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L’Evaluateur Spécial, un acteur clé dans la constitution de la légitimité

Chapitre 3 – Justifications théoriques

4. Lorsque la légitimité se construit dans le regard de l’autre

4.2. L’Evaluateur Spécial, un acteur clé dans la constitution de la légitimité

Notre terrain a été une grande source d’éclairage quant à l’importance de la fonction de l’Evaluateur Spécial (ES). Dès lors, nous le considérons comme étant un acteur clé dans la constitution de la légitimité du SES. Dans le cadre de nos entretiens et de nos observations, de nombreux éléments intéressants ont émergé et nous permettent aujourd’hui de consacrer une partie du présent travail à la place et à la fonction de l’ES en tant qu’acteur de sa propre légitimité et de celle de son Service.

Fondamentalement, au cours de nos entretiens, nous avons constaté que l’ensemble des acteurs reconnaît à la fois le rôle essentiel de l’Evaluateur Spécial mais également la difficulté de sa fonction. En effet, l’Evaluateur Spécial doit rendre compte positivement ainsi que négativement de l’état de la coopération belge. Il se retrouve de facto dans une position relativement peu aisée, dans la mesure où il endosse la responsabilité d’occasionnellement critiquer la coopération. À cet effet, le cadre légal instituant l’Evaluateur Spécial ne protège pas suffisamment son indépendance, nous dit un acteur : « la loi est claire sur l’indépendance. Par contre, l’arrêté royal c’est une erreur. L’idée c’était

de créer un service indépendant et donner un statut spécifique à l’Evaluateur Spécial [...] le service du personnel du SPF a créé une fonction qui à mon avis ne correspond pas au niveau que l’ES devrait avoir ; un peu comme les services d’audit. [...] Ce n’est pas la même fonction mais le SES doit être plus indépendant et avoir une plus grande flexibilité dans l’engagement du personnel » (Extrait

d’entretient n°2).

Un second élément interpellant est la perception des parties prenantes, tant internes qu’externes, à son attention. En effet, l’ES semble quelque peu remis en cause par son équipe, principalement car il semblerait manquer de vision pour son Service. En ce qui concerne les parties prenantes externes, l’ES est remis en cause surtout parce qu’il représente le SES. D’un point de vue

81 wébérien, l’ES verrait sa légitimité charismatique mise en question. En outre, compte tenu de son mandat, il possède des rapports relativement privilégiés avec les différents directeurs généraux de la CTB et de la DGD ainsi qu’avec la cellule stratégique. Cependant, durant un entretien, un acteur nous a confié que l’ES n’était pas considéré comme étant « l’égal » de ses différents collègues. Nous considérons alors qu’il devient difficile pour l’ES d’exécuter son mandat de conseiller stratégique si, effectivement, les destinataires de son travail semblent lui accorder peu de crédit.

À cet effet, notre environnement de recherche connait certains particularismes quant à la manière d’établir et de maintenir des relations. En effet, il existe des rapports de force et de pouvoir au sein de ce type d’institution. Il est extrêmement important de respecter ces rapports trouvant leur source principalement dans la fonction des individus. Il est par exemple extrêmement mal perçu de tenir explicitement une unique personne pour responsable de l’échec d’un programme, d’un projet ou d’une politique. Notre environnement de recherche s’est vu être, sous nos yeux, un véritable théâtre de jeux et d’enjeux, de rapports formels et informels, d’une pratique ouverte et tout à la fois implicite du « politiquement correct ». Dès lors, chacun tient un rôle lui octroyant des droits et des devoirs à respecter et des limites à ne franchir sous aucun prétexte. Par conséquent, l’Evaluateur Spécial se trouve dans un contexte où il se doit de respecter ces codes, tout en menant une pratique évaluative qui, par définition, se veut de temps à autre négative à l’égard des pratiques de coopération.

Un nouvel élément ayant attiré notre attention est le caractère politisé de l’ES. Plusieurs acteurs nous ont renvoyé l’image d’un Evaluateur Spécial à la « langue de bois ». Lorsqu’il a été question de connaître les raisons de cette prudence linguistique, les acteurs ont souvent mobilisé l’intrusion du politique dans la fonction de l’ES. Il a été reproché à l’ES de pratiquer cette diplomatie au cours de son premier mandat. Dès lors, l’arrivée de son second mandat était très attendue par les parties prenantes dans l’espoir d’un discours moins politiquement correct. Toutefois, aux dires des acteurs rencontrés, cette prise de position se fait toujours attendre et crée un climat d’incompréhension, ce qui ne contribue pas à renforcer la légitimité de l’Evaluateur.

Enfin, il est à noter que, depuis sa première nomination, l’Evaluateur Spécial actuel doit créer une identité et une légitimité à la fois de sa fonction mais également de son Service. Comme nous l’avons constaté, ce dernier rencontre un certain nombre de difficultés avec son personnel et de par sa fonction qui, ne l’oublions pas, est unique en son genre. À cet effet, nous considérons qu’au- delà de veiller à retrouver une légitimité perdue, l’ES tient également un rôle dans la stratégie de maintien de cette légitimité mobilisée par Suchman (1995). Pour ce faire, l’Evaluateur doit veiller à la stabilité de son Service. C’est d’ailleurs une des premières tâches qu’il a du effectuer au début de sa nomination. Car le « spectre » de son prédécesseur a laissé de nombreux traumatismes à la pratique évaluative et à l’assise de la légitimité de l’évaluation au sein de la coopération au développement.

82 Enfin, l’Evaluateur Spécial doit, d’une part, anticiper le futur, ce qui a priori lui fait défaut, nous venons de le voir ; et d’autre part, il se doit de protéger ce qui a été réalisé, notamment en veillant à maintenir son indépendance.

Suite à cette démonstration, nous saisissons davantage la portée à la fois symbolique et fonctionnelle dont dispose l’Evaluateur Spécial de la coopération internationale sur l’existence légitime de son propre Service. Mais nous constatons également l’influence que peuvent avoir les membres du personnel sur l’image qu’ils renvoient à leurs parties prenantes externes.