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PAPA ET OLGA

Dans le document REVE D'OR, Mondebeau (Page 61-66)

Papa a mis du temps pour aimer Olga. Au début, il l'appelait « la française du quatrième »...

Les yeux perdus, j'ai souvent entendu maman soupirer :

- Après tout ce qu'elle veut faire pour nous... quand même !...

Maman et Olga ont commencé par aller faire le marché ensemble. Puis, elles ont fait des pauses sur le palier, avec un tas de choses à se raconter. Elles sont devenues les meilleures amies du monde . Olga sonne, maman prend son panier et elles descendent la rue, en discutant et en riant, comme des copines. Maman a eu l'idée de l'inviter à manger un couscous. Papa s'est moquée, en disant qu'il fallait savoir rouler la semoule et que, de toute façon, les

uruguayens ne mangeaient jamais de couscous : « C'est un plat arabe, un plat de touaregs... ».

Le jour où Olga nous a invité à venir prendre l'apéritif, il s'est inventé des soucis au garage, un mal de dos. Et il a regardé un match de foot à la télé... Il s'enfonçait dans la mauvaise foi.

Ce soir, c'est bizarre, il est détendu, souriant. Il ouvre le frigo,

décapsule sa bière, s'appuie contre le radiateur et nous raconte qu'il est rentré à pied. Avec Olga ! Ils ont parlé de la « dette ». Olga lui a dit qu'il n'y avait pas de dette, puisque ce qu'elle se proposait de faire pour moi, elle le faisait de bon cœur. Papa lui a répondu : - Il faudra bien qu'on vous donne quelque chose, qu'on vous rende le service....C'est une question d'honneur.

Olga ne s'est pas laissée faire. Elle lui a répondu :

- Pour ce qui est de l'honneur, je suis d'accord avec vous. La fierté est une tare, mais l'honneur est respectable. Les hispaniques sont très hospitaliers mais trop fiers ! Ils ont le nombril au soleil. Quand je parle à certains, j'en ai mal au cou. Ils sont sur leur cheval, là haut, entre terre et ciel... Pour tout vous dire, j'en ai tellement vu, dans cette vie, que mon ego m'est égal.

Après cette longue déclaration, papa décapsule une seconde bière. Maman se frotte un œil, le torchon à la main. On attend la suite. Papa tord la bouche :

- Je l'ai pris pour moi, cette histoire de nombril à l'air... ! Je me suis dit : elle m'en veut, elle me trouve fier ! Et là, devinez ce qu'elle m'a dit ! » :

- La vieille du quatrième, la boiteuse, la pied noire immigrée, la veuve sans mômes, la prof qui donne des leçons....ça, c'est

l'apparence. Mais elle a eu une vie, cette apparence ! Vous croyez qu'on peut oublier ? On était jeunes, on s'aimait. Maison n'était pas

au bon endroit, au bon moment. L'Algérie de 6O, ce pays si beau, si pacifique, gorgé de soleil, avec ses vignes, son art de vivre, avec ses colons attachants, blagueurs et fiers...Vous, côté fierté, croyez moi, vous êtes des anges !...Eh bien, ce pays ensoleillé a basculé dans la haine et la terreur. Quel mal a fait mon mari ? Il a voulu lire le journal prés de la fenêtre ! C'est banal ! J'étais à la cuisine. On était pas bien riches. Je me souviens encore du bruit effrayant de la bombe. Voir son mari, en morceaux, dans le salon...Je suis partie en lambeaux, meurtrie à jamais. J'ai fui le plus loin possible. Sans rien, ni personne. On n'avait pas d'enfants. Et votre pays m'a accueilli. Alors, je vous dis Merci... Et je dis merci à votre fils,

Uruguay. Uruguay est mon rayon de soleil. Je n'en ai plus pour longtemps, avec mon éclat de bombe dans la jambe. J'aime Uruguay comme un fils. Je ne pensais pas trouver dans les yeux d'un enfant, lui aussi blessé par la vie, autant de gentillesse, d'intelligence, de volonté. Autant de dons... Vous avez été de merveilleux parents ! Cet enfant a été aimé. Depuis que je le connais, je dors mieux, il m'apaise. Il est l'avenir. J'aime la musique, vous le savez. Uruguay a de l'or entre les mains. Ses musiques rendront les gens heureux. Que voulez vous de plus dans une vie ? Ne vous en faites pas. Je sais qu'il réussira, c'est sa voie. Cet enfant a une soif d'apprendre... ça se voit ! L'école l'a rejeté. Il souffre. Il veut se rattraper. Alors, si je ne l'aide pas, qui va

l'aider ? Si vous dites « Non », je ne pourrai plus jamais croiser son regard dans l'escalier. Je me ferais honte. Je n'ai jamais rencontré d'enfant aussi attachant. Parce qu'il sait ce que c'est de souffrir. J'aime Uruguay comme un fils. Je ne pensais pas trouver dans les

yeux d'un enfant, lui aussi blessé par la vie, autant de gentillesse, d'intelligence, de volonté. Autant de dons... Vous avez été de merveilleux parents ! Cet enfant a été aimé. Depuis que je le connais, je dors mieux, il m'apaise. Il est l'avenir. J'aime la musique, vous le savez. Uruguay a de l'or entre les mains. Ses musiques rendront les gens heureux. Que voulez vous de plus dans une vie ? Ne vous en faites pas. Je sais qu'il réussira, c'est sa voie. Cet enfant a une soif d'apprendre... ça se voit ! L'école l'a rejeté. Il souffre. Il veut se rattraper. Alors, si je ne l'aide pas, qui va

l'aider ? Si vous dites « Non », je ne pourrai plus jamais croiser son regard dans l'escalier. Je me ferais honte. Je n'ai jamais rencontré d'enfant aussi attachant. Parce qu'il sait ce que c'est de souffrir, de ne pas trouver de place. C'est incroyable ce que ces enfants

peuvent être sensibles au monde ! Il le captent ! Ils l'absorbent ! Ils ressentent des choses que nous, nous ne ressentirons jamais. C'est beau, vous savez...Votre fils me rajeunit de vingt, quarante ans...Alors, la dette...c'est le sourire d'Uruguay qui la rembourse. C'est aussi simple que ça. L'argent n'a rien à voir là dedans. On est au delà de tout convention. Une vieille femme boiteuse et un jeune adolescent qui comblent leurs vides. C'est ce qui se passe,

Monsieur. Vous pouvez m'appeler Olga ! J'en serais enchantée. »

Papa regarde sa cannette. Maman et moi sommes profondément émus. Et papa finit :

Je lui ai dit : « Merci, Olga. Accepteriez vous de venir manger une paella, un de ces soirs ? »

Maman se jette dans ses bras. J'épluche une orange.

Dans le document REVE D'OR, Mondebeau (Page 61-66)