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ORIGINES DE CETTE MODIFICATION

Dans le document Deuil pathologique ou pathologie du deuil ? (Page 50-54)

A la question de l’origine de cette modification, nous avons déjà émis une première hypothèse qui serait la rigidité des anciens rites qui, au fil du temps, auraient perdu de leur symbolique cependant bien d’autres hypothèses sont avancées pour tenter de comprendre cette modification de notre rapport à la question de la mort et du deuil.

1. Professionnalisation de la mort

Nombreux sont ceux qui pensent que cette modification serait en lien, au moins en partie, avec l’institutionnalisation et la professionnalisation de la mort : 70% des décès en France ont lieu en milieu institutionnel. Le développement des soins palliatifs a eu un rôle majeur dans ce phénomène en tentant d’accompagner les grands malades, les vieillards, les mourants dans un minimum de souffrance.

Pour M. Hanus c’est probablement plutôt l’inverse qui s’est produit : l’émergence des soins palliatifs témoigne de notre désir de supprimer au maximum toute souffrance, toute douleur physique d’une part mais probablement morale aussi. [32]

51 Pour L-V Thomas, « l’hospice absorbe avec les vieillards l’angoisse et la culpabilité du groupe ». [33]

C. Fauré affirme l’idée selon laquelle pour lui le deuil s’est vidé de ses repères psychologiques, religieux et sociaux et n’est relégué qu’au seul domaine médical. Pour lui, l’amélioration de technologies médicales a fait croire à des progrès sans fin ; ce désir d’immortalité se concrétise avec les premières greffes d’organes (première greffe du cœur réalisée par le Pr Barnard en 1968 quasi contemporaine de la conquête de la lune). [34]

Ce rejet de la mort serait alors le résultat d’une forme de maîtrise ; maîtrise dans le fait de l’avoir institutionnalisée et professionnalisée mais aussi dans le désir de la circonvenir, de la préparer, d’en faire une « bonne mort ».

2. l’Eglise et la seconde guerre mondiale

La baisse de l’influence de la religion participe probablement également à ce changement. Louis-Thomas Vincent relie la baisse de cette influence à l’absence de réaction de l’église face à l’inhumanité des conflits durant la seconde guerre mondiale. Pour M. Hanus la shoah, les massacres des guerres mondiales et les génocides ont eu leur rôle dans les origines de la diminution de l’investissement des rites funéraires. Alors que de tout temps l’abandon de cadavre et l’absence de rituel constituaient la pire des offenses, les camps de la mort inaugurent le « rien » après la destruction. L’absence de rites funéraires étaient réservés aux suicidés, aux criminels comme le décrit Foucault dans la toute première scène de « surveiller et punir ». J. Delumeau, historien du XXème siècle relève que, seules, les grandes pestes ont entrainé l’absence de sépulture. La transgression des rites de mort à grande échelle figure parmi les origines de la diminution de l’investissement des rites funéraires dans les années qui vont suivre. [35]

Toutefois, on pourrait opposer à cet argument le rapport de J. Novicow, sociologue du XIXème siècle qui décompta, entre 1496 avant J-C. et 1861, 227 années de paix pour 3130 années de guerre soit 13 années de guerre pour 1 année de paix.

52 3. Mouvement d’individualisation de la société

Selon Edgar Morin, philosophe et sociologue français du XXe, c’est davantage un mouvement d’individualisation que l’horreur de de la seconde guerre mondiale qui serait à l’origine de la modification de notre rapport à la mort. L’apprentissage de l’individualité permet à l’homme de rompre avec la mort subie. Le sujet passe d’une mort passive et acceptée à une mort maitrisée mais refusée. [36]

Ainsi ce phénomène d’individualisme n’est pas sans conséquence sur les relations sociales ; force est de constater les phénomènes sociaux d’isolement, de déresponsabilisation et d’individualisme menant à une relative rupture des solidarités fondamentales civiques et familiales. Cette occultation sociale de la mort n’est peut-être qu’une des expressions d’un phénomène plus général qui voudrait que l’image sociale que chacun veut se donner soit plus fonctionnelle, plus lisse, plus conforme.

4. De bons prétextes pour une tendance naturelle ?

Selon la tradition philosophique, notre propre mort est une perspective qui nous est étrangère dans note expérience quotidienne. Certes nous savons que nous sommes mortels, nous voyons les autres mourir mais notre propre mort n’est ni effective ni un objet de « concernement » : nous ne la prenons pas au sérieux…

Pour S. Freud, dans « Actuelles sur la guerre et la mort », (1915) au fond personne ne croit à sa propre mort ou, ce qui revient au même, dans l’inconscient chacun de nous est convaincu de son immortalité, simplement parce que notre propre mort est parfaitement irreprésentable. Le sujet ne peut se représenter et croire sur un plan inconscient que ce dont il a déjà fait l’expérience.

53 « A nous entendre, nous étions naturellement prêts à soutenir que la mort est l’issue nécessaire à toute vie, que chacun d’entre nous est en dette d’une mort envers la nature et doit être préparé à payer cette dette, bref que la mort est naturelle, indéniable et inévitable. En réalité nous avions coutume de nous comporter comme s’il en était autrement. Nous avons manifesté la tendance évidente à mettre la mort de côté, à l’éliminer de la vie […] C’est que la mort propre est irreprésentable et aussi souvent que nous en faisons la tentative, nous pouvons remarquer qu’à vrai dire nous continuons à être là en tant que spectateur » S. Freud. [37]

Pour M. Hanus, le fantasme inconscient d’omnipotence trouve son compte dans la religion qui professe que nous ne mourons pas complètement puisque l’âme ne meurt pas avec le corps, elle est habituellement considérée comme immortelle. Il ajoute que pour les incroyants et les athées l’âme disparait avec le corps mais pour eux la survie existe dans la mémoire des survivants dont la conscience n’est que la partie émergée de l’immense iceberg constitué par la mémoire biologique et génétique. Ainsi même si nous ne connaissons pas nos aïeux, nous en avons reçu une partie de nos gènes, nous sommes en partie ce qu’ils étaient, ils se survivent en nous. C’est d’ailleurs dans cette perspective que M. Hanus rappelle une des fonctions fantasmatiques de la parentalité à savoir, en partie, de survivre en ses enfants.

Pour lui également, l’incapacité des enfants et des peuples de sociétés traditionnelles à considérer la mort comme naturelle est un corollaire de la croyance inconsciente en sa propre immortalité.

Il se demande par ailleurs si l’irreprésentabilité de la mort n’est pas également palpable à travers notre difficulté à en donner une définition. [38]

Ne pourrions-nous pas dire finalement que l’inconscient se saisit de toutes les modifications de la société qui le conforteraient dans sa croyance d’immortalité et que tout ce qui pourrait aller à l’encontre de cette croyance est balayé d’un bon coup de déni…?

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Dans le document Deuil pathologique ou pathologie du deuil ? (Page 50-54)

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