche qualitative, enjeux épistémologiques et méthodologiques, Gaétan Morin Editeur, p.343

465 CROTEAU J. Précis de psychologie phénoménologico-existentielle, initiation à son approche, à sa méthode,

à ses techniques d‟analyse, Deschatelets, Ottawa, 1994, p.5

466 MERLEAU-PONTY M, (dans Marie-Line Morin), Pour une écoute en profondeur de la valeur fondamentale, Médiaspaul, 2001, p.54

467 POUPART J. op.cit p.345

468 HUSSERL E. Cité par Giorgi Amadeo, op.cit.p.8 469 Ibid.

non sens du mécanisme psychique, etc. avec, entre autres, cette distinction de Husserl471 : « tout signe (Zeichen) est signe de quelque chose, mais tout signe n‟a pas une „signification‟ (Bedeutung), un „sens‟ (Sinn) qui soit exprimé avec le signe » ?

La phénoménologie traite donc des phénomènes de la conscience, c‟est-à-dire qu‟elle renvoie le

chercheur à la totalité des expériences vécues par un individu. C‟estle moyen d‟accès à l‟ensemble de ce qui se donne dans l‟expérience. Le phénomène se définit alors comme « la présence de cela même qui est donné exactement comme cela est donné ou ressenti ». Il vise à

saisir la signification de l‟objet telle qu‟elle se donne et telle qu‟elle est en elle-même472 avant

qu‟elle ne fasse l‟objet de quelque théorisation ou conceptualisation que ce soit. Cela nous rappelle bien cette citation de Husserl : « Tout ce qui s‟offre à nous dans „l‟intuition‟ de façon originaire (dans sa réalité corporelle pour ainsi dire) doit être simplement reçu pour ce qu‟il se donne, mais sans non plus outrepasser les limites dans lesquelles il se donne alors »473

Cette méthode telle que nous venons de la présenter s‟appuie sur quatre grands474 principes phénoménologiques :

x La description du phénomène. Elle réfère à la description fidèle (et non l‟explication) du phénomène par le sujet concerné tel que le phénomène se présente à la conscience. C‟est

une approche descriptive qui se borne au donné, par opposition à des termes construits, explicatifs ou théoriques.

x La réduction phénoménologique a pour but de rendre le plus précis possible les résultats

des recherches. Elle s‟abstient de tenir le monde pour acquis. Elle dit seulement que l‟objet se présente comme tel ou tel, sans explication ou interprétation. L‟autre exigence

de la réduction suggère que le chercheur (ou dans notre cas, le soignant) mette en

parenthèse les connaissances relatives au phénomène étudié afin d‟être présent à celui-ci

tel qu‟il est dans la situation concrète où il est rencontré dans le but de l‟appréhender en

toute innocence et de décrire exactement l‟expérience qu‟en a le sujet, en collant au plus concret de ce que raconte le sujet, le soignant doit se prémunir contre l‟échafaudage de théorie ou l‟application de connaissance antérieure. Parce que s‟il ne met pas en parenthèse ses connaissances antérieures, il risque de passer à côté de l‟essentiel de ce que

dit le malade.

471 Recherches logiques, I, §1

472 OUELLETTE Marie-Elène, Méthode phénoménologico-existentielle, s.d.et s.l. 473 HUUSERL E., (Ideen I, pagination Husserliana 43-44)

Cette réduction s‟appuie sur la description détaillée et spontanée du phénomène vécu et

conscientisé par la personne autour de sa maladie. A cette fin, le soignant doit, alors, mettre de côté (entre parenthèse) le plus consciemment possible tous ses préjugés, interprétations, biais théoriques ou scientifiques et connaissances se rapportant au phénomène et ce, « sans essayer de vérifier s‟il est ou non vérifiable de façon objective ». Cet exercice favorise une attitude empathique et va permettre au soignant de comprendre

l‟expérience concrète du sujet et d‟en dégager la structure de sens et de signification

présente dans le discours lié au phénomène étudié, c‟est-à-dire ici le contenu du discours du malade sur ce qui représente pour lui des préoccupations tant concernant sa maladie que sa vie quotidienne, sa vie dans le cours du temps. Ce n‟est qu‟après le dégagement de

ces structures de sens et de significations que l‟on saura si le consentement est possible ou

pas.

x La réduction eidétique. Elle vise la recherche des essences principales qui se dégagent du phénomène ou du vécu spécifique ou de la relation particulière du sujet au monde ou « la structure stable ou invariable de sens et signification », ce qui demeure invariable, ce qui ne peut pas être varié sans que l‟objet même disparaisse. Ce retour aux choses mêmes vise

un apport scientifique favorisant l‟apparition de la structure de sens face à une expérience

vécue. Il s‟agit de la structure dynamique de l‟expérience globale et de l‟évolution de la

personne dans un temps vécu : un passé invariable, un présent expérientiel et un futur anticipatoire475.

L‟intentionnalité. Elleréfère à ce que vise le sujet, à ce vers quoi il est tendu dans son expérience du phénomène. L‟adjectif intentionnel vient du latin in-tendere, c‟est-à-dire tendre vers, se diriger vers quelque chose autre que soi-même. L‟intentionnalité est donc un mouvement dirigé vers un objet qui la transcende : elle est constitutive de l‟unité entre le sujet et le monde476. La conscience

est toujours conscience d‟un objet qui n‟est autre que l‟acte psychique de conscience. C‟est le corrélat de l‟acte intentionnel de viser, car acte psychique confond le plan transcendantal (phénoménologie constituante) et le plan „naturel‟ (psychologie phénoménologique) ; ceci est développé dans la distinction noèse / noème. La particularité de la conscience est d‟être

conscience de quelque chose. L‟homme conscience incarnée tend vers un monde qu‟il n‟est pas.

Cette relation intentionnelle est visée dévoilante de sens et de significations. Ce sont ces sens et

significations qui vont nous permettre de constater l‟émergence du consentement du malade qui

s‟inscrit dans ce vers quoi il tend non seulement dans un présent dont il est en train de faire

l‟expérience mais aussi dans un futur qu‟il ne connait pas encore mais qu‟il se représente. Tout

475 Ibid.p.12