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Les tuiles et les briques.

En dehors des ardoises, les comptes mentionnent aussi l’achat de tuiles pour les toitures. Mais il semblerait que ces tuiles n’étaient pas destinées à Prémol mais à ses domaines. En 1697, des tuiles640 ont été achetées pour Mantonne ; en 1698 et 1699 pour Moras641. En 1726 et 1732642, les comptes nous mentionnent l’achat de tuiles pour le domaine de la Tour, et en 1733, 450 petites tuiles furent achetées pour le domaine des Alberges… Des achats qui confirment les pressentiments précédents, seul le couvent semble avoir été couvert d’ardoises. Et encore, il est possible que plusieurs types de couvertures aient été utilisés simultanément pour les bâtiments du couvent. Certains domaines étaient couverts de tuiles, d’autres devaient surement l’être d’essandoles. On peut distinguer plusieurs types de tuiles dans les comptes : des tuiles « ordinaires », des grosses tuiles et des petites tuiles ainsi que des « grandes tuiles de frétage »643, bien plus chères.

A la lecture des comptes de la chartreuse, nous pourrions penser que le monastère était construit avec des briques et des molasses. On peut en effet lire l’achat de 8000 briques en 1697644, 2600 en 1698645 et 1750 briques en 1727646. Ensuite, on ne relève plus aucun achat les décennies suivantes. Un fait à priori normal puisque Prémol fit construire

640 « …des tuiles pour les couverts de Mantonne ». ADI, 17H 23, op. cit, annexe N° 5, 1697. 641 « pour tuiles et briques : 122 livres ». Ibidem, annexe N° 5, 1699.

642 « pour 1338 tuiles ordinaires pour la Tour a 2 livres 6 sols le cent : 30 livres, 14 sols et 9 deniers. »

Ibidem, annexe N° 5, 1732.

643

« pour 24 grandes tuiles de frétage a 5 sols ». Il faut sans doute comprendre des tuiles de faîtage ou d’arêtes. ADI, 17H 24, op. cit, annexe N° 6, 1763.

644 « pour 8000 briques : 96 livres ». ADI, 17H 23, op. cit, annexe N° 5, 1697. 645 « pour 2600 briques : 31 livres et 4 sols ». Ibidem, annexe N° 5, 1698. 646

en 1738647 un fourneau à briques à l’intérieur de la forge. L’achat de briques n’avait pourtant jamais coûté bien cher à Prémol, et nous étions très loin des prix exorbitants de l’ardoise. Quoi qu’il en soit, la production de ce four nous est inconnue, et les briques ont disparu des comptes. La construction d’unité de production similaire est visible dans les autres chartreuses tout au long du XVIIIe siècle : une tuilerie-briqueterie a été édifiée à Bonlieu en 1738648, des tuileries à La Frasnée et Nermier…649 D’après Jean-Luc Mordefroid, les chartreux comtois auraient « tenter d’alléger les budgets en ayant recours à une formule autarcique. »650 La construction de cette briqueterie à Prémol était sûrement due à cette même idée. L’autonomie de la production permettait, en plus de l’allégement des coûts, une meilleure et plus rapide disponibilité de la brique. A quelles constructions furent destinées ces briques, c’est là un mystère car les vestiges de la chartreuse nous montrent l’utilisation unique de la pierre : de mollasses plus ou moins équarries. Et nous n’avons aperçu qu’une seule brique sans aucune certitude sur son attachement à Prémol ; elle était située près de la chapelle.651 Elles devaient en tout cas avoir une utilité à la maison même de Prémol pour qu’un four y fût construit.

La pierre et la chaux.

Les comptes nous mentionnent aussi l’achat de pierres taillées ou de molasses, mais ce sont rarement d’importantes quantités… Fin XVIIe, début XVIIIe siècle, on constate l’achat de pierres de taille652

, sans grande précision sur la nature de la pierre, son prix et son origine. Ainsi que l’achat de molasse, dont le prix était par contre très souvent indiqué à la pièce653. Milieu XVIIIe, la tendance dans les comptes était à l’économie de lignes dans les comptes. L’achat de matériaux et la tâche effectuée par les ouvriers avec les matériaux en question ne sont plus séparés, il y a un paiement pour un tout. Il est donc difficile de séparer les actes dans ces cas là. On retrouve heureusement quelques cas échappant à ce

647 « Construction d'un fourneau a Briques dans le forge ». ADI, 17H 24, op. cit, annexe N° 6, 1738. 648

MORDEFROID, Jean-Luc, « Les ateliers de potiers et les tuileries-briqueteries des chartreuses du Jura au XVIIIe siècle » in MORDEFROID, Jean-Luc (dir.), La montagne, l’ermite et le montagnard. Evocation

historique et archéologique des chartreuses de Vaucluse (Jura), de la Verne (Var), de Bonlieu (Jura), du Port-Sainte-Marie (Puy-de-Dôme) et de Sainte-Croix-en-Jarez (Loire) XIIe-XVIIIe siècles, Montmorot,

URAC, 2005, p. 171.

649

Ibidem, p. 168.

650 Ibidem, p. 168.

651 Voir. Photo d’une brique près de la chapelle de Beauregard. Illustration N° 25 (An.). 652 « Pour pierres de taille : 154 livres et 11 sols ». ADI, 17H 23, op. cit, annexe N° 5, 1697. 653

phénomène. En 1761, un maçon a vendu 6 toises de pierre à 90 livres654, et il a aussi été payé pour les journées passées à tailler la pierre. Le maçon a fourni et taillé la pierre, il s’est occupé des deux. On retrouve un exemple similaire pour les molasses : « le 29 juin

payé a prat masson pour toutes les molasses qu’il a fourni pour refaire le four et pour deux journées : 67 ; 17 ; 6 »655. Et encore, on constate encore le paiement pour un tout. L’artisan est devenu payé à la tâche et à la journée. Ce qui induit des modifications dans la prise de note des comptes. Cela explique le peu d’achats de pierres mentionnés dans les comptes alors que les vestiges de Prémol sont uniquement composés de pierre taillées, d’autres moins équarries et de mollasses. Les artisans amènaient leur matière première. Quant à l’origine des pierres qui constituaient la chartreuse, elles étaient extraites des carrières situées autour de Grenoble, qui au début du XVIIIe commencèrent à dépasser le cadre local du village.656 Un nom de carrière revient cependant fréquemment dans les comptes, notamment à la fin du XVIIIe : celui de Berlan.657 Nous ne savons si ce toponyme correspond au même situé auparavant sur la commune de Saint-Christophe-sur- Guiers où si la carrière désignait un lieu situé plus proche du couvent.

La chaux fut aussi une matière très souvent achetée à Prémol. Il semblerait qu’au départ, la chartreuse ait essayé d’en faire elle-même : « pour facon de rafour658

et sables : 19 livres et 2 sols ».659 On retrouve même régulièrement l’achat de « gip »660. Mais en même temps, on trouve des achats de chaux déjà constituée : « pour chaux : 209 livres et

13 sols »661. La raison semble être la qualité de la chaux réalisée à Prémol, comme en témoigne l’année 1695 : « 104 muits de chaux et 6 banatées la nostre n’estant pas assez

forte ».662 A partir du milieu du XVIIIe siècle, il semblerait que la chaux ait été exclusivement achetée aux chaufourniers. On retrouve même des achats de sacs de toiles pour transporter la chaux.

654

« a la liberté maitre masson pour 6 toises pierre de taille a 15 livres la toise : 90 livres ; au meme pour 30

journées de massonerie ou a tailler la pierre a 30 sols, 27 et 20 la journ : 42 livres ». ADI, 17H 24, op. cit,

annexe N° 6, 1763.

655

ADI, 17H 32, op. cit, annexe N° 9, 1769.

656 BELMONT, Alain, Des ateliers au village…op. cit, tome 1, p. 136.

657 « le 8 novembre a etienne guimet pour 3 journées a la carriere du berlan : 1 ;4 ». ADI, 17H 32, op. cit,

annexe N° 9, 1764.

658 Un « rafour » étant un four à chaux. 659

ADI, 17H 23, op. cit, annexe N° 5, 1698.

660« Pour 3 charges de gip ». Ibidem, annexe N° 5, 1723. Il faut ici voir du gypse, dont un liant minéral est

issu après cuisson.

661 Ibidem, annexe N° 5, 1699. 662

Au final, les matériaux utilisés restèrent très traditionnels comparés à d’autres chartreuses. Au XVIIIe siècle, les chartreuses de La Verne et du Port Sainte Marie employaient de la serpentine et de la lave de Volvic663 ; les chartreux de Bosserville commandèrent du porphyre en Italie en 1710 et du marbre languedocien à la chartreuse de Paris.664 La seule « préciosité » de Prémol étant l’utilisation des ardoises, ces dernières ayant été recommandées par Le Masson. Achetées en continu tout au long du XVIIIe siècle où l’on a pu observer une multiplication des vendeurs. Entrainant par là même une plus grande liberté dans le choix de produits de différents types et prix. On peut même observer dans les années 1790 l’apparition de convention d’achats sur plusieurs années. La présence dans les comptes d’achats de tuiles nous amène à exprimer la possibilité d’une utilisation conjointe à Prémol de la tuile en plus de l’ardoise.

663 Voir. MORDEFROID Jean-Luc, CARLIER, Mathieu, « La mise en œuvre de la serpentine à La Verne et

de la lave de Volvic au Port-Sainte-Marie XVIe-XVIIIe siècles » in MORDEFROID, Jean-Luc (dir.), La

montagne, l’ermite et le montagnard…op. cit, p. 91.

664

Chapitre 9 – Les artisans et la chartreuse.

Ce dernier chapitre a pour but une étude sommaire des artisans en bâtiment de la chartreuse de Prémol. Une étude sur les artisans ruraux très complète et exhaustive a déjà été réalisée par M. Alain BELMONT sur l’ensemble du Dauphiné, prenant notamment appui sur des archives de Prémol665. La publication sur les chartreuses de Provence nous indique logiquement que les chartreux n’étaient pas des bâtisseurs666, leur vocation religieuse les tournant plutôt vers la prière et l’union à Dieu que vers les problèmes de construction. Il y a eu des contre-exemples, des Chartreux ayant réalisés des plans. On ne citera en exemple que Dom Le Masson pour la Grande Chartreuse ou Dom Berger pour les plans de Marseille. Mais ils se situent en amont du projet global. L’élévation d’un couvent nécessitait une main d’œuvre importante pour la construction en elle-même, le bassin d’emploi étant généralement le plus proche possible du chantier.667

N’ayant pu retrouver d’archives sur la reconstruction de Prémol après 1707, nous en serons réduits à étudier ces artisans durant les phases de réparations et de grandes constructions. Une interrogation se pose déjà préalablement. Nous avons pu lire les difficultés que rencontraient les Chartreuses avec les populations avoisinantes, Prémol n’échappant pas à la règle. Et certains procès le confirment. Pourtant, il a bien fallu une certaine entente pour que Prémol embauche les gens de la région. Existait-il un réseau particulier de familiers autour de la chartreuse ? Y a-t-il eu plusieurs générations de la même famille, mettant leur savoir faire au service de l’ordre cartusien ? Nous allons tenter d’y répondre, en plus des questions plus générales axées sur les coûts des artisans et leur diversité.

665 Voir. BELMONT, Alain, Des ateliers au village…op. cit.

666 AMARGIER Paul, BERTRAND Régis, GIRARD Alain, LE BLEVEC Daniel, op. cit, p. 139.

667 « Ils eurent recours aux ouvriers du siècle et de la contrée dans laquelle ils s’implantaient ». Ibidem, p.