• Aucun résultat trouvé

Les sédiments en suspension ont plusieurs origines possibles : érosion des sols des versants et des fonds de vallées, érosion du chenal (berges et lit du cours d’eau), développement de plancton (floraison), effluents urbains, rejets industriels, effluents agricoles, etc. Cependant, il est difficile de déterminer précisément l’origine des MES et des sédiments de fonds puisqu’une grande proportion du matériel accumulé dans les cours d’eau dérive initialement de sources exogènes (Wood et Armitage, 1997).

Selon leur origine, différents facteurs influencent l’apport de sédiments dans un cours d’eau. Premièrement, la nature des formations de surface dans les bassins versants gouverne les processus d’érosion à cause de leur capacité d’infiltration et de leur érodibilité (King et Le Bissonnais, 1992). La capacité d’infiltration représente le flux d’eau maximal que le sol est capable d'absorber à travers sa surface lorsqu'il reçoit une pluie efficace1 ou s'il est recouvert d'eau. De ce fait, elle dépend de la conductivité hydraulique, de la texture et de la structure du sol. De plus, elle varie selon la succession et les propriétés hydrodynamiques des horizons de sol avec un rôle prépondérant pour l’horizon de surface. L’érodabilité d’un sol est une mesure de la facilité avec laquelle celui-ci est érodé (Lefrançois, 2007). Elle dépend de la stabilité structurale du sol qui est liée à la cohésion des agrégats et à leur résistance à la désagrégation sous l’action de la pluie (Le Bissonnais, 1996).

Les modes d’occupation du sol conditionnent également l’apport de sédiments. En effet, la nature et la distribution spatiale des cultures, le taux d’urbanisation de même que l’importance du couvert végétal peuvent notamment constituer des obstacles plus ou moins efficaces au ruissellement (Mérot et al., 1999) et influencer globalement l’érosion, La topographie (pente, longueur de pente, etc.) conditionne la vitesse et l’importance du ruissellement sur les versants et, par conséquent, l’arrachement et le transport des particules du sol. D’autre part, les précipitations représentent l’agent principal de l’érosion hydrique. L’aptitude de la pluie à

1 Les pluies (ou précipitations) efficaces sont égales à la différence entre les précipitations et l’évapotranspiration

réelle. L'eau des précipitations efficaces est répartie, à la surface du sol, en deux fractions : le ruissellement et l’infiltration.

engendrer des phénomènes d’érosion (ex. briser les agrégats du sol) dépend de l’énergie cinétique qui est liée avant tout à son intensité (Lefrançois, 2007).

L’érosion est un processus naturel, mais celui -ci est amplifié par certaines actions anthropiques. Selon Abernethy (1990), la modification de l’usage des sols (pratique culturale et remembrement2) et l’intensification de l’agriculture sont à l’origine d’une augmentation de l’érosion physique des sols et des flux de sédiments transportés par cours d’eau. En effet, dans un petit bassin versant d’Asie, il a identifié une augmentation de près de 6% de la charge annuelle de MES après 50 années d’intensification de l’agriculture et d’altération des milieux naturels sur le bassin versant. Dans leur étude, Zaimes et al. (2005) démontrent que les parcelles ripariennes, utilisées pour des pâtures permanentes et dont les berges ne sont pas protégées, engendrent plus de particules érodées que des parcelles cultivées, exportant elles -mêmes davantage que les prairies non pâturées ou les bois. De surcroît, selon Walling (1999), les taux d’érosion des sols cultivés sont entre 16 et 900 fois plus élevés que les sols ayant un couvert végétal laissé à l’état naturel. Par ailleurs, il est bien connu que l’imperméabilisation des sols3 entraîne une diminution de l’infiltration de l’eau et une augmentation de la part ruisselée (Chocolat, 1997). Ces conditions engendrent une montée des eaux plus rapide dans les cours d’eau (crues éclairs). De plus, la suppression des méandres des cours d’eau pour produire des tronçons rectilignes, pratique très courante dans les milieux agricoles, a pour conséquence une augmentation des vitesses d’écoulement qui, jumelées à l’imperméabilisation des sols, contribuent à une érosion accrue des berges.

b) Devenir des sédiments fins dans un cours d’eau

Dans tout écoulement, que ce soit dans le lit de la rivière ou au sein du ruissellement sur un versant, des phénomènes d’érosion, de dépôt et de reprise sont observés. Ils sont essentiellement gouvernés par les conditions hydrauliques et la granulométrie des sédiments. La courbe de Hjülström (Figure 1) synthétise ces phénomènes et permet de déterminer les processus prédominants (érosion, dépôt ou transport) selon la vitesse du courant et le diamètre des grains. En observant la courbe d’érosion des particules moyennes à grossières, on constate que le tracé est intuitif ; plus les particules sont grossières, plus la vitesse du courant doit être élevée pour qu’elles soient prises en charge. Cependant, la portion de la courbe d’érosion des particules

2 Opération qui consiste à favoriser la réaction de propriétés agricoles par échange et regroupement de parcelle disséminées.

fines présente un tracé qui peut sembler paradoxal ; elle montre une diminution de la vitesse du courant avec l’augmentation de la taille des particules.

Figure 1 : Diagramme classique de Hjulström (1935)

En effet, les particules fines ayant une taille inférieure à 0,06 mm, comme les limons et les argiles, nécessitent un courant assez élevé pour être mobilisées puisqu’elles exercent une force de cohésion les unes sur les autres (Grabowski et al. 2011). Une particule d’argile est formée d’un empilement de feuillets élémentaires. Leur forme habituellement aplatie leur confère un ratio surface/volume élevé et elles portent sur leurs surfaces des charges électrochimiques très fortes. Elles présentent généralement une charge nette négative due à des substitutions isomorphes au niveau des feuillets (remplacement d'un cation par un autre de charge inférieure) et par l’adsorption préférentielle d’anions stabilisateurs (Partheniades, 2007). Lorsque les particules sont dans l’eau, ce déficit de charge se traduit par l’orientation des molécules d’eau polaire dans l’espace périphérique de la particule pour que le système eau-argile acquière l’électroneutralité par compensation des charges. L'attraction des cations par la surface des particules d'argile s'oppose à la tendance des ions à diffuser et à se distribuer d'une manière homogène dans l'eau. Les ions H+ et OH- répartis autour de la particule constituent une double couche électrique caractéristique des colloïdes4, tel qu’illustré sur la figure 2.

Lorsque la double couche électrique est réduite, les particules d’argile peuvent floculer ensemble et former des agrégats. En effet, les ions chargés positivement, qui sont dissous dans

4 Les colloïdes sont définis comme des substances sous forme de liquide ou de gel qui contiennent en suspension

des particules solides suffisamment petites pour que le mélange soit homogène, constituent une transition entre matières en solution et matières en suspension (LeFrançois, 2007)

l’eau, peuvent neutraliser les charges négatives sur la surface des particules d’argile, ce qui a pour conséquence d’amincir la double couche électrique et de permettre aux particules de se rapprocher suffisamment pour que les forces de Van der Wall5 les attirent. Les cations ayant un haut niveau de valence comme le Ca2+ sont beaucoup plus efficaces pour amincir la double couche électrique et, par le fait même, agglomérer les particules d’argile (Figure 3).

Figure 2 : Répartition des molécules d’eau autour d’une particule d’argile chargée négativement

(Plumelle, 2002).

Figure 3 : Impact de la présence de cations faibles (monovalents) Na+ (a) et de cations forts (divalent)

Ca2+ (b) sur la double couche électrique.

La matière organique et les microbes peuvent aussi être attirés par les forces électrochimiques de ces petits agrégats, ce qui contribue à former des assemblages de plus en plus gros ; c’est la

floculation (Grabowski et al., 2011). À la suite de leur floculation, les agrégats d’argile peuvent devenir trop lourds pour rester en suspension, provoquant leur sédimentation au fond du cours d’eau. Lorsque ces agrégats se retrouvent au fond, il y a une forte cohésion entre ceux-ci, ce qui explique pourquoi les argiles sont plus difficiles à remettre alors en mouvement. Ainsi, lorsque le courant atteint une vitesse assez élevée, les argiles sont mises en suspension et peuvent le rester longtemps, malgré un courant très faible.

Plusieurs facteurs peuvent donc influencer la stabilité des argiles en suspension : la capacité d’échange d’ions, la nature des ions fixés, le pH et le degré de salinité de l’eau. Il a été démontré que les argiles à forte capacité d’échange donnent des suspensions beaucoup plus stables. Comme il a été mentionné précédemment, la présence d’ions divalents amincit la double couche électrique et permet aux argiles de floculer. Ainsi, la stabilité d’une suspension est fonction de la valence de l’ion de la couche diffuse entourant les particules. La stabilité diminue quand on passe d’un ion monovalent à un ion divalent, d’un ion divalent à un ion trivalent. Par ailleurs, plus la salinité de l’eau augmente plus les argiles floculent. Les sels empêchent les doubles couches électriques de se développer. Le pH a également une grande influence sur la stabilité des suspensions d’argile : plus le pH est acide plus elle est faible. À un pH situé entre 2,4 et 4 les doubles couches électriques n’existent plus; elles ne remplissent plus leur rôle de stabilisant, et les argiles floculent.