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Après l’étude des para-quinones, nous avons envisagé la réaction du germène 1 avec une ortho-quinone telle que la 9,10-phénanthrènequinone. Cette quinone présente en effet plusieurs possibilités de cycloaddition : [2+2] sur les groupements carbonyles C=O ou/et [2+4] sur le système O=C-C=O ou sur l’enchaînement O=C-C=C impliquant les cycles aromatiques. Cette dernière réaction serait à rapprocher de celle observée avec l’anthraquinone.

La réaction de 1 avec la 9,10-phénanthrènequinone a été effectuée dans le mélange éther/toluène (1:1) sous une atmosphère d'argon à -80 °C; elle est complète après une nuit d'agitation à la température ambiante.

Dans une première expérience nous avons ajouté un équivalent molaire de quinone à deux de germène. Nous avons alors isolé le produit 81 avec un rendement de 36 % à partir du mélange réactionnel brut par cristallisation dans l’acétone. En fait ce dérivé n'est pas le seul produit de la réaction; l’évaporation du filtrat, suivie d’une recristallisation fractionnée dans l'éther a finalement permis d’isoler un autre produit inattendu (82) avec 31 % de rendement.

Nous avons effectué la réaction entre le germène et la quinone dans des proportions relatives différentes, 1:1 et 3:1, mais dans tous les cas nous avons obtenu des mélanges de

81 et de 82. O O + O O GeMes2 CR2 1 O O GeMes2 R2 C C R2 GeMes2 Mes2Ge R2C + 81 82

Etude par la spectrométrie de masse et par RMN du 1H et du 13C du composé 81

La spectrométrie de masse montre qu’il s’agit d’un adduit 1:1 entre la quinone et le germène.

La RMN à 20 °C montre un singulet à 2,28 ppm et il semble qu’il y ait un signal extrêmement large entre 1,40 et 2,50 ppm. Le spectre de RMN 13C montre également des signaux larges et n’apporte pas de preuve définitive sur la structure de ce composé; nous avons donc réalisé des expériences de RMN dynamique entre 20 °C et -40 °C (figure 10).

Etude par RMN dynamique du 1H du composé 81

20 °C 10 °C 0 °C -10 °C -20 °C -30 °C -40 °C

En descendant en température nous observons l’apparition de deux signaux larges vers 1,5 et 2,5 ppm qui se dédoublent pour donner quatre singulets. Le signal initial à 2,28 ppm se dédouble également. Au fur et à mesure que la température baisse, tous les signaux s’affinent. Nous obtenons alors six signaux méthyles bien définis à -20 °C, qui s’affinent encore jusqu’à -40 °C.

Le spectre obtenu correspond à un dérivé de cycloaddition [2+4] sur le système O=C-C=O. A température ambiante, les deux groupes mésityles sont équivalents, mais présentent une rotation lente : les méthyles en ortho ne sont pratiquement pas observables et le signal à 2,28 ppm correspond donc aux méthyles en para équivalents et non affectés par cette rotation lente. A -40 °C, les six méthyles observés montrent que les deux groupes mésityles sont inéquivalents en raison d’une conformation bloquée du cycle à six chaînons germanié avec la rotation également bloquée autour des deux liaisons Cipso-Ge.

Des phénomènes similaires ont lieu au niveau des protons méta des groupes mésityles, mais il est plus difficile d’attribuer tous les signaux en raison de la présence des protons phénanthrényles et fluorényles.

La température de coalescence est autour de 10 °C (283 K). Nous avons donc pu calculer l’enthalpie libre d’activation à partir de l’équation suivante :

ΔG* = 4,57 × Tc × [9,97 + log(Tc/Δv)]

Tc : température de coalescence en degrés Kelvin (K)

Δv : différence de déplacement chimique maximale entre les protons impliqués (Hz)

Nous obtenons une valeur de ΔG* = 12,5 kcal /mol, valeur moyenne généralement observée dans le cas de rotation lente de substituants stériquement encombrants.

Etude par diffraction des rayons X du composé 81

La structure du dérivé 81 a été confirmée par une étude structurale aux rayons X (Figure 11).

Figure 11. Structure moléculaire du dérivé 81 : ellipsoïdes tracés à 50 % de probabilité.

Les atomes d’hydrogène et les molécules de solvant ont été omis; les groupes Mes et CR2 ont été simplifiés pour rendre l’image plus claire. Longueurs de liaisons (Å) et angles (°) caractéristiques : Ge1-C1 2,003(5); Ge1-O1 1,815(3); Ge1-C14 1,959(5); Ge1-C23 1,958(6); O1-C32 1,345(5); C1-O2 1,458(6); C45-O2 1,397(5); C32-C45 1,343(6); C32- C33 1,455(6); C33-C38 1,411(7); C38-C39 1,458(7); C39-C44 1,426(6); C44-C45 1,411(6); O1-Ge1-C1 95,6(2); O2-C1-Ge1 102,2(3); C45-O2-C1 116,5(3); C32-O1- Ge1 123,3(3); C45-C32-O1 125,5(4); C32-C45-O2 120,8(4).

Etude par la spectrométrie de masse et par RMN du 1H et du 13C du composé 82

L’analyse par la spectrométrie de masse du composé 82 s’est avérée particulièrement utile pour déterminer sa structure car le pic moléculaire m/z 1652 [M+NH4+] en ionisation chimique avec NH3 a suggéré une addition de 3 équivalents de germène sur un équivalent de 9,10-phénanthrènequinone.

Ce composé a été identifié par ses données physico-chimiques : la RMN du 1H fait apparaître la résonance de 18 méthyles mis en évidence très clairement par une expérience HSQC (figure 12). En fait, tous les 6 mésityles sont inéquivalents. Comme nous l’avons observé précédemment dans des cas similaires, ceci est dû à l’encombrement stérique qui induit une rotation très lente des groupes mésityles et à leur diastéréotopie.

C32 C33 C38 C39 C44 C45 O1 O2 Ge1 C1 C14 C23

a) Spectre intégral

b) Zone aliphatique

D’autre part, le spectre de RMN du 13

C confirme la présence de trois groupes fluorénylidènes différents, ce qui est en faveur de la structure proposée. En effet, les atomes de carbones CR2 résonnent dans la zone attendue (53,18, 56,55 et 63,60 ppm). Par ailleurs, en raison de la présence des quatre atomes de carbone asymétriques, les deux motifs CH-CH=CH-CH sont inéquivalents : on observe donc quatre signaux à 37,61, 40,08, 40,67 et 41,58 ppm pour les atomes de carbone tertiaires saturés CH. La mise en évidence des quatre atomes de carbone éthyléniques est effectuée par une technique de HSQC du fait de leurs déplacements chimiques à champ faible.

L’explication la plus probable pour la formation de 82 implique une succession de deux cycloadditions [2+4] avec la contribution des cycles aromatiques de la 9,10- phénanthrènequinone. Cette première étape de la réaction conduirait à un intermédiaire 83, qui présente un motif o-quinodiméthane31, extrêmement réactif, qui malheureusement n’a pas pu être isolé ou caractérisé. Ce dernier se comporte en effet comme un diène très puissant, en réagissant avec Mes2Ge=CR2 par une réaction de Diels-Alder pour fournir 82.

O O + O O GeMes2 R2 C C R2 GeMes2 Mes2Ge R2C O O GeMes2 R2 C C R2 GeMes2 2 x [2+4] [2+4] 82 83 1

Afin de prouver le mécanisme proposé, nous avons changé le sens de l'addition des réactifs ou opéré à une température plus basse (la solution de 1 a été canulée à un excès de quinone à -120 °C) afin d’essayer d'éviter la formation de 82 et de piéger le dérivé transitoire 83 avec l'anhydride maléique. Cependant, la RMN du 1H nous indique encore une fois la formation des produits 81 et 82 dans des rapports similaires, ainsi que la présence de l’excès de germène. Ces résultats pourraient être dus à la très grande réactivité de l’o-quinodiméthane 83, qui réagit in situ avec un troisième équivalent du germène, sans aucune possibilité d’isolation ou de piégeage. Ce mode de réaction n'a pas été observé dans la chimie des hétéroalcènes jusqu’à présent. Rappelons que toutefois la participation d’un cycle aromatique adjacent au cycle quinonique a déjà été vue précédemment dans le cas de la 9,10-anthraquinone.

II. 5. Action des quinones sur les stannènes

Après avoir étudié la réaction entre deux germènes différemment substitués et plusieurs quinones, nous avons envisagé l’action d’un stannène sur certaines de ces quinones. Il était en effet intéressant de comparer la réactivité de ces deux types d’hétéroalcènes vis-à-vis de mêmes réactifs.

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