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Chapitre 2 : Analyse des entretiens

2.5 Les autres outils de remonté des idées

Le plus difficile pour la direction c’est probablement d’initier la réflexion et d’en collecter les résultats. L’utilisation de ce dispositif passif permettant la participation s’avère nettement moins efficace qu’une stimulation active du manager. La boite à idée a été citée comme étant un outil peu efficace. Elle pourrait s’avérer même être contreproductive. En effet, l’utilisation d’un tel dispositif peut fonctionner et permettre au personnel de se sentir impliqué à condition de réaliser une étude et un retour rapide sur les idées proposées. A plusieurs reprises, il est observé qu’un contact direct est plus efficace que ce système.

Contrairement à la boite à idée il nous a été cité l’importance de l’entretien annuel. Il permet d’aborder les perspectives professionnelles du salarié mais aussi d’aborder les passions qui l’animent. Deux directrices ont expliqué avoir tiré parti de ces entretiens, on peut énumérer la création d’un aquarium, d’un atelier jardinage, mais toujours sous l’impulsion du directeur d’établissement qui aura étudié les passions et compétences de ses ressources humaines.

3 Une culture d’entreprise présente mais particulière

Lorsque l’on tente d’impliquer du personnel en entreprise, on le fait généralement à l’aide d’un projet d’entreprise et une culture d’entreprise. Cela peut se traduire par la définition d’objectifs et de valeurs.

Deux directeurs ont évoqué leur précédente expérience dans des secteurs différents du médico-social. L’un était dans l’industrie et l’autre dans la restauration rapide. Même si leurs équipes soignantes sont conscientes de l’importance de l’accompagnement des personnes, ce sont des métiers qui restent peu rémunéré, difficile physiquement et psychologiquement, souvent moins reconnu dans la société que le corps médical ou infirmier. Alors que dans l’industrie on est généralement fiers de ce qui est produit quel que soit notre rang ; en EHPAD on est « pas forcements fiers de ce qui est réalisé ». Les actes réalisés relèvent de la vie quotidienne des gens, ce sont des actes élémentaires de la vie mais vitaux. Il est aussi observé un cloisonnement entre les professions dites « soignantes » et les « non- soignantes » qui sont pour les emplois d’agent de services logistiques généralement assimilés aux Bullshit-jobs décris par les prescripteurs de l’entreprise libérée. Ces conditions rendent difficile l’implication du personnel autour du projet d’établissement, l’idéal serait de faire comprendre à chaque professionnel son importance dans la vie du résident, de l’établissement et plus largement dans la société. Même si un gros travail d’implication est généralement réalisé lors de la rédaction du projet d’établissement, il est nécessaire d’entretenir toutes ces notions ensuite.

Comme observé dans les ministères des transports et celui de la sécurité sociale belge où la libération de l’entreprise n’a pas fait immédiatement l’unanimité, on se retrouve confronté à la culture du secteur d’activité. Très proche du secteur sanitaire, les EHPAD font intervenir des professionnels de santé de divers horizons ce qui explique que la mise en place du management participatif n’est pas toujours vu d’un bon œil. En effet, la réalisation du soin est une application des prescriptions et des recommandations des médecins, voire des supérieurs pour les agents de services hospitaliers. Les marges de manœuvre se limitent aux champs techniques décris par les médecins. Les modèles envisagés par les directeurs interrogés semblent être en contraste avec ce qui se faisait à leur arrivée. C’est-à-dire un passage d’un mode directif à un mode de fonctionnement plus participatif qui reste parfois incompris par le personnel. Pourtant le passage d’un mode directif à des modes de fonctionnement plus humanistes est décrit dans la littérature comme étant un vecteur d’épanouissement du professionnel dans son travail. En réalité, l’application d’un changement de modèle managériale inquiète les opérateurs. Tantôt considéré comme « une décharge » de la direction face aux problèmes, tantôt considéré comme un subterfuge permettant de camoufler une augmentation en charge de travail ou des glissements de tâche. Face à ce constat, quel est le rôle de la direction, et quelles sont les limites aux modèles managériaux présentés dans cette étude ?

4 Un modèle de management déjà confronté à des limites.

Mise en place depuis parfois plus d’une dizaine d’année on s’aperçoit que même si dans certains établissements la participation fait partie du fonctionnement, alors la question ne se pose pas pour le personnel. Mais pour d’autres, l’utilisation de certains outils de participation reste compliquée.

D’abord confronté à la culture des professions de santé, on se retrouve souvent face à la diversité de personnalité des employés et à l’évolution rapide des profils exerçant dans l’établissement. Même si des outils de participation sont mis en place, rechercher l’implication des professionnels reste une pratique énergivore et chronophage pour le manager. De plus, avec l’évolution des profils des résidents admis en EHPAD, on se retrouve confronté à une augmentation de la charge de travail. La mise en place de la participation impose de définir des temps qui permettent aux gens de s’exprimer et de travailler ensemble. Tout ceci en tenant compte que « Le temps passé en réunion est du temps en moins passé à accompagner les résidents. »60. Les directeurs de structure et leurs cadres n’échappent pas à l’augmentation de la charge de travail, et ce, à cause de

l’augmentation des attentes des familles et des tutelles, comme les recueils d’indicateurs, la rigueur dans la démarche qualité, une amélioration des services. L’évolution du secteur et des publics accueillis pèsent aussi dans la balance en ajoutant du marketing et une démarche commerciale à la stratégie des établissements.

Soumis à de nouveaux enjeux et à l’inflexibilité de l’horloge, il est plus facile pour le manager de travailler ses protocoles, ses organisations, ses correctifs et son projet d’établissement en amont et de n’effectuer qu’une présentation de son travail pour validation aux équipes. Une directrice explique être déjà passée à ce modèle en période de tension, où il lui fallait réformer rapidement, pour apporter un correctif rapide à son fonctionnement.

Il en est de même pour le personnel, il est plus simple d’appliquer à la lettre le protocole que d’en être le rédacteur. A leur échelle, cette responsabilisation peut être vue comme un alourdissement de la charge de travail, ou un outil de stigmatisation par rapport aux collègues de l’établissement.

Pour le personnel comme pour l’encadrement, le modèle de management étudié dans ces établissements constitue un effort supplémentaire. La cohésion et la communication semble être la clé de voute de ce fonctionnement de la structure, elle permet d’ajouter du sens au travail quotidien et ainsi de sortir du registre de « travail à la chaine ». Dans le champ lexical de la communication déjà exposé, on retrouve le verbe « expliquer » et même dans trois des dix entretiens la notion de sens du travail à retrouver. On s’approche ici de « l’entreprise du pourquoi » de Jean François Zobrist.

5 Faire participer une obligation ?

Evoquée comme obligatoire à deux reprises durant l’enquête, la participation est associée aux évaluations externes et internes, ainsi qu’à l’élaboration du projet d’établissement et au traitement des fiches d’évènement indésirables dans les autres entretiens. L’ANESM recommande d’intégrer au fonctionnement de l’établissement la participation des usagers et des professionnels61. Les professionnels participent aux étapes importantes de la vie d’un établissement. Leur participation constitue un instrument indispensable à la conduite du projet et du changement dans l’établissement. Plus qu’une obligation, la participation permet au professionnel de se sentir concerné par les évolutions stratégiques de l’établissement.

61 ANESM, Elaboration, rédaction et animation du projet d’établissement ou de service. [En ligne] http://www.anesm.sante.gouv.fr/IMG/pdf/reco_projet_etablissement_service_anesm.pdf, le 20/08/2017.

6 Une hiérarchisation pyramidale ?

Les EHPAD sont des établissements relevant du médico-social, toutefois la présence de personnel soignant et médical fait de ce type de structure une structure médicalisée. Le développement des conventions avec des structures d’hospitalisation à domicile continue d’accentuer la part d’accompagnement médical dispensé dans la structure.

Dans le cadre de notre étude, l’influence du personnel médical a été relevée plusieurs fois, « le trio » : directeur, médecin coordinateur, infirmier coordinateur » est à considérer comme étant stratégique dans la gestion de l’établissement. Le caractère médical de l’établissement amène avec lui une « ambiance » particulière et une « hiérarchie imposée » par les décrets qui régissent les professions. Lorsqu’il a été demandé aux directeurs s’ils concevaient une absence totale de hiérarchie c’est généralement une hiérarchie pyramidale qui se dessine avec une difficulté particulière pour le positionnement du personnel médical. Le médecin coordinateur a parfois une fonction stratégique, une fonction de support technique ou une mission de management du personnel soignant. Le positionnement du médecin coordinateur dans l’établissement aura un impact sur l’organisation hiérarchique de la structure.

Afin d’enrichir mon étude, j’ai contacté Isaac Getz coauteur du livre « liberté and co » qui n’a pas pu échanger sur le sujet avec un étudiant d’une école dont il n’est pas intervenant, précisant toutefois que des expérimentations sont en cours dans le domaine de la santé sans pouvoir communiquer de résultats. La question posée concernait les liens hiérarchiques obligatoires comme le lien entre médecins, infirmiers, aides-soignants. Il a expliqué que « l'organigramme peut être affiché ou non. Cela ne change rien ».

L’organisation pyramidale est considérée comme un outil de communication pour les grandes structures, mais visuellement certaines structures essaient de supprimer l’aspect pyramide. Un établissement de l’étude a communiqué son organigramme actualisé récemment qu’il est possible de présenter schématiquement :

Ce mode de représentation est décrit par son concepteur comme étant « concentrique » et non pyramidale. On reste tout de même loin des schémas organisationnels de l’entreprise libérée qui prônent généralement l’organisation par des équipes à taille humaine dotées d’un leader. Cet organigramme casse un code visuel qui permet de réduire la stigmatisation du personnel moins qualifié, même si ce schéma peut s’apparenter à une pyramide 3D. C’est avec ce type d’action que l’on participe au « décloisonnement » même s’il ne s’agit que de symbole entre les professions.

7 Le rôle de la direction.

Généralement la direction n’est pas le plus haut échelon de la pyramide, on trouve au- dessus un échelon stratégique qui peut être un conseil d’administration, un CCAS, un directeur de pole ou régional, une direction générale… Pour chacun des professionnels interrogés, seul un responsable d’établissement membre d’un groupement associatif déclare ne pas avoir l’autonomie suffisante pour mettre en place une organisation différente. Les autres estiment en avoir la possibilité à condition de rester dans cadre fixé par les autorités et la stratégie établie.

L’étude permet de distinguer des positionnements différents, qui ne sont pas dépendants de l’objet social de l’établissement mais plutôt de sa taille et de ses moyens. Le rôle de la direction dans ces établissements peut être interprété grâce aux entretiens. Dans tous les établissements, le directeur est garant de la stratégie fixée d’une part avec les tutelles, et

Cadres supérieurs

Infirmiers, paramédicaux, cadre de proximités. Soignants, animateurs, agents

hôteliers.

Direction

d’autre part avec l’organisme gestionnaire. Le directeur apporte une vision globale de l’établissement et s’assure du bon déroulement de la stratégie. Dans les gros établissements, le directeur est au-dessus de nombreuses strates et il travaille en équipe avec les cadres supérieurs. Il est moins au contact des équipes, il ne peut pas être omniprésent son rôle est stratégique et il doit disposer d’une délégation claire.

Dans les établissements de l’étude de moins de 100 places, le directeur ne dispose généralement que d’un cadre de santé et d’un médecin coordinateur. Il s’appuie sur son comité de direction pour communiquer sa vision globale. La stratégie et les décisions importantes sont prises avec l’organisme gestionnaire. Notamment pour les établissements privés non lucratifs, trois d’entre eux nous ont expliqué que les décisions importantes sont prises collégialement avec le conseil d’administration qui dispose de membres originaires de divers horizons et agrémente ainsi la stratégie. Ce qui n’est pas forcement retrouvé dans les établissements publics communaux, où la stratégie est définie par le maire.

Les directeurs de ces établissements gardent un contact très prononcé avec le terrain, et travaillent en équipe avec leurs cadres afin de prendre des décisions ensembles. Ainsi, deux directeurs expliquent avoir un rôle de support dans les projets initiés dans les établissements. Ils assurent le support administratif et la conduite du projet mais laissent à la charge du personnel la réalisation du projet.

Pour finir, un établissement d’environ 50 places en milieu rural ne disposant que de peu de moyen selon les dires du directeur a mis en place une organisation sans cadre de santé. La direction ne peut donc s’appuyer que sur un médecin coordinateur et sur une équipe d’infirmiers. Ainsi pour assurer un fonctionnement qualitatif, elle a mis en place un système de fonctionnement fondé sur la responsabilisation et l’autonomie des équipes. Les décisions sont prises en équipe et elles sont maintenues démocratiquement par des votes.

Tout le fonctionnement de l’établissement est basé sur une sectorisation en 12 domaines. Chaque infirmier est responsable de 4 domaines, chaque domaine dispose de plusieurs référents de l’équipe soignante. Ainsi, on observe un fonctionnement en petites équipes qui sont drivées par l’équipe infirmier. Un modèle qui fait échos à l’organisation dans l’usine FAVI de Jean François Zobrist. Afin d’assurer que la norme soit respectée, un apport technique du médecin coordinateur est amené. La directrice peut être assimilée à un leader, car elle donne le cap, le cadre et garde ses équipes impliquées. La confiance accordée aux équipes reste encadrée, une autorégulation entre les salariés se fait au travers, par exemple, des fiches d’évènements indésirables. La limite de l’autorégulation réside dans la

traçabilité, car dans la mesure où il est nécessaire de résoudre ou trancher un conflit dans cet établissement c’est la traçabilité qui fait foi.

8 Un outil de réponse aux besoins : l’autonomie.

La responsabilité du directeur est évoquée comme un frein à l’autonomie en établissement. Exprimée clairement à 3 reprises et induite dans les autres cas à l’aide du champ lexical de la normalisation. L’autonomie induit que le directeur ou le cadre fait confiance. Un des directeurs a ainsi définit un salarié autonome et impliqué comme étant un salarié responsable qui n’attend pas les ordres pour faire ce qui doit être fait, ce salarié sera en plus rigoureux et appliqué à la tâche. Ce qui ressort de l’étude sur le thème de l’autonomie, c’est qu’offrir une autonomie totale n’est pas envisageable dans ce secteur d’activité, au vu des risques pour les personnes accueillies et des niveaux de responsabilité.

Accorder de l’autonomie en responsabilisant peut être un moyen d’implication et un outil de management. Certains établissements ont nommé des référents sur des missions particulières, cette mission permet de définir des personnes ressources qui animent les groupes de travail et gèrent les problèmes qui incombes à leur mission de référent. Un cadre particulier est donc défini, l’idée de cette action n’est pas de laisser les gens totalement libres, mais de les impliquer pour redonner du sens au travail, ainsi éviter le travail « à la chaine ». Par ces actions on essaie d’augmenter la performance du salarié.

En général, ces missions sont proposées sur le volontariat et des objectifs sont définis. Le petit établissement étudié dans le cadre de la sectorisation du fonctionnement nous a présenté les objectifs des référents des protections :

- la définition d’un protocole permettant d’avoir une protection quand elle est nécessaire et uniquement quand elle l’est pour favoriser l’autonomie (en réponse au projet d’établissement), la bonne protection pour la bonne personne (en réponse au besoin de performance).

- Ensuite, la direction réalise un suivi financier du budget protection afin de

communiquer les évolutions du poste de dépense (permettant une valorisation du salarié).

L’expérience menée par cet établissement a été concluante, car l’établissement à développer une pratique de personnalisation de l’accompagnement à l’incontinence. Cette action contribue à l’amélioration de la qualité de l’accompagnement et à la réduction des coûts par la rationalisation des commandes, la résolution rapide d’une problématique sur le sujet. Cette action est un bon exemple d’optimisation d’une pratique.

9 Les limites de l’autonomie dans nos établissements.

L’harmonisation des pratiques est un frein à l’autonomie. Elle est envisageable mais dans un cadre bien défini, cela peut être une fiche de poste, un protocole ou une recommandation ANESM. Même si un cadre normatif existe pour tous types d’entreprise, dans une entreprise libérée, outre la norme, le cadre serait défini par les salariés suivant les objectifs fixés. Dans le médico-social, la définition d’un cadre nécessite d’avoir les outils nécessaires. Autrement dit, la rédaction d’un protocole nécessite de savoir accéder à la norme et de l’interpréter. En cas de non-respect des recommandations et de la législation un établissement encourt des risques lors des évaluations externes, des inspections de l’ARS, des contrôles d’hygiène et de sécurité.

Dans un contexte où la charge de travail augmente, que les tutelles attendent des établissements qu’ils intègrent la notion de performance à leur gestion et à leur fonctionnement, il apparait difficile d’envisager un personnel entièrement libre de s’organiser. De plus, des directeurs évoquent la nature humaine et d’autres, les profils des personnes recrutées. Un personnel souvent sujet à des problématiques sociales qui nécessite que le directeur fasse preuve d’écoute et d’empathie. La prise d’initiative tout comme la participation n’est pas innée. Elle peut parfois entrainer des déviances. En effet, il y a souvent méprise entre performance et simplicité, certaines personnes vont chercher à aller au plus simple pour leur propre confort quand d’autres chercheront à faire au mieux pour le confort du résident. Le salarié désengagé qui ne vient que dans l’optique d’être rémunéré réagira plus facilement selon la première hypothèse.

D’où l’importance de la culture du sens que les directeurs doivent dispenser, c’est le sens de l’accompagnement réalisé au quotidien qui permet au directeur de conduire le changement.

Dans l’idéal le salarié doit venir chercher l’accomplissement de soi au travail, mais ce concept apparait plus évident pour un médecin, un cadre, un infirmier, que pour le personnel soignant et hôtelier. Dans les entreprises dites libérées, ou fonctionnant sur le modèle agile, cette problématique peut être réglée par des incitations financières, une culture d’entreprise et des valeurs fortes, qu’on ne peut retrouver dans le secteur médico-social. Il est difficile de récompenser financièrement la performance d’un service au regard de la rigidité des budgets, des structures et du flou financier à venir pour les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.

10 Le sens d’un travail indispensable à la société.

Dès lors, l’outil principal qui ressort est encore le sens donné au travail que réalisent au quotidien les acteurs de ces établissements. Le souci de performance et la rigidité des normes, obligent pour le bien du résident et pour l’harmonisation des pratiques une rigueur technique.

Cette rigueur technique implique une augmentation de la charge de travail pour toutes les strates de la pyramide hiérarchique. Ainsi, il est important de bien communiquer sur le but

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