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Coût et méthode.

La question du coût des artisans au sein du coût global d’une construction est particulièrement intéressante, mais il sera peut-être difficile d’y répondre de manière pertinente. En 1690, le couvent dépensa 1035 livres et 5 sols dans la couverture d’ardoises. L’achat des ardoises coûta 700 livres668

sans compter le transport, soit environ 57 % du budget total. La pose de ces ardoises, sur 127 toises coûta en tout à peu près 104 livres669, soit 26 % du budget. Rien dans les comptes ne nous indique un savoir-faire particulier des employés, nous ne connaissons pas leur nombre mais l’on constate que le paiement a été effectué selon le nombre de toises (10 sols la toise) et non pas à la journée. Le coût des ouvriers était beaucoup moins important que l’achat des matériaux car ceux-ci étaient des ardoises fort coûteuses. La même année, 399 livres et 16 sols ont été dépensés pour « la

construction des chaizes de l’église »670

. Les matériaux ont coûté en tout 229 livres et 2 sols, soit 57 % du total tandis que le paiement des menuisiers et du serrurier ont en tout coûté 170 livres et 4 sols671, soit 43 % de la dépense. On constatera un paiement en journées pour les menuisiers. On retrouve donc deux types de rémunération pour la même année : en journées et à la toise, que l’on pourrait rapprocher d’un paiement à la pièce. On peut ajouter à cette époque un troisième type de paiement : à la tâche. C’est ce mode de paiement qui était le plus répandu en ce début de XVIIIe siècle, le client fournissant les matériaux la plupart du temps.672 Quand aux artisans des métiers du bâti, ils « privilégient de leur côté les paiements à la journée, comme le font les journaliers.. »673. Pour Prémol, les paiements en journées prirent une réelle importance dans les comptes à partir du tout début du XVIIIe. Le paiement des artisans est avant cette période beaucoup moins détaillé.674

668 « Pour 140 grosses de mediocres ardoises achptées de monseigneur d'Allemont, a raison de 5 livre la

grosse rendue aux Alberges payé...700 livres. » ADI, 17H 23, op. cit, annexe N° 5, 1690.

669 « pour les employer a 10 sols la toise; pour 127 toise 9 pieds: 64 livres 19sols.

Journées de manœuvres à les transporter...39 livres. » Ibidem, annexe N° 5, 1690.

670 Ibidem, annexe N° 5, 1690.

671 « Journées de menuisiers: 123 livres, 4 sols ; au serrurier: 47 livres. » Ibidem, annexe N° 5, 1690. 672

« L’artisan ne fournissant que sa main d’œuvre, c’est cette dernière qui est salariée… » BELMONT, Alain,

Des ateliers au village…op. cit, livre 2, p. 144.

673 Ibidem, p.144.

674 Pour exemple, en 1694, les paiements des maçons étaient indiqués ainsi : « pour masson et leur

Divers modalités viennent se greffer à ces méthodes de paiement, la plupart dues au manque de liquidité.675 Le crédit était ainsi courant pour la chartreuse de Prémol, mais il est moins visible au sein des comptes dans la seconde partie du XVIIIe siècle.676 Il semblerait donc que la chartreuse ait disposé de plus de liquidités pour payer les artisans directement. Une tendance nullement irréversible puisqu’en 1772, le maçon Faure s’est vu verser des acomptes677. M. Belmont affirme que pour les Dauphinois, la méthode de paiement la plus utilisé était finalement le troc678. Le Petit Robert679 définit ce terme comme un « échange direct d’un bien comme un autre ». Ce type d’échange n’est pas mentionné dans les comptes de Prémol. Il y a par contre d’autres méthodes similaires, découlant du troc. Ainsi le 22 octobre 1786680, Antoine Viallet de Montchabou s’engagea à fournir à Prémol 150 toises d’ardoises par an, à 24 sols la toise et douze planches de bois toute les 100 toises. Le bois était en effet une matière dont la chartreuse disposait assez facilement, grâce à sa gestion organisée de la production. Leur production est même indiquée à la fin du compte 17H 24. Autre que le bois, la nourriture donnée aux artisans fut utilisée comme moyen de paiement. On retrouve ce type d’arrangement tout au long du XVIIIe siècle. En 1695, le paiement des manœuvres est précisé « sans la nourriture »681

, et en 1747, 72 livres et 2 sols682 ont été déduit du paiement total des ouvriers pour leur avoir fourni des fromages et autres denrées. Emilie-Anne Pépy a retrouvé dans les comptes de la Grande Chartreuse mention de distribution de vin lors des travaux comme les fenaisons683. Pour les maçons et bouviers qui travaillèrent à Prémol en 1758, ce fut du tabac qui leur fut offert afin de travailler « plus promptement »684.

675« Pendant tout l’Ancien Régime, les campagnes françaises en général et dauphinoise en particulier

souffrent d’une pénurie chronique d’espèces sonnantes et trébuchantes. » BELMONT, Alain, Des ateliers au

village…op. cit, livre 2, p. 144.

676« donné a M.re marc viallet a compte de ses fournitures d’ardoises : 18 ». ADI, 17H 23, op. cit, annexe N°

5, 1734.

677

« le 12 avril donné a faure maçon acompte du prixfait des alberges: 30

le 17. may donné a faure acompte du prixfait des alberges: 48 » ADI, 17H 34, op. cit, annexe N° 11, 1772.

678 BELMONT, Alain, Des ateliers au village…op. cit, livre 2, p. 145. 679

ROBERT, Paul, Le Petit Robert. Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue Française, Paris, Les Dictionnaires LE ROBERT, 1991, p. 2025.

680 ADI, 17H 22, op. cit, annexe N° 10, 1786.

681 « aux manoeuvres desdits massons a 5 sols par jour sans la nourriture...27, 3 ». ADI, 17H 23, op. cit,

annexe N° 5, 1695.

682

« Ces Reparations en tout 1143; 2; 6 sur quoy rabattre 72; 2 pour fromage et autres petites denrees qu'on

a fourni aux ouvriers verte: 1071 et 6 deniers. » ADI, 17H 24, op. cit, annexe N° 6, 1747.

683 PEPY, Emilie-Anne, op. cit, p. 81.

684 « pour Depenses en tabac donné aux Maçons, Bouvier et autres manoeuvres pour les encouragé a

Les changements du XVIIIe siècle.

En 1697 a été entreprise la construction d’une infirmerie ; 2183 livres et 12 sols685 furent déboursées pour son élévation qui fit intervenir de nombreux artisans apparaissant régulièrement dans les comptes de Prémol. Le coût des artisans fut de 1373 livres et 3 sols, soit 63 % de la construction tandis que celui des matériaux se porta à 809 livres et 3 sols, soit à peu près 37 %. Malgré l’achat d’ardoises (342 livres et 12 sols)686

, le coût de la main d’œuvre fut bien plus élevé. En particulier celui des maçons (16.5 %), des manœuvres (16 %) et des charpentiers (11.8 %). Aucun détail ne nous permet encore de préciser des salaires par personnes et catégories. Il n’y a pas non plus de précision sur un paiement par tâches ou par journées. Nous pouvons seulement constater la diversité des artisans qui furent appelés à travailler au point névralgique du désert cartusien de Prémol : lanternier, serrurier, menuisier, « bœufs étrangers », chaufournier…687

Trente-huit années plus tard, la construction de l’écurie fut entreprise, 1784 livres et 14 sols furent dépensées l’année 1735688. Or, nous arrivons exactement au même pourcentage de dépense : environ 36 % de la somme a été dévolue à l’achat de matériaux (soit 645 livres et 15 sols) et 64 % au paiement des artisans et ouvriers (1143 livres et 3 sols). L’intégralité de la rémunération des ces derniers a été réalisée en journées, sauf pour deux types de travaux où les maçons furent payés au nombre de toises : la construction de muraille et la taille de pierre. La distinction entre l’achat de matériaux et le paiement des artisans tendait à devenir moins radicale. La chartreuse n’a pas acheté de pierres, ni de briques, ni de molasses ou de chaux cette année 1735, mais elle paye les artisans qui se chargent de tirer de la pierre689 et de fabriquer la chaux690. De même en 1747, 2200 livres ont été données « pour les Bastiments de Compte fait avec Mre Jacques entrepreneur »691, mais les achats réalisés ne sont pas détaillés.

685 « on fait icy despense de la somme de 2183 livres, 12 sols emploié comme s'en suit

premierement pour le bastiment de l'infirmerie paié par nostre tres Reverend père ». ADI, 17H 23, op. cit,

annexe N° 5, 1697.

686 « plus pour le susdit bastiment pour 80 grosses ardoises: 343; 12. » Ibidem, annexe N° 5, 1697. 687 Voir. Ibidem, annexe N° 5, 1690.

688 ADI, 17H 24, op. cit, annexe N° 6, 1735. 689

« donné aux ouvriers qui ont tirré les pierres derrier beau regard : 5 livres et 1 sols ». Ibidem, annexe N° 6, 1735.

690« ces mesmes massons ont faits 34 journées et demy pour degrossir les pierres garnit le rafour fait cuire la

chaux a 1 L. par four font 34 livres et 10 sols. » Ibidem, annexe N° 6, 1735.

691

En réalité, la seconde moitié du XVIIIe siècle voit apparaitre un nouveau type de fonctionnement dans les réparations à Prémol : l’artisan s’occupe des réparations tout en fournissant les matières premières nécessaires. Un phénomène visible par exemple en 1752 où « l’entrepreneur a tout fourni »692, pour une cave en 1754 où ce furent les ouvriers qui fournirent le nécessaire693 pour la modique somme de 1900 livres. Cette méthode permettait aux artisans de se faire une marge financière supplémentaire694. Elle est en réalité révélatrice d’une réaction des artisans face aux difficultés de leurs conditions de vie. Depuis le début du XVIe siècle, le nombre d’effectifs était croissant mais en 1760-1770, il diminua face à une baisse du pouvoir d’achat. « Les courbes des effectifs perdent leur aspect uniforme et adoptent un rythme irrégulier, fait de crises, de récupérations… »695

. Un autre moyen de défense, bien visible dans le bâtiment fut l’utilisation de prix-fait pour des tâches définies. Le prix-fait était auparavant utilisé de manière sporadique pour les constructions à Prémol696, mais il apparait beaucoup plus employé dans la seconde partie du XVIIIe… On en retrouve en 1757, 1758, 1765, 1769697

, 1772698… C’est exactement durant ces années 1760, 1770699 que ce mode de règlement fut adopté par les artisans du bâti, dans tout le Dauphiné. Le rythme irrégulier de la courbe des effectifs et des modes de paiement est cependant clairement visible pour les hommes qui ont servi de leur art la chartreuse de Prémol. On retrouve en 1784 un charpentier payé 35 sols la journée de travail700, l’achat de pierres701 en 1788…

692 « ais encore faire a mantonne les cloisons de la salle en plastre tout a neuf fait la cheminée et d'autres

petites reparations aux murs, L'entrepreneur a tout fourni, en tout: 152; 15. » Ibidem, annexe N° 6, 1752.

693

« pour la cave faitte a mantonne donné aux ouvriers qui ont tout fourni: 1900 ». Ibidem, annexe N° 6, 1754.

694Voir. BELMONT, Alain, Des ateliers au village…op. cit, livre 2, p. 170, 171. 695 BELMONT, Alain, Des ateliers au village…op. cit, livre 1, p. 153.

696

On retrouve par exemple mention d’un prix-fait en 1694: « pour prix-fait d’un fossé pour l’estang ». ADI, 17H 23, op. cit, annexe N° 5, 1694.

697« le 11 septembre payé a enemond prat pour le prix fait du four 51 livres plus pour toutes les journées

qu’il a fait avec ses compagnons 11 ; 8 ». ADI, 17H 32, op. cit, annexe N° 9, 1769.

698 « le 12 avril donné a faure maçon acompte du prixfait des alberges: 30 ». ADI, 17H 34, op. cit, annexe

N° 11, 1772.

699 « Enfin, les derniers fidèles des salaires à la journée, les métiers du bâtiment, se convertissent à leur tour

aux nouveaux modes de règlements entre 1760 et 1780 et n’acceptent plus que des paiements globaux, exprimés sous forme de prix-faits ». BELMONT, Alain, Des ateliers au village…op. cit, livre 2, p. 170.

700 « 1784. 19 Mars. 20 journées de charpentier pour l'écluse du Batoir du Martinet à 35 S.: 35 L. » ADI,

17H 34, op. cit, annexe N° 11, 1784.