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par Dominique Goy-Blanquet

Théâtre p. 65 EaN n° 55

CHÉREAU, PREMIÈRES SCÈNES

premier spectacle, L’intervention de Hugo ?

« C’était très mauvais ». Le Marivaux, trop di-dactique. Il se voit suivant une progression constante, résolue.  Chaque fois « on a pu faire un pas de plus ». On l’accuse d’être un tyran ? Sa réponse : « Que je ne suis pas aussi autori-taire que l’an passé mais beaucoup plus que l’an prochain » menace presque autant qu’elle promet.

Actes Sud mérite le respect  pour s’être lancé dans une pareille entreprise. Les archives Ché-reau à l’IMEC occupent plusieurs centaines de cartons après deux dépôts, en 1996 et en 2011, qui ne représentent qu’une partie de ses ar-chives. Les autres sont hébergées au Théâtre des Amandiers et à la Cinémathèque. Les dossiers de l’IMEC sont classés par spectacles, mais l’éditeur, Julien Centrès, qui a collaboré au ré-cent Patrice Chéreau à l’œuvre, a préféré suivre l’ordre chronologique et croiser les projets sur lesquels Chéreau travaillait alternativement, rapprochant ainsi Marivaux (L’héritier de vil-lage) et Labiche (L’affaire de la rue de Lour-cine), qui lui offraient l’un comme l’autre ma-tière à une féroce critique sociale. En bas de page sont ajoutées des précisions sur les person-nalités citées, sur la pensée de Proudhon, Al-thusser, Grotowski, Brecht, ou bizarrement une très longue note sur le parcours de Garaudy, pourtant à peine évoqué dans le journal par une brève allusion. Centrès explique en ouverture qu’il a dû renoncer à inclure non seulement les notes techniques, financières, mais aussi les notes de production, de répétitions et de filage.

Publier la totalité aurait sans doute demandé plusieurs dizaines de volumes. Ces écrits sont-ils parlants pour qui n’a pas vu les spectacles, et n’a accès qu’à une partie des documents ? Peuvent-ils servir de manuel pour l’avenir ? L’émouvante reprise de De la maison des morts à l’Opéra Bastille l’an dernier était encore l’œuvre de ses anciens partenaires de travail, Peduzzi, Vincent Huguet, Esa-Pekka Salonen.

Y avait-il une meilleure façon de procéder ? Peut-être pas, même si parfois l’ouvrage laisse le lecteur sur sa faim faute de contexte. Chéreau a beaucoup écrit, mais il a aussi beaucoup parlé.

Ses notes projettent de « brusquer Labiche » sans préciser, par exemple, qu’il va couper la dernière scène de L’affaire de la rue de Lour-cine. C’est dans un entretien radio où il dé-zingue les sommités du théâtre de l’époque qu’il

l’explique à son interlocuteur, Moussa Abadi :  le dénouement de Labiche renie le mécanisme qu’il a exposé avec virulence, ses deux petits bourgeois s’y réveillent comme d’un mauvais rêve, disculpés de leurs intentions meurtrières. 

Si Brecht a occupé une grande place dans son éducation, confie-t-il par ailleurs à Abadi, le

« jeune marxiste » évoqué en introduction par Ariane Mnouchkine commence à s’en éloigner, même s’il trouve encore beaucoup à apprendre et à imiter chez lui.

La sélection opérée ne va pas sans risques, j’ai pu le mesurer sur un des spectacles dont j’ai eu à consulter les archives, le dernier du volume.

En 1968, les étudiants grecs du Prix de la ré-volte au marché noir répètent des scènes de Shakespeare quand la rébellion éclate après l’assassinat de Lambrakis. Aux critiques qui ont trouvé ces extraits trop longs, Chéreau riposte que c’est son premier Shakespeare, soit une heure et quart sur trois heures et demie de spec-tacle, affichant par là son intention de pour-suivre dans cette voie, ce qu’il fera deux ans plus tard avec un Richard II mémorable. Vu l’absence des textes de travail, rien ne dit quels passages de Shakespeare ont été choisis, dont un qui signe là encore une remarquable continuité de dessein : le chœur de lamentations des reines de Richard III, qu’il était d’usage de couper à l’époque, et que Chéreau développera trente ans après dans Henry VI/Richard III Fragments avec les élèves du Conservatoire.

Autre indicateur de son perfectionnisme, le dos-sier contient huit versions manuscrites diffé-rentes de son paragraphe d’ouverture pour le programme, et d’innombrables révisions ponc-tuelles du texte afin de le rendre plus direct et plus contemporain. Parfois les documents qu’il a conservés sont aussi révélateurs de son chemi-nement intellectuel que ses propres notes. Par exemple, autour du Prix de la révolte, de courtes biographies des personnages historiques, un rapport sur la dépendance démographique et économique de la Grèce vis-à-vis des États-Unis, un tapuscrit de la pièce encore inédite de Copi, Eva Perón, qui va prêter quelques traits à sa reine Frederika. Peut-on espérer pour la suite, sinon une publication exhaustive impossible, au moins une liste du contenu de chaque dossier ? À suivre, en tout cas, avec un vif intérêt par tous ceux qui ont aimé et admiré cet éblouissant créateur.

Théâtre p. 67 EaN n° 55

Frank Wedekind
 L’éveil du printemps


Mise en scène de Clément Hervieu-Léger
 Comédie-Française, salle Richelieu
 En alternance, jusqu’au 8 juillet

Lors de la première ou des premières représen-tations, le metteur en scène a coutume de saluer avec les acteurs. Pour L’éveil du printemps, Clément Hervieu-Léger est venu sur le plateau, accompagné de Richard Peduzzi, pour la pre-mière fois au Français, au milieu des interprètes.

Il rendait ainsi hommage au rôle de la scénogra-phie, dans la magnificence du spectacle, en même temps qu’à l’héritage de Patrice Chéreau.

Comme le rappelle le très beau livre de Richard Peduzzi Là-bas, c’est dehors (Actes Sud, 2014), la collaboration entre les deux artistes a été in-défectible à partir de 1969 et l’esthétique du metteur en scène indissociable de son scéno-graphe.

Quant à Clément Hervieu-Léger, il dit prolonger, par-delà la mort de Patrice Chéreau, un dialogue amorcé en 2003, après une représentation de Phèdre. Il a été son assistant, interprète de son film Gabrielle et de la pièce de Jon Fosse, Rêve d’automne, associé à deux de ses livres, J’y arri-verai un jour, Les visages et les corps. Mais, en-tré au Français en 2005, il a su se dégager du risque de l’emprise, en tant qu’interprète et met-teur en scène. Il peut maintenant assumer l’héri-tage et faire appel à des collaborateurs de Patrice Chéreau : outre Richard Peduzzi, Carole de Vi-vaise pour les costumes, Bertrand Couderc pour les lumières, François Regnault pour le texte français. Sa première traduction de L’éveil du printemps (Gallimard, 1974), destinée à une mise en scène de Brigitte Jacques, avait été revue pour l’édition du Théâtre complet de Wedekind

(Théâ-trales/Maison Antoine Vitez, 1995).  C’est cette seconde version, préférant par exemple

« divorce » à « séparation » , « maison de correc-tion » à « pénitencier »,  qui est actuellement re-présentée.

D’entrée, cette Tragédie enfantine, sous-titre de la pièce, est située à l’adolescence des principaux personnages. Wendla Bergmann a juste quatorze ans ; ce jour d’anniversaire, elle devrait passer, selon la volonté de sa mère, d’une « robe de pe-tite fille » à ce qu’elle appelle une « robe de péni-tence ». Elle fréquente deux camarades de son âge : Martha et Thea. Quant à Isle, qui partage avec elles des souvenirs d’enfance, elle pose comme modèle et appelle Priapie son nouveau milieu. Les garçons, eux, forment un groupe de huit, d’où se détachent Melchior Gabor et Moritz Stiefel. Leur amitié est ainsi commentée par leurs professeurs : « Incompréhensible pour moi, très honoré collègue, que mon meilleur élève se sente attiré par mon élève le plus mauvais. » À la fin du troisième et dernier acte, ne survit plus du trio des protagonistes que Melchior : Wendla « a suc-combé à des manœuvres abortives » ; Moritz s’est suicidé, revient « sa tête sous le bras », mais renonce à entraîner avec lui son ami, grâce à l’ar-rivée d’un Homme masqué, porteur de vie. « Il me répugne de terminer la pièce chez les écoliers sans point de vue sur la vie des adultes », écrivait Wedekind, qui jouait ce rôle lors de la création.

La pièce, terminée en 1891, interdite pour porno-graphie, n’a pu être mise en scène qu’en 1906 par Max Reinhardt, au prix de certaines suppressions – scènes de masturbation solitaire et collective, d’homosexualité entre deux garçons, cette fois explicitement représentées –, moyennant le chan-gement des noms des professeurs, tous caricatu-raux. Jusqu’alors, elle passait, au dire de Wede-kind, pour une « insensée cochonnerie ». Pour la première fois dans le répertoire, elle se centrait sur la sexualité des adolescents. « On croirait que 


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