• Aucun résultat trouvé

IMPACT DE CETTE MODIFICATION

Dans le document Deuil pathologique ou pathologie du deuil ? (Page 54-57)

Cet impact est à considérer sur deux versants à savoir : la conséquence à l’échelle individuelle de la perte de la prise en charge par le groupe de cette question du deuil et la conséquence sur la question du temps, si nécessaire au travail de deuil.

1. Impact de la perte du caractère social du deuil

Ainsi pour répondre au premier aspect de cette question , je citerai L-V Thomas dans anthropologie de la mort : « Tout système culturel qui repose sur le capital humain n’a d’autre issue, pour préserver les hommes, que de les socialiser, assumant la mort sur le plan du groupe pour mieux la nier au niveau du rite (…) Ce qu’on appelle culture n’est rien d’autre qu’un ensemble organisé de croyances et de rites, afin de mieux lutter contre le pouvoir dissolvant de la mort individuelle et collective».[39]

Pour L-V Thomas, chaque société repose sur un pari d’immortalité, ménageant aux individus qui la composent des parades à l’angoisse de mort qui laissent le champ libre pour donner un sens à la vie.

On peut alors s’interroger sur l’impact sur le travail de deuil dans une société où l’individu n’est plus accompagné par le groupe.

Pour E. Morin (1976), la perte du partage du rite ne permet plus de transcender la mort. Le sens de la vie est la question existentielle, philosophique mais incontournable pour ces endeuillés que l’on peut entendre dire que « la vie n’a plus de sens » après la mort d’un être cher. Et si les philosophes se sont accordés pour affirmer que la vie n’a pas de sens, les endeuillés nous rappellent que pourtant il nous faut en donner un.

Paradoxalement, une société devenue trop individualiste ne permettrait elle plus à l’individu de se leurrer sur le sens de la vie ?

55 Cette confrontation à la mort pour l’endeuillé sans une prise en charge du groupe ne prend-elle pas une dimension plus traumatique qui rendrait le travail de deuil plus compliqué ?

Sur un tout autre plan on peut légitimement se demander si le recours de plus en plus facile à la plainte ou au procès contre les médecins ou les équipes soignantes à l’heure actuelle ne serait pas finalement le résultat de cette perte de rituels qui permettaient de distribuer la culpabilité et d’exprimer sa colère.

2. La question du temps

Par ailleurs, la modification de la société impose à la personne endeuillée des principes sociaux en totale contradiction avec la dynamique psychique en termes de temps.

A titre d’exemple pratique, actuellement il est accordé 2 jours de congés suite au décès d’un conjoint ou d‘un enfant, 1 jour pour le décès d’un parent, d’un parent du conjoint, d’un frère ou une sœur. (On peut noter par ailleurs qu’il est accordé 4 jours pour un mariage ou un PACS).

Cependant sur le site internet officiel du service public, on peut trouver une note informative stipulant qu’une proposition de loi est en cours de discussion pour augmenter la durée des congés prévus en cas de décès d’un enfant, de l’époux ou du partenaire de PACS. [40]

Dans une interprétation optimiste, on pourrait y voir une forme de reconnaissance par l’état, d’une inadéquation entre les impératifs sociaux et les nécessités de l’individu (et ce d’autant plus dans un contexte de crise économique). Enfin on entend bien que ce temps est un temps accordé dans la perspective des démarches administratives et non dans celle d’un travail de deuil.

Enfin pour répondre plus précisément à cette question du temps, il nous faut nous pencher sur les principes de la dynamique psychique que nous développerons dans la prochaine partie.

56 On peut toutefois déjà illustrer la complexité de cette question par quelques divers propos.

J. Bowlby avait choisi d’introduire son ouvrage « Attachement et perte » en explicitant son but, à savoir s’opposer aux préjugés qui voudraient considérer qu’une personne normale et en bonne santé peut et doit surmonter son deuil à la fois rapidement et complètement.

De son coté, V. Delecroix, philosophe et écrivain français demande à comprendre, lors d’une interview en 2015, ce que la société investit dans son hostilité à l’idée d’un deuil perpétuel, à l’encontre de celui qui pleure trop longtemps. Il rappelle alors qu’au moyen âge, les pleurs, dans le cas de la mort d’un enfant s’écoulaient ad libitum (à volonté sans que cela ne soit vu comme pathologique).

M.-F. Bacqué cite l’exemple rapporté par l’anthropologue Marinella Carosso qui a étudié le deuil en Sardaigne. Elle y explique qu’il y existe trois degrés de deuil : le grand deuil (mort du conjoint) qui dure encore parfois toute la vie, le demi deuil (mort des parents) qui ne se prolonge que rarement plus de dix années et le petit deuil (collatéraux) qui varie selon l’âge du défunt ente six moi et cinq ans. [41]

Enfin on pourrait citer ce proverbe indien qui dit « le chagrin de la mort d’un époux dure six mois, on ne se console jamais da la mort d’un enfant ».

Tout au long de cette seconde partie, nous avons donc soulevé les divers liens existants entre le travail de deuil et le contexte sociologique ; et la question qui nait de cette étude est finalement de savoir si la société actuelle n’est pas pourvoyeuse de difficultés dans la réalisation du travail de deuil et si ainsi certains patients ne seraient pas « malades de la société ».

57

TROISIEME PARTIE : APPROCHE PSYCHIATRIQUE

Si on a pu discuter le lien entre la société et son possible rôle dans l’émergence de complications liées au deuil, nous allons maintenant nous pencher sur le regard de la psychiatrie sur ce phénomène et la compréhension qu’elle en fait puisque c’est aussi elle qui fixe la frontière entre le normal et le pathologique.

Dans le document Deuil pathologique ou pathologie du deuil ? (Page 54-57)

Documents relatifs