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L'inscription du marché du skate dans le modèle de production économique d'échelle mondiale s'exprime de plus en plus fortement depuis les années 2000. Même si basé sur un modèle de consommation, ce marché restait jusqu'aux années 1990 très spécifique, autant pour les entreprises que pour les consommateurs. Les marques étaient héritées de skateurs devenus entrepreneurs par volonté de développer le skate par la voie économique. Les consommateurs étaient des skateurs pratiquants. Aujourd'hui et depuis une vingtaine d'années, de grandes multinationales du milieu du sport tentent – et y arrivent très bien – de se faire leur place dans ce marché spécifique. Diverses stratégies économiques – notamment de création de filiales « skate » des marques – ont permis leur arrivée dans le monde du skate et un fonctionnement exactement similaire aux marques historiques – marque, sponsoring, vidéos, distribution dans les skateshops locaux, etc... La différence se situe au niveau des consommateurs : les skateurs, habitués à consommer dans les magasins locaux achètent ces marques, venues de l'extérieur. Mais de nouveaux consommateurs vont également se mettre à acheter dans ces boutiques, et le marché s'étend à un public non-spécialisé. Ces marques produisent principalement ce qu'elles font déjà en dehors du milieu du skate, des vêtements, des chaussures principalement, laissant le marché du matériel encore aujourd'hui aux marques spécialisées. Pour beaucoup de pratiquants, l'arrivée de ces marques dans le milieu est très mal vue et elles sont souvent rejetées pour leur manque de légitimité, et l'imposition d'une culture qui ne correspond pas aux valeurs partagées par les communautés. Mais le caractère capitaliste de ces marques, qui s'imposent par hégémonie dans le milieu du skate, permet l'investissement de beaucoup d'argent dans le développement du skate – aides aux petits commerces, organisation de grandes compétitions, sponsoring en nombre – tant que le cycle de popularité est encore en plein essor, et que l'investissement rapporte. Beaucoup voient cet investissement comme opportuniste avant tout, et pensent qu'une fois le cycle de popularité retombant, ces marques se retireront du développement du skate et n'auront plus aucun intérêt à le faire, contrairement à des marques plus anciennes, nées du skate.

Il y a aussi la situation où l'économie fermée et spécialisée du skate sort de son marché limité, de sa modestie relative à une reconnaissance sociale entre pratiquants, pour aller vers un public beaucoup plus large.

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Cela pose la question du rôle de l'image du skate et de sa récupération pour le milieu de la mode aujourd'hui temple et totem consommatoire. L'exemple le plus impactant est celui du magazine et marque de vêtements

Thrasher, initialement très spécialisé et relatif à une pratique underground,

aujourd'hui récupérée par ce monde de la mode, via des icônes bien connues. Cette récupération est également très rejetée par la communauté de skateurs, même si certains voient cette ouverture au grand public comme un moyen supplémentaire de développer l'économie du skate, même si la marque est consommée sans aucune conscience de son origine culturelle. Le créateur du magazine rejette d’ailleurs toute affiliation avec le monde de la mode, sans pour autant se prononcer sur la notoriété nouvelle de la marque certainement à l'origine d'une plus-value monétaire. D'autres marques bien héritières du monde du skate, assument leur affiliation au monde de la mode par des projets de collaboration avec des marques de luxe.

Toujours loin de son image underground des années 1980, le skate est aussi récupéré dans le milieu de la publicité comme outil pour mettre en avant une image citadine, actuelle ou auprès d'un public plutôt jeune. On peut alors se demander si l'affaire de la récupération suivra un potentiel déclin relatif aux cycles de popularité rencontrés dans l'histoire du skate, ou au contraire, si l'extension du domaine économique s'encre de manière plus structurelle ?1

L'ouverture du monde du skate ne se fait pas uniquement en relation avec les marques et les produits. Elle se fait aussi dans les pratiques. Le renouveau de formes de planches anciennes – cruisers, longboards2

montre une arrivée de l'objet dans une pratique grand public. Le succès de la pratique street dans les années 1980 a presque effacé ces autres formes de pratiques, plus centrées sur la reproduction des sensations du surf. Aujourd'hui, des planches similaires réapparaissent, mais sont souvent utilisées pour un usage commun : le déplacement.3De manière purement urbaine, de nouveaux modes de déplacement émergent, qui ne découlent pas du vélo, de la voiture ou des transport en commun, et sont largement

1. Voir citation page suivante. Moulène, Claire. Le skate est-il encore une pratique subversive ? Les Inrocks. 2011. https://www.lesinrocks.com/2011/07/10/arts/le-skate-est-il-encore-une-pratique- subversive-1112707/.

2. Formes de planches plutôt adaptées au déplacement

3. Depuis le début du mémoire je parle du skate comme je le pratique, et comme il a été dominant historiquement et culturellement, mais ces autres pratiques ont existé, et de nouvelles, grand public, apparaissent

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« Nous en tant que petit business, aujourd'hui, les marques qui sont venues un peu écraser le marché, notamment dans l'équipement, c'est-à-dire chaussures, vêtements, etc, aujourd'hui c'est des grosses multinationales comme Nike SB, comme Converse, qui d'ailleurs sont le même groupe, Adidas.. Aujourd'hui ces marques là ont explosé le marché, ce qui fait que toutes les petites marques créées par des skateurs, exemples types ÉS, Emerica, Etnies, Lakai, DVS, sont en train de mourir petit à petit. Alors, il y a un côté bénéfique à tout ça dans le sens où il y a plus d'argent alloué au skate à l'heure actuelle, parce que aujourd'hui c'est un effet de mode, on le voit dans toutes les publicités, on voit des skateurs de partout, c'est bénéfique parce que ça ouvre au grand public, sauf que dans les années à venir, si cet effet de mode passe, dans deux, trois, quatre, cinq ans, les petits business comme le mien, ça va vite piquer parce-que ces marques là ne vont plus vouloir réinjecter tout l'argent qu'ils sont en train de gagner aujourd'hui et tout le monde va y perdre, ou en tout cas tous ceux du milieu, c'est à dire les pros riders, un exemple type, Nike, quand ils ont voulu s'installer en France, ils ont mis les grands moyens, c'est à dire qu'ils ont sponsorisé une centaine de riders, ils ont mis en place des avantages commerciaux pour les petites boutiques, afin de s'insérer dans le milieu du skate qui est une niche très spécifique. Une fois qu'ils y sont rentrés, qu'ils ont chopé l'image qu'ils recherchaient, les avantages commerciaux pour les petites boutiques, tu peux te les fourrer « là où je pense » c'est pour ça que j'ai arrêté Nike. Les riders, de 100 ils sont passés à 5, et on va tous y perdre dans 5 ans, j'en suis persuadé. Comme d'ailleurs l'a été le surf, le snowboard etc.. Donc oui c'est bénéfique aujourd'hui, mais est-ce que ça va durer, j'en suis pas si sur que ça. »

Entretien avec Maxime Nicolas, propriétaire du skateshop « La Bonne Planchette » à Nantes, réalisé le 03 Juin 2018

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inspirés de la mobilité permise par le skate, initialement utilisée comme outil de recherche de spots. Sans signifier que le skate est à la base de toutes les nouvelles mobilités urbaines individuelles, on peut constater que leur préoccupations sont similaires : déplacement rapide, objet accessible économiquement, au fonctionnement dépourvu de l'utilisation d'énergie carbonée. Ainsi, on peut voir arriver les cruisers, longboards, puis le skate électrique, la « monowheel », « monoroue » ou « gyroroue » et récemment (mais massivement) la trottinette électrique. Ainsi, la vision grand public et institutionnelle associe régulièrement ces nouvelles mobilités à la pratique du skate étudiée dans ce mémoire. Alors en effet, la pratique de déplacement devient de fait une pratique du skateboard, mais ne s'entremêle que rarement avec les communautés de skateurs voulues héritières de l'histoire de cette planche à roulettes. De même pour toutes les pratiques, marques, et ouvertures au grand public que les communautés spécialisées rejettent en majorité, mais qui contribuent aussi au développement et à la légitimation de la pratique.

L'économie du skate, milieu spécifique qui a su faire perdurer la pratique et en faire une culture d'émancipation individuelle, exprime fortement ce paradoxe, et cette schizophrénie, que le skate a besoin d'un modèle de consommation généralisé et d'une ouverture au grand public pour son développement. Est-ce que la pratique doit payer ce prix, et ainsi arriver à toucher de plus en plus de personnes, ou est-ce qu'elle devrait passer à un stade inférieur d'instrumentalisation économique, et en même temps, réduire le nombre de pratiquants et jouir d'un manque de considération par les pouvoirs publics ? Il se trouve que le skate est déjà passé par ces étapes de questionnements, de baisse de considérations, de ralentissement économique, ce qui ne semble pas correspondre à la voie qu'il empreinte actuellement.

Plusieurs choses ont alors été vues jusqu’ici : la pratique du skate, dans son utilisation de l’espace, est née d’un modèle de ville aux forme généralisées, et perdure grâce à un modèle économique et de consommation complexe, spécifique à la pratique.

Qu’est-ce que signifient toutes ces données quant à la pratique spatiale des skateurs ?

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« Le skate, récupéré par les marques pour rajeunir leur image ? « Ça ne va pas durer, prophétise le sociologue de la mode Pascal Monfort, venu donner une conférence à la Gaîté lyrique, il y aura une réaction des skateurs. Ça s'est déjà vu : dans les années 90, le skate est devenu si populaire - et les marques avec - que les skateurs ont lancé la mode du « no logo » : terminé, les pubs sur leurs planches, sur leurs roues, sur leurs T-shirts...»»

Citation de l’article « Le skate est-il encore une pratique subversive? » dans lequel est cité Pascal Monfort dans une conférence à la Gaîté lyrique.

Publicité pour des produits issus d’une collaboration entre la marque de luxe Hermès et la marque de skate Vans

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