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B. Les différents modes de rémunération des médecins généralistes

1. Le paiement à l’acte

a) Définition : un mode de rémunération

rétrospectif

Dans ce système, le médecin est rémunéré selon le nombre et le type d’actes produits pour le patient, avec un tarif spécifique correspondant à chaque service. Ce prix peut selon les cas être fixe ou variable.

Si les tarifs sont fixes, les médecins et le payeur s’entendent sur une gamme de services et les prix qui leur correspondent selon un barème, la grille d’honoraires, pour une période de temps donnée (le plus fréquemment une année). Dans le système des prix variables, il n’existe pas de cotation fixe des différents services, et les médecins facturent les actes selon leur propre barème (18).

Dans les deux cas, le praticien garde un enregistrement détaillé des actes effectués, qu’il envoie à intervalles réguliers au payeur.

Il s’agit donc d’un paiement rétrospectif : la rémunération du praticien se fait a posteriori, et est basée sur les actes effectivement réalisés. Il prédomine dans les systèmes de santé de tradition bismarckienne, où le risque maladie est couvert par l’assurance.

Dans certains pays, dont la France, le paiement à l’acte est considéré comme un des principes fondateurs de la médecine libérale : il est le garant de la relation personnelle de confiance entre le médecin et son patient caractérisant le colloque singulier ; il est ainsi dans notre pays étroitement lié à l’image du médecin de ville.

Ce mode de paiement largement répandu présente des avantages indéniables ; il souffre cependant d’inconvénients certains : ses détracteurs le décrivent ainsi comme une méthode de rétribution archaïque et inflationniste.

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b) Avantages du paiement à l’acte

(1) Une productivité accrue

Le médecin étant rémunéré en fonction du nombre d’actes réalisés, il est incité à voir un maximum de patients, et à déployer des efforts importants pour les traiter et les satisfaire (19). Les médecins payés à l’acte présentent ainsi une durée hebdomadaire de travail plus longue, aboutissant à une quantité de prescriptions plus importante.

Contrairement à d’autres modes de rémunération, le médecin qui souhaite obtenir un niveau de revenu satisfaisant n’a aucun intérêt à lésiner : il est dans son intérêt de répondre au mieux à la demande de ses patients.

Il faut également noter que dans les régions avec une faible densité de médecins, le paiement à l’acte est le mode de rémunération qui compense le mieux la faiblesse de l’offre de soins. Il s’agit d’un élément à prendre en compte dans le contexte démographique médical actuel.

(2) Une bonne satisfaction des patients

En toutes circonstances le médecin a intérêt à délivrer des soins à son patient en cas de paiement à l’acte : cela permet l’assurance d’une continuité des soins et un accès à l’offre de soins simple et rapide.

Ce mode de rémunération aboutit à une équité entre les patients, le médecin n’ayant pas d’incitation particulière à refuser les malades avec un traitement lourd et coûteux. D’après une étude américaine (20), les malades présentant les pathologies les plus graves ont d’ailleurs tendance à choisir des systèmes avec paiement à l’acte : aux yeux des patients américains, les soins prodigués par les médecins payés à l’acte sont de meilleure qualité.

De plus, il est facile de choisir et de changer de praticien en cas de paiement à l’acte, notamment dans les systèmes ne comprenant pas d’ « abonnement » à un médecin généraliste spécifique.

(3) L’autonomie du médecin

Le paiement à l’acte permet une grande liberté d’exercice professionnel et une indépendance vis-à-vis de l’organisme payeur.

Le médecin est le seul garant de ses revenus : il peut moduler son activité en fonction de ses choix. Par exemple, si les tarifs des actes médicaux diminuent, il peut choisir d’augmenter son activité s’il entend conserver les mêmes revenus.

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c) Inconvénients du paiement à l’acte

(1) Un système inflationniste : tendance à la

surproduction et risque de demande induite

Le paiement à l’acte peut aboutir à la surproduction : les médecins ont des incitations financières à augmenter le volume de services et fournir un nombre élevé de prestations, parfois plus important que médicalement nécessaire. Le médecin étant le propre régulateur de son revenu, il dispose de plusieurs moyens pour augmenter ce dernier (21). Il peut revoir à la hausse le prix des actes, mais cette solution est limitée aux seuls cas de figure où le praticien dispose de son propre barème, les coûts des prestations étant définis de manière extrinsèque par la convention médicale dans le système des tarifs fixes. Il peut également augmenter le nombre d’actes, en majorant son temps de travail ou en diminuant la durée de chaque consultation.

La rétribution dépend du nombre de prestations, mais aussi de leur type ; le domaine médical étant en perpétuel progrès, de nouveaux actes sont codifiés en fonction des nouvelles technologies. Ces nouvelles prestations étant jugées de meilleure qualité et de coût plus important par rapport aux précédentes, les tarifs qui leur sont associés sont généralement plus élevés. Pour prendre en charge son patient, le praticien dispose de plusieurs possibilités de traitements (y compris ne rien faire). N’étant pas un agent parfait dans la relation qui le lie au malade, il peut être tenté de choisir le traitement le plus coûteux, qui lui assurera des revenus supérieurs.

Ce mode de rémunération, surtout s’il est associé à une augmentation de l’offre médicale et à un faible co-paiement de l’assuré, aboutit donc à une hausse des coûts de santé. On estime qu’un système de soins dans lequel prédomine le paiement à l’acte présente des dépenses 11 % plus importantes que celles d’autres systèmes (22).

La demande induite est un autre inconvénient rencontré dans ce type de paiement : il s’agit de la différence entre la quantité de soins délivrée par le médecin et celle qui aurait été choisie par le patient s’il avait été correctement informé sur sa maladie et son traitement (23). Ce concept est connu depuis plusieurs décennies puisque la première publication qui y fait référence date de 1974 (24) : Evans démontre que le médecin fournit plus de prestations au malade que ce dernier n’aurait demandé s’il disposait de la même information que lui.

La demande induite provient de l’asymétrie d’information entre le médecin et son patient : le praticien disposant du savoir médical, il est en mesure d’influer sur la demande de soins de son patient. Ce dernier confie en effet sa santé à l’expert qu’est son médecin, sans avoir la possibilité de juger du bien-fondé des décisions prises : ce rapport particulier caractérise la relation d’agence. Étant à la fois prescripteur et producteur de soins, le médecin peut augmenter artificiellement la demande pour son propre bénéfice, traduisant une certaine inefficacité dans la relation d’agence. Il utilise alors son

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pouvoir discrétionnaire : le patient ne se rend pas compte que sa propre demande provient de l’influence du médecin. Ce phénomène est retrouvé dans Knock de Jules Romains : désireux de faire fortune, le docteur Knock spécule sur la peur de la maladie dans la population et influence le besoin de se soigner, argumentant que « les gens bien-portants sont des malades qui s’ignorent » (25). Plusieurs facteurs peuvent aboutir à une augmentation de la demande induite (26) : une incertitude sur le traitement le plus approprié, une charge de travail faible des médecins, une densité médicale forte augmentant le phénomène de concurrence, ou encore une baisse du tarif des actes. Le paiement par un tiers renforce ce phénomène, la solvabilisation des patients par l’Assurance Maladie les rendant peu sensibles aux prix et aux volumes de soins consommés.

La réalité de la demande induite reste à l’heure actuelle un sujet de débat (27), cependant plusieurs études retrouvent des éléments objectifs d’induction (28) : entre autres exemples, la prévalence de certains soins est plus basse chez les patients les mieux informés, à savoir les médecins et leur famille, que dans la population générale (29) ; lorsque les prix des prestations diminuent, les médecins compensent la perte de revenus en augmentant le volume des actes (30).

Certains facteurs limitent la demande induite, telles que les motivations intrinsèques du médecin représentées par son éthique professionnelle et son envie d’agir dans l’intérêt du patient. Elle est également limitée par la menace de recherche d’une deuxième opinion ou par la possibilité pour le patient de changer de médecin.

En réalité les médecins restent sensibles aux incitations financières, et ne sont donc ni totalement intéressés, ni totalement altruistes.

Le paiement à l’acte peut ainsi être considéré par certains comme un « système inflationniste où celui qui paye [l’Assurance Maladie, NDA] n’a pas de prise sur celui qui ajuste son revenu par l’offre [le médecin, NDA], le solde se faisant sur le dos du malade par l’augmentation des cotisations ou la baisse des remboursements » (31).

(2) Peu d’incitation à la prévention et au dépistage

Les médecins rétribués par paiement à l’acte sont peu motivés à promouvoir la prévention, car seuls les actes réalisés pour les soins sont rémunérés : il n’existe pas de cotation pour les actes de prévention, qui sont par nature plus diffus et moins mesurables. Ce système est donc plus facilement orienté vers les soins curatifs ; si on caricature la situation, on pourrait presque affirmer que le médecin a tout intérêt à ce que son patient soit et reste malade…

La philosophie de la médecine moderne est de « faire plutôt que ne pas faire » (14). Cette incitation se trouve encouragée dans la rémunération à l’acte.

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(3) Des coûts élevés (19)

Le médecin doit envoyer régulièrement la liste des actes pratiqués au payeur, qui doit alors les analyser afin d’établir les revenus du praticien. Les coûts administratifs sont ainsi élevés, que ce soit pour le médecin ou pour le payeur.

Comme nous l’avons vu, le médecin est amené à multiplier le nombre d’actes pour maximiser ses revenus. Il n’a donc aucune incitation à l’économie, d’où un coût élevé pour la collectivité. D’autre part, le caractère rétrospectif n’aboutit à la connaissance du coût global qu’a posteriori, entraînant une difficile gestion d’un budget pour les pouvoirs publics.

Différents moyens de contrôle ont été mis en place afin de réduire les coûts de santé associés au paiement à l’acte (32). Certains pays ont décidé de diminuer le tarif national des prestations en cas de dépassement par les médecins du pays d’une enveloppe préétablie. Mais ce mécanisme est peu efficace : cette régulation étant collective, on peut craindre que chaque médecin ait tendance à augmenter ses actes de manière anticipée afin de se prémunir d’une éventuelle baisse de ses revenus, aboutissant à un effet contraire à celui escompté. Ajouter à cette régulation collective un plafonnement individuel d’honoraires peut être un moyen de pallier en partie à ce phénomène. Enfin, des droits de tirage, régulant le volume de soins par patient sur une période donnée, peuvent être utilisés. L’Allemagne a expérimenté plusieurs de ces solutions, avec des résultats plus ou moins convaincants (voir chapitre I.D.1).

(4) Aucune incitation à la délégation des tâches

Puisque seuls les actes effectués par le médecin lui-même lui sont rétribués, celui-ci est peu enclin à déléguer certaines tâches. La coordination entre médecins et soignants peut ainsi être dégradée. Il a également peu d’intérêt à référer son patient à un spécialiste ou à l’hôpital, préférant parfois le prendre en charge lui-même (33). Or ceci peut poser un problème de qualité des soins, le médecin spécialiste étant parfois plus compétent pour prendre en charge certaines pathologies. De plus, même si la médecine spécialisée est plus onéreuse que la médecine de premiers recours, elle peut être plus coût-efficace : une prise en charge adaptée permet de ralentir l’évolution de la maladie et ainsi minimiser le coût des soins ultérieurs.

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2. La capitation

a) Définition : un système de paiement forfaitaire

prospectif

La capitation correspond au versement d’une somme fixe au médecin pour assurer la prise en charge d’un patient sur une période donnée, le plus souvent une année, pour tous les soins de médecine générale dont il aura besoin, sans aucun autre remboursement marginal. Cette rémunération forfaitaire se fait donc par patient, ou per capita (littéralement « par tête »).

Il s’agit d’un paiement prospectif : la rétribution du médecin dépend du nombre de patients inscrits auprès de lui, mais en aucun cas de leur consommation de soins de santé. On la trouve essentiellement dans les pays présentant un système de type bévéridgien, universaliste.

Le besoin de soins au sein de la population étant très variable, le forfait par patient est le plus souvent corrigé pour l’état de santé, c’est-à-dire ajusté aux risques du patient. Les facteurs les plus fréquemment pris en charge sont l’âge, le sexe, et l’existence d’une pathologie chronique, mais d’autres items tels le statut marital, les conditions socio-économiques, les taux de mortalité et de morbidité, le pourcentage d’individus toxicomanes ou des indices épidémiologiques peuvent également être pris en compte (18).

Certains systèmes font également varier le forfait selon le lieu d’exercice du médecin, avec majoration en cas de travail dans des zones défavorisées par exemple.

Il s’agit probablement d’un des plus vieux modèles de rémunération des médecins, puisqu’on en trouve déjà des références en Perse antique.

En Occident la capitation fait partie de l’histoire de la création des HMO aux États-Unis : En 1930, un médecin propose à l’administration d’un chantier de prendre en charge tous les problèmes de médecine générale de ses ouvriers, en échange d’une somme fixe par ouvrier et par semaine (34). Ainsi naissait la Kaiser Permanente, une des plus grosses HMO à but non lucratif du pays.

On retrouve ainsi tous les éléments nécessaires à la constitution d’un paiement par capitation (34), c’est-à-dire une entité organisationnelle (l’administration du chantier et le médecin), avec une clientèle définie (les ouvriers du chantier), un ensemble plus ou moins large de services prédéfinis (ici tous les soins de médecine générale requis par les ouvriers), un paiement prospectif fixe convenu par patient, et un montant du forfait ajusté aux risques (variation de la rémunération par ouvrier selon les besoins sanitaires).

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La capitation a longtemps été décriée par les médecins dans nombre de systèmes de santé, qui voyaient en elles plus d’inconvénients que d’avantages. Les récents changements de mentalité dans le domaine médical ont conduit à une certaine acceptabilité et à un intérêt pour ce type de rémunération.

b) Avantages de la capitation

(1) Une incitation à la prévention

Revenons sur le cas de la création de la Kaiser Permanente. L’histoire raconte que le médecin, confronté à la répétition du même type d’accidents au même endroit du chantier, s’est rendu sur place marteau en main pour voir s’il pouvait remédier à la cause des accidents (34).

Cette anecdote nous montre bien un des effets positifs de la capitation : voir les patients est coûteux en temps et en efforts pour le praticien, mais n’aboutit à aucune rémunération supplémentaire et diminue même le temps disponible pour ses loisirs. Il est donc incité à avoir une pratique efficace et à garder son patient en bonne santé, notamment en favorisant la prévention et l’éducation à la santé. Il faut noter que cet effet positif est essentiellement valable si la durée du contrat est assez longue : en cas de changement trop fréquent de médecin, le suivi global et la continuité des soins nécessaires à une prévention efficace ne sauraient être mis en œuvre.

(2) La maîtrise budgétaire

Dans un système de rémunération par capitation, le payeur peut prévoir son budget de manière prospective, et ainsi mieux maîtriser les dépenses de santé. En effet, il détermine la rémunération annuelle selon le nombre de patients présents sur la liste de chaque médecin. Il procède de la même sorte pour tous les praticiens de la zone concernée, et on obtient ainsi un budget global qui ne sera pas dépassé par la suite.

Il existe des avantages pour le médecin : même s’il ne peut moduler son revenu par lui-même en cours d’année, ce système lui permet de connaître ses revenus dès le début de la période, sans « mauvaise surprise » par la suite. Il est également plus responsabilisé sur le coût de ses actes et de ses prestations.

Des études estiment ainsi qu’un système de rémunération à la capitation permet une réduction des coûts de 20 % par rapport au paiement à l’acte (35).

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c) Inconvénients de la capitation

(1) La sélection des patients

Il s’agit du risque majeur en cas de paiement à la capitation. Le médecin peut être tenté de sélectionner les patients selon les risques de pathologies qu’ils présentent, préférant inscrire sur sa liste des patients jeunes et sains. En effet, ces derniers seront peu amenés à le consulter sur la période du contrat, et lui apporteront ainsi une rémunération optimale (meilleur rapport efforts/bénéfices). Ce phénomène est connu sous le nom d’écrémage, ou cream-skimming chez les anglo-saxons. Il est majoré si le montant du per capita ne correspond pas bien au risque épidémiologique : si tous les patients attribuent le même forfait au médecin, ce dernier n’a aucun intérêt à prendre en charge des patients lourds. On peut aboutir alors à des problèmes d’accès équitable aux soins, les patients les plus malades ayant du mal à trouver un praticien les acceptant sur sa liste alors que les patients les plus sains, qui nécessiteront en toute logique moins de soins, n’auront aucun souci pour s’inscrire auprès d’un médecin. Les pouvoirs publics peuvent mettre en place des obligations réglementaires de prise en charge des patients (36) pour contrer ce phénomène. Les médecins peuvent néanmoins y répondre en choisissant des lieux d’exercice ou une offre de soins qui les amèneront à prendre en charge des patients en meilleure santé (par exemple banlieue huppée contre zone défavorisée, ou éléments de chirurgie esthétique contre traitements de substitution à l’héroïne).

C’est pour cette raison qu’a été mise en place dans la plupart des systèmes de capitation une stratification des forfaits, c’est-à-dire un ajustement aux risques : un patient jeune de 20 ans sain et sans antécédent particulier procure un forfait inférieur à celui d’un patient de 80 ans, présentant des maladies chroniques. On part ainsi du principe que ce deuxième patient sera amené à rencontrer son médecin plus fréquemment et ainsi à lui demander des efforts plus réguliers et/ou plus intenses, d’où une rémunération plus importante.

Certains critères sont cependant difficilement utilisables : on a tenté d’ajuster les risques selon les soins antérieurs, partant du principe que les patients qui ont eu le plus besoin de soins dans le passé sont probablement ceux qui en nécessiteront également le plus dans le futur. Ce critère expose néanmoins au risque que les médecins majorent les soins de leurs patients pour pouvoir toucher un forfait plus important par la suite. C’est pourquoi la majorité des pays utilisant la capitation se contentent de critères simples et non modifiables pour ajuster les forfaits : âge, sexe, maladie chronique, grossesse. Les médecins restent cependant exposés au risque d’avoir une patientèle en mauvaise santé nécessitant des efforts importants, sans ajustement adéquat de leur rémunération (32).

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(2) Le recours abusif aux spécialistes (37, 38)

En cas de rémunération par capitation, les médecins généralistes n’ont aucune incitation financière à traiter les patients eux-mêmes. La solution de facilité peut être de déléguer les soins de manière excessive, pour des patients ou des pathologies que le praticien aurait pu prendre en charge seul, mais qu’il juge trop lourds ou demandant des efforts trop importants.

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