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1.4.1 Vision globale

Les changements géodynamiques importants qui interviennent au Crétacé, notamment l’ouverture et l’approfondissement de l’Atlantique ainsi que la fermeture de la Téthys, ont pu provoquer des modifications majeures de la circulation océanique superficielle et profonde. Depuis quelques dizaines d’années, l’évolution de la compréhension de la circulation océanique a grandement progressé grâce à l’augmentation des données de la composition isotopique du Nd de l’eau de mer (exprimée par la notation standard εNd), dans les océans actuels et anciens (Frank et al, 2005 ; Macleod et al., 2008 ; Robinson et al., 2010 ; Friedrich et al., 2012 ; Martin et al., 2012 ; Murphy et Thomas, 2012 ; Robinson et Vance, 2012 ; Moiroud et al., 2013 ;

Moiroud et al., 2016). Tout comme le plomb, la composition istopique du Nd est utilisée comme traceur de la circulation océanique (Frank et al., 1999 ; Frank, 2002).

Les données d’εNd des eaux de fond des océans Atlantique (Nord et Sud) et proto-Indien enregistrent une diminution des valeurs de 2 unités-ε au cours du Campanien, qui débute autour de la transition Santonien – Campanien inférieur (Robinson et al., 2010 ;

Macleod et al., 2011 ; Murphy et Thomas, 2012, 2013 ; Robinson et Vance, 2012 ; Voigt et al., 2013 ; Moiroud et al., 2016; Fig. 15). En revanche, dans le domaine téthysien, la composition isotopique du Nd tend à augmenter au cours du Campanien (Pucéat et al., 2005 ; Soudry et al., 2006).

Cette diminution de 2 unités-ε a été interprétée comme un changement de circulation globale (Robinson et al., 2010 ;Fig 15). Deux zones de plongement des eaux ont été proposées pour cette période, 1) la « Southern Component Water » (SCW) qui prendrait naissance dans les hautes latitudes de l’Atlantique Sud et/ou dans l’Océan proto-Indien (Robinson et al., 2010 ; Robinson et Vance, 2012 ; Murphy et Thomas, 2012, 2013 ; Voigt et al., 2013), 2) la « Northern Component Water » (NCW) qui prendrait naissance dans les hautes latitudes de l’Atlantique Nord (Macleod et al., 2011).

Dans le Pacifique, certains auteurs suggèrent une zone de plongée des eaux dans le Nord (Otto-Bliesner et al., 2002 ; Pucéat et al., 2005), d’autres dans le Sud (Brady et al., 1998 ; De Conto et al., 2000).

Le secteur de Demerara Rise enregistre des compositions isotopiques du Nd très différentes du reste des grands domaines océaniques (Fig 15a). Ce phénomène semble s’expliquer par des conditions environnementales locales de fortes aridités induisant d’importantes évaporations et la formation d’eaux salées denses (Martin et al., 2012).

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Figure 15 : Compilation des données d’εNd(t) issues de la littérature étendue sur la période du Crétacé supérieur au Paléogène, (A) en Atlantique Nord, (B) en Atlantique Sud et dans l’Océan Indien et (C) dans le Pacifique (d’après Moiroud et al., 2016).

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1.4.2 Intensification du « Tethyan Circumglobal Current » au Campanien-Maastrichtien

Le « Tethyan Circumglobal Current » (TCC) est un courant latitudinal qui s’installe au Crétacé supérieur et qui parcourt le tour du globe en passant par l’Océan Téthysien d’est en ouest au Crétacé supérieur (Föllmi et al., 1992 ; Pucéat et al., 2005 ;

Soudry et al., 2006 ; Fig. 16).

Figure 16 : Tracé du « Tethyan Circumglobal Current » sur un fond de carte paléogéographique Crétacé supérieur, Maastrichtien -70 Ma (Blakey, 2008)

Les quelques données de courantologie qui tentent de retracer l’évolution du TCC au Crétacé supérieur suggèrent une intensification de ce courant au Campanien – Maastrichtien (Pucéat et al., 2005 ; Soudry et al., 2006). Des indices sédimentologiques et géochimiques semblent montrer une augmentation de la productivité primaire (phosphorites, radiolarites, niveau de matière organique) dans la Téthys et dans les Caraïbes, contemporaine de cette intensification du courant.

1.4.3 Phosphorites et niveaux riches en matière organique dans la Téthys et les Caraïbes

La « South Tethyan Phosphorite Province » (STPP) est une succession de niveaux de phosphorite géant, dominée par des carbonates, d’âge Crétacé supérieur à Eocène, qui s’étend du Moyen-Orient, en passant par le Nord-Est de l’Afrique, à travers

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le Venezuela jusqu’en Colombie (Föllmi et al., 1992). Il semblerait que les premiers niveaux de phosphorites, associés à d’autres niveaux de forte productivité primaire (niveaux riches en matière organique et/ou kérogène, carbonates, niveau de silex), se mettent en place sur toute la marge sud téthysienne et dans les Caraïbes au Santonien-Campanien (Salaj et Nairn, 1987 ; Föllmi et al., 1992 ; Almogi-Labin et al., 1993 ;

Pufahl et al., 2003 ; Lüning et al., 1998 ; Meilijson et al., 2014 ; El-Shafeiy et al., 2014 ;

Bou Daher et al., 2014, 2015). Ces sédiments ont très souvent été interprétés comme le résultat de la mise en place d’upwellings le long des marges (Almogi-Labin et al., 1993 ;

Meilijson et al., 2014 ; Bou Daher et al., 2015). Ces remontées d’eaux profondes riches en nutriment favoriseraient l’augmentation de la productivité primaire, par analogie aux upwellings actuels (i.e. phénomène océanique El Niño-La Niña dans le Pacifique équatorial). D’autres auteurs inteprétent ces sédiments comme résultant de variations du niveau eustatique (Lüning et al., 1998 ; El-Shafeiy et al., 2014). De plus, la caractérisation des niveaux riches en kérogène de l’est de la Téthys montre une provenance majoritairement marine (type II) de cette matière organique (associée à du matériel terrigène et bactérien) à nouveau associée à l’apport de nutriments par les profondeurs (Bou Daher et al., 2014, 2015 ; El-Shafeiy et al., 2014). L’origine de ces phosphorites reste cependant encore largement discutée.

1.4.4 Les radiolarites dans les Caraïbes

Latitudinalement vers l’ouest, dans le vaste domaine Caraïbes, au Crétacé supérieur, il est également intéressant de noter en plus des niveaux de phosphorites, l’accumulation de nombreux niveaux à radiolaires. Ces niveaux sont actuellement interprétés d’une part, comme des marqueurs d’une intensification de la fertilité des eaux de surface par des apports détritiques (Montgomery et al., 1994 ; Baumgartner, 2013), d’autre part, comme l’apport de nutriments par l’intermédiaire du volcanisme ou de l’hydrothermalisme (Montgomery et Kerr, 2009 ; Escuder-Viruete et al., 2011). En effet, dans le secteur de la marge nord du plateau des Caraïbes, au Campanien supérieur, l’augmentation de la production de croûte océanique met en évidence un volcanisme très actif au Campanien supérieur, caractérisé par de nombreux niveaux basaltiques définis comme la phase tardive de la mise en place du plateau océanique des Caraïbes (Caribbean Large Igneous Province ; Escuder-Viruete et al., 2011, 2016). Ces intrusions basaltiques du secteur des Caraïbes-Colombien sont intercalées avec des niveaux de radiolarites qui laissent à penser que ces niveaux proviennent plutôt de la fertilisation des eaux par le volcanisme actif du Campanien supérieur (Aumond et al., 2009 ;

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Kochhann et al., 2013) ou de l’altération d’arcs volcaniques plus anciens affleurant dans le secteur (Sandoval et al., 2015). L’origine de ces radiolarites reste donc encore assez controversée.

Le contexte géodynamique extrêmement complexe des Caraïbes, marqué par des épisodes volcaniques épars dans le secteur des Caraïbes (Fig. 10), semble sous étudié en terme de courantologie. Des études de modélisations suggèrent pourtant une intensification du courant dans le passage des Caraïbes au Campanien supérieur, allant de l’Atlantique vers le Pacifique (Donnadieu et al., 2016). Une implication de changement dans les courants océaniques et/ou de mise en place d’upwelling pourrait aussi expliquer cette augmentation des niveaux à forte productivité primaire, contemporain de ceux du domaine téthysien (Macellari et deVries, 1987).

En résumé, des modifications de la courantologie dans la Téthys ont été suggérées comme les facteurs principaux à l’origine des dépôts de forte productivité primaire dans la Téthys ; en revanche, dans les Caraïbes, ils résulteraient plutôt d’un intense volcanisme sous-marin et aérien au Campanien.