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Le SES un outil de relégitimation pour la coopération belge au développement ?

Chapitre 3 – Justifications théoriques

1. Le SES un outil de relégitimation pour la coopération belge au développement ?

Préalablement, revenons quelque peu sur les raisons d’existence du SES. Le Service est né des suites d’une longue période de crise rencontrée par la coopération belge au développement. Pour rappel, la coopération belge se voit touchée au milieu des années nonante par un scandale aux origines médiatiques ; on le nommera d’ailleurs « l’affaire de l’éléphant blanc ». En réaction, une Commission spéciale chargée du suivi de l’AGCD a mené une vaste enquête. Un rapport conséquent sortira de cet examen et les recommandations seront sans appel, notamment en ce qui concerne l’évaluation. Trois structures émergeront finalement de ces travaux. La nouvelle DGCD sera en charge de l’élaboration des politiques de coopération au développement. La CTB s’occupera, quant à elle, de la mise en œuvre de la coopération. Et enfin, la fonction d’Evaluateur Spécial sera créée, suivie d’un SES, en vue d’évaluer la coopération belge au développement. Dès lors, c’est ici qu’émerge notre première hypothèse : La création du Service de l’Evaluation Spéciale de la coopération internationale est une

stratégie de relégitimation des programmes gouvernementaux de coopération, suite aux évènements vécus par la coopération belge au développement à la fin des années 1990. En effet, dans quelle

mesure le Service ne s’est-il pas vu être un instrument de réparation d’une légitimité perdue suite au scandale de la coopération belge ?

Afin de discuter cette hypothèse, nous nous baserons principalement sur la théorie de Suchman (1995), précédemment explicitée. L’auteur propose dans sa théorie trois moyens de gérer la légitimité : en gagnant la légitimité, en maintenant la légitimité ou en réparant la légitimité ; de sorte

72 que les activités d’une organisation puissent être perçues comme étant « souhaitables, bonnes et

appropriées dans un contexte culturel donné » (p.574).

Au cours de notre terrain, nous nous sommes assez rapidement interrogée sur le caractère stratégique et instrumental de la création du statut d’Evaluateur Spécial et d’un Service l’accompagnant. Dans quelle mesure le SES n’était-il pas une source de légitimité pour la politique belge de coopération à l’attention de l’opinion publique ? À la lumière de la triple possibilité de gestion de la légitimité, nous en apprécions la troisième à savoir « réparer la légitimité ». Comme nous l’apprend la théorie, la caractéristique de ce type de légitimité porte sur le fait de répondre à une situation de crise. C’est explicitement ce qu’il s’est passé à la fin des années 1990 avec la création des trois structures, dont le SES. D’ailleurs, certaines des personnes rencontrées nous ont affirmé que la création du SES était une volonté explicite de la part du politique de regagner en légitimité. Selon Suchman (1995), pour réparer la légitimité, il existe trois stratégies.

La première stratégie s’intéresse à la normalisation des comptes. À cet effet, une des missions de la Commission de suivi de l’AGCD était d’analyser les flux financiers de la coopération. La seconde stratégie consiste à ne pas paniquer ; elle se révèle moins intéressante dans le cas qui nous occupe. Enfin, la dernière stratégie de relégitimation passe par une restructuration. Cette restructuration peut être appréhendée à deux niveaux : un premier niveau s’attache à la réforme de la coopération en tant que telle et le second niveau s’intéresse particulièrement au SES.

Pour le premier niveau, nous pouvons aisément constater la mise en œuvre d’un processus évolutif. Il y a d’abord eu l’émergence d’une crise ; ensuite, le constat de celle-ci. En réaction, la Commission de suivi a été mise en place. Les travaux ont conduit à des recommandations, qui ont porté à leur tour sur une décision générale de réformer la coopération en profondeur par le biais d’une restructuration en créant trois nouveaux organes. Le second niveau est davantage orienté vers le SES. À cet effet, la stratégie de restructuration comporte deux éléments intéressants pour notre analyse. D’une part, la création de « moniteurs » et de « chien de garde » (Ibid., p.598). Nous considérons que la création du SES répond à ce type de stratégie. Le Service a pour fonction, notamment dans le cadre des évaluations de la qualité des prestations de la CTB, d’effectuer de la reddition de compte à l’attention de l’Etat belge. D’autre part, la stratégie de restructuration de Suchman (1995) évoque la notion de dissociation, illustrée par une prise de distance symbolique. Une fois encore, nous constatons limpidement le lien entre nos constats et ce postulat. Pour preuve, le SES se veut être avant tout un service externe d’évaluation. Ensuite, le cadre légal régissant le Service assoit son indépendance. Enfin, le SES dispose d’une indépendance géographique car il est installé dans un bâtiment différent de celui de l’administration de la coopération. Néanmoins, nous pouvons remettre quelque peu en cause cette dernière perspective car pour certains des acteurs rencontrés, le Service

73 semble être encore trop proche géographiquement parlant de la DGD. Certains ont évoqué l’idée de loger le SES dans les bâtiments du Parlement pour davantage d’indépendance. Mais nous reviendrons ultérieurement sur ces considérations au sujet de l’indépendance.

Au regard des éléments historiques se trouvant à notre disposition et de la démonstration théorique dont nous venons de faire la preuve, nous confirmons notre première hypothèse. Effectivement, la création du Service de l’évaluation spéciale de la coopération internationale semble avoir été un moyen de regagner en légitimité perdue suite à la crise de la coopération des années 1990. Cependant, nous souhaitons mesurer nos propos et nous interroger sur la pertinence actuelle de ce constat. Aujourd’hui, le SES existe depuis plus d’une décennie. Dès lors, les raisons de création du SES sont-elles encore d’actualité ? En effet, nous peinons à croire que les modalités de créations du SES seront encore valables au regard des modifications du contenu de la loi en matière d’évaluation.