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Paix et réconciliation : la prise en compte de l’amendement et du plaidoyer de culpabilité dans la

Section 1. Les objectifs de la justice internationale pénale

B. Paix et réconciliation : la prise en compte de l’amendement et du plaidoyer de culpabilité dans la

1. Le plaidoyer de culpabilité

Bien que les statuts énoncent clairement que la Chambre de première instance n’est aucunement liée par l’accord de plaidoyer279 que le Procureur peut avoir passé avec l’accusé, le plaidoyer de culpabilité

a eu, en de rares occasions, un impact important dans la détermination de la peine, notamment dans quelques affaires devant le TPIY. L’affaire Miroslav Deronjić280 en est l’une des plus illustratives.

Dans cette affaire, l’accusé, Miroslav Deronjić, était poursuivi pour persécution. Au moment des faits

reprochés, il était responsable de la municipalité de Bratunac. Sans revenir plus en détail sur les faits, il est important de relever que non seulement l’accusé participait à un plan de délocalisation et

276 Il est intéressant de relever qu’en plus des finalités classiques de la peine que nous allons étudier tout au long de cette thèse, les juges évoquent des objectifs comme le besoin de vérité et de justice des victimes. Le procureur c Germain Katanga, ICC-01/04-01/07, Décision relative à la peine (art 76 du Statut) (23 mai 2014) aux para 38 (CPI, Chambre de première instance II) [Katanga peine], en ligne : CPI <www.icc-cpi.int/CourtRecords/CR2014_04297.PDF.>

277 Ibid au para 37. 278 Ibid au para 38.

279 RPP-TPIY, supra note 144,art 62 ter B.

280 Le procureur contre Miroslav Deronjić, IT-02-61-S, Jugement portant condamnation, (30 mars 2004) (Tribunal pénal internationale pour l’ex-Yougoslavie, Chambre de 1ère instance II) [Deronjić Condamnation], en ligne : TPIY<

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d’extermination des populations musulmanes de Bosnie Herzégovine, notamment celles de la municipalité dont il avait la charge, mais surtout, qu’il connaissait ce plan. L’accusé a reconnu avoir ordonné l’expropriation des personnes et la destruction des biens appartenant aux populations musulmanes du village de Glogova. Son plaidoyer de culpabilité, intervenu à la suite d’un accord passé avec le Bureau du Procureur, a eu pour effet le changement du premier acte d’accusation.

La question qui s’est posée dans le cadre de cette affaire était de savoir si le plaidoyer de culpabilité et la reconnaissance de ces crimes pouvaient constituer un motif d’atténuation de la peine malgré la gravité des crimes de persécutions dont Deronjić était accusé.

La Chambre de première instance a établi la gravité des crimes commis par l’accusé. Elle a même déclaré qu’il s’agissait « d’un exemple classique de nettoyage ethnique » et donc d’un « crime très grave par sa nature ». Néanmoins, pour en établir la gravité, des circonstances aggravantes ont été prises en compte. La Chambre de première instance a examiné le nombre élevé de victimes, l’abus de pouvoir, l’ordre de commission des crimes et la vulnérabilité des victimes, notamment à la suite de l’ordre de les désarmer. À l’issue de l’examen de la gravité du crime, la Chambre conclut qu’une « peine extrêmement lourde s’impose »281 à l’endroit de l’accusé. Cette conclusion est toutefois nuancée à

l’issue de l’examen des circonstances atténuantes qui, dans le cadre de cette affaire, sont définies en grande partie par le plaidoyer de culpabilité. En effet, la Chambre de première instance a pleinement approuvé le plaidoyer de culpabilité et l’accord que l’accusé a passé avec le Procureur. La vérité a ainsi pu être révélée tout en évitant aux victimes de témoigner. L’accusé a également exprimé des remords et accepté de témoigner dans le cadre d’autres procès. Par conséquent, Miroslav Deronjić a été condamné à 10 ans d’emprisonnement.

Cette affaire est la preuve que le plaidoyer de culpabilité peut contribuer à faire la lumière sur les événements et à ce que la vérité soit révélée. La Chambre de première instance le présente dans les termes suivants :

L’expression des remords et des repentirs, la contribution à la réconciliation et à l’établissement de la vérité, l’encouragement d’autres auteurs de crimes à se livrer et le fait que des témoins sont dispensés de venir déposer au procès sont les motifs avancés par le Tribunal pénal international pour l’ex- Yougoslavie et le TPIR dans leurs décisions pour accorder à l’accusé le bénéfice des circonstances atténuantes en cas de plaidoyer de culpabilité. En outre, les Chambres de 1reinstance ont tenu compte du fait qu’un plaidoyer de culpabilité permet au tribunal de faire l’économie d’une longue enquête et d’un procès prolongé, et ont attaché une importance particulière au moment où intervient le plaidoyer de culpabilité282.

281 Deronjić condamnation, supra note 280 au para 234. 282 Ibid.

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Aussi, comme établi dans le cadre d’autres affaires, la quête de la vérité est la voie pour atteindre la réconciliation et la paix. Dans une affaire similaire, la Chambre de première instance définit l’intérêt du plaidoyer de culpabilité :

La Chambre de 1re instance estime qu’un accusé qui plaide coupable fait un pas important dans cette voie (la voie de l’amendement)283. Cette reconnaissance indique entre autres la détermination d’un accusé à assumer ses responsabilités vis-à-vis des victimes et de la société dans son ensemble. Compte tenu de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, la Chambre de 1re instance estime que Miodrag Jokić a de bonnes chances de s’amender et que la question de sa réinsertion dans la société est particulièrement importante en l’espèce284.

Cette affaire illustre également la place que les juges ont accordée au plaidoyer de culpabilité. En effet, celui-ci a constitué une circonstance atténuante. Néanmoins, dans cette décision, les juges n’ont pas manqué de souligner l’importance de la rétribution et, par là même, de l’intérêt accordé à la gravité des crimes, de même que la nécessité de la dissuasion. Toutefois, concernant cette dernière finalité, ils indiquent qu’« il serait injuste de condamner lourdement une personne dans le seul but de dissuader les autres et, en définitive, c’est le respect de l’ordre juridique dans son ensemble quien pâtirait. C’est pourquoi (…) la Chambre de 1re instance a pris garde, en fixant la peine, de ne pas accorder à la dissuasion une importance injustifiée »285.

Miodrag Jokić a par conséquent été condamné à 7 ans d’emprisonnement. Cette décision a été entérinée par la Chambre d’appel par l’arrêt du 30 août 2005.

Si le plaidoyer de culpabilité a constitué une circonstance atténuante importante dans les deux affaires que nous venons d’analyser, il n’en a pas été ainsi dans la majorité des affaires devant le TPIY. En effet, dans l’affaire Dragan Nikolić, la Chambre de première instance précise clairement qu’un plaidoyer de culpabilité « n’est pas une circonstance atténuante importante »286. Elle reconnaît néanmoins son

intérêt dans la réalisation des objectifs de la justice internationale pénale, notamment sa contribution à la réconciliation.

À ce stade, il sied de relever que les règlements de procédure et de preuve (ci-dessous RPP) établissent une différence claire entre le plaidoyer de culpabilité, prévu par la règle 62 bis, et l’accord

283 Nous précisons.

284 Le procureur c Miodrag Jokić , IT-01-42/1-S, Jugement portant condamnation (18 mars 2004) au para 36 (TPIY, Chambre de 1ère instance) [Jokić condamnation], en ligne : TPIY < www.icty.org/x/cases/miodrag_jokic/tjug/fr/jok-

sj040318f.pdf >. 285 Ibid au para 34.

286 Le procureur c Dragan Nikolić, IT-94-2-S, Jugement portant condamnation (18 décembre 2003) au para 121 (TPIY, Chambre de 1ère instance) [Nikolić condamnation], en ligne : TPIY < www.icty.org/x/cases/dragan_Nikolić/tjug/fr/nik-

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de plaidoyer, prévu par la règle 62 ter. En effet, si le simple plaidoyer de culpabilité peut constituer une circonstance atténuante, et donc avoir un impact certain sur la décision du juge, tel n’est pas le cas de l’accord de plaidoyer que le Procureur a passé avec l’accusé. En effet, comme le révèle la Chambre de première instance dans cette affaire, « un accord de plaidoyer conclu en application de l’article 62 ter et 62 bis n’autorise pas la Chambre de première instance à s’écarter de la mission confiée au Tribunal qui est d’établir la vérité et de rendre justice au peuple de l’ex-Yougoslavie »287. Elle évoque,

avec assez de précisions, les inconvénients que peut avoir un accord de plaidoyer, notamment lorsqu’il est le résultat de la mise en œuvre du principe donnant-donnant. La sincérité de l’accusé est discutable dans ces cas.

Devant la CPI, l’expression « aveu de culpabilité » a été préférée à celle de « plaidoyer de culpabilité » qui présuppose l’existence d’un accord entre les parties et pour lequel la sincérité de l’accusé n’est pas toujours facile à déterminer. En effet, l’article 65-1 du Statut de Rome dispose :

1. Lorsque l'accusé reconnaît sa culpabilité comme le prévoit l'article 64, paragraphe 8, alinéa a), la Chambre de première instance détermine :

a) Si l'accusé comprend la nature et les conséquences de son aveu de culpabilité ;

b) Si l'aveu de culpabilité a été fait volontairement après consultation suffisante avec le défenseur de l'accusé ; et

c) Si l'aveu de culpabilité est étayé par les faits de la cause tels qu'ils ressortent : i) Des charges présentées par le Procureur et admises par l'accusé ;

ii) De toutes pièces présentées par le Procureur qui accompagnent les charges et que l'accusé accepte ; et

iii) De tous autres éléments de preuve, tels que les témoignages, présentés par le Procureur ou l'accusé.288

Plus récemment, devant la CPI, l’aveu de culpabilité de Ahmad Al Mahdi a eu un impact considérable dans la détermination de sa peine. Monsieur Al Mahdi a été accusé d’avoir commis des crimes de guerre pendant le conflit armé malien au cours duquel il a organisé et commandé les bombardements sur des monuments historiques de Tombouctou. L’accusé a passé un accord289 avec le Bureau du

Procureur en date du 25 février 2016 et son aveu de culpabilité a eu pour effet d’accélérer la procédure. Nous revenons sur cette décision dans la troisième partie de cette thèse290.

287 Ibid.

288 Statut de Rome, supra note 12, art 65.

289 Le procureur c Ahmad Al Faqi Al Mahdi, ICC-01/12-01/15, Version publique expurgé du dépôt de l’accord sur l’aveu de culpabilité de monsieur Ahmad Al Faqi Al Mahdi 25 février 2016 ICC-01/12-01/15-78-Conf-Exp (19 août 2015) (CPI, Chambre préliminaire I), en ligne : CPI < www.icc-cpi.int/CourtRecords/CR2016_05664.PDF >

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Voyons à présent l’impact que l’amendement a eu dans le prononcé des peines ainsi que les liens que font les juges avec les finalités de paix et de réconciliation.

2. L’amendement

L’amendement est défini par la Chambre de première instance du TPIR dans l’affaire Vincent Rutaganira.

Par « amendement », la Chambre entend la nécessité de tenir compte de la capacité qu’à la personne reconnue coupable de s’amender, cet amendement allant souvent de pair avec sa réintégration dans la société.

La Chambre estime que lorsqu’un accusé plaide coupable, il fait un pas important vers l’amendement et la réintégration. Cet aveu de culpabilité est susceptible de contribuer à la manifestation de la vérité ; il traduit la détermination d’un accusé à assumer ses responsabilités vis-à-vis de la partie lésée et de la société dans son ensemble, ce qui peut contribuer à la réconciliation qui est un des buts assignés au Tribunal291.

L’amendement est inscrit dans la jurisprudence du TPIR comme un objectif de la justice internationale pénale. Les juges en rappellent d’ailleurs l’importance dans différentes décisions. Cependant, il est à relever que cela n’a pas permis d’imposer des peines moins lourdes. Il semble difficile pour les juges de faire une application effective des finalités de paix et de réconciliation.

Dans son jugement de sentence dans l’affaire Muhimana, la Chambre de première instance met l’accent sur les finalités de la justice internationale pénale pour déterminer la peine. Elle précise que : « (l)a Résolution 955 du Conseil de sécurité portant création du Tribunal, en son préambule, met l’accent sur la nécessité de promouvoir les objectifs de dissuasion, de justice, de réconciliation, et de rétablissement et de maintien de la paix. La Chambre estime qu’un procès équitable et, en cas de reconnaissance de culpabilité, une peine équitable contribuent à atteindre ces objectifs »292.

Bien que les fondements juridiques de ce jugement soient plus clairs et que l’on y retrouve l’objectif du maintien de la paix, l’accusé dans cette affaire a été condamné à la peine d’emprisonnement à vie. On s’interroge alors sur la place de ces nombreuses finalités.

L’une des affaires les plus pertinentes concernant l’amendement de l’accusé est sans aucun doute

291 Le procureur c Vincent Rutaganira, TPIR- 95-1C-T, Jugement portant condamnation (14 mars 2005) aux para 113 et 114 (TPIR, Chambre de première instance III) [Rutaganira condamnation], en ligne : TPIR < unictr.unmict.org/fr/cases/ictr- 95-1c >.

292 Le Procureur c Mikaeli Muhimana, ICTR-95-1B-T, Jugement et sentence (28 Avril 2005) para 588 (TPIR, Chambre de 1ère instance) [Muhimana jugement] en ligne : TPIR < www.unictr.unmict.org/sites/unictr.org/files/case-documents/ictr-95-

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l’affaire Miroslav Bralo293 devant le TPIY. En effet, Miroslav Bralo s’est rendu au tribunal en 2004294 et,

avant cela, il avait déjà commencé à poser des actions en vue de s’amender. Ainsi, il a travaillé pour la communauté dans une région de Bosnie-Herzégovine entre 2000 et 2004, année de sa reddition295,

a aidé à la localisation des cadavres, contribué aux opérations de déminage296 et a exprimé des

remords sincères297. Au moment de son audition par le Bureau du Procureur, il a reconnu avoir commis

des actes qui ne se trouvaient pas dans l’acte d’accusation. Ces aveux ont conduit à la modification de l’acte d’accusation, pour y ajouter le chef de crime contre l’humanité. Son plaidoyer de culpabilité a été jugé sincère par les juges, qui ont affirmé que « [l]e fait que l’Accusé a reconnu sa responsabilité et qu’il a exprimé des regrets à l’attention des victimes montre qu’il a changé depuis les faits. La Chambre de première instance est convaincue que cette transformation se poursuivra pendant qu’il purgera sa peine et que ce châtiment lui permettra définitivement de s’amender »298. Les efforts fournis

par l’accusé ont certes été reconnus299, mais pas vraiment pris en compte dans la détermination de la

peine. Considérant la gravité des crimes, les juges penchaient pour 25 ans de prison. Toutefois, compte tenu des circonstances atténuantes, cette peine a été réduite de cinq ans. Pourtant, l’implication de l’accusé remonte à la période succédant la commission des crimes. Cela dénote encore l’impact de la rétribution dans les décisions des tribunaux pénaux internationaux. La défense avait requis moins de 10 ans d’emprisonnement au vu de ses efforts et en comparaison avec Anto Furundžija, initialement mis en cause dans la même affaire, qui avait été condamné à 10 ans d’emprisonnement pour des faits similaires300. Miroslav Bralo est toujours détenu dans une prison

suédoise et n’a jamais demandé la libération anticipée à laquelle nous estimons qu’il aurait droit, car il a déjà purgé plus de la moitié de sa peine, ayant fait à ce jour 11 ans d’emprisonnement.