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Les origines du cluster textile malgache

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 78-84)

Depuis quelques années, on assiste à une résurgence des débats entre économistes sur les stratégies industrielles des pays en développement. Ces stratégies s’engagent, aujourd’hui, dans un environnement mondial particulièrement volatile, marqué par l’échec des deux dernières conférences de l’Organisation Mondiale du Commerce à Cancun et à Hong Kong et par la suspension sine die du cycle des négociations commerciales multilatérales, lancé à Doha cinq ans auparavant. Ces échecs traduisent les divergences d’intérêt, non seulement entre les pays développés et les pays en développement, mais également au sein de ces derniers (Dimou et Fernand, 2008).

Dans ce contexte particulier, les performances des zones franches dans les pays en développement et leurs perspectives d’évolution apparaissent comme une préoccupation majeure, pour de nombreux gouvernements. Une zone franche d’exportation est définie comme un espace industriel qui constitue une enclave par rapport aux droits de douane et aux règles commerciales en vigueur dans le pays hôte. Les firmes --essentiellement mais non pas exclusivement étrangères-- qui investissent dans ces zones bénéficient d’un ensemble d’avantages en matière de fiscalité, de réglementation du travail, d’accès aux infrastructures publiques, de rapatriement des capitaux, de tarifs préférentiels à l’importation, avec comme seule obligation l’exportation de la quasi-totalité de leur production (Madani, 1999).

Les zones franches constituent, pour un certain nombre des pays en développement, le fer de lance d’une stratégie d’industrialisation axée sur la promotion des exportations et l’intégration à l’économie mondiale. Quarante ans après la création de la première zone franche, aux abords de l’aéroport international de Shannon en Irlande, et trente ans après la création de la « première génération »

de sites aéroportuaires aux Etats-Unis, les zones de la Corée du Sud et de Taiwan), leur prolifération est fulgurante : en 1975, seuls 25 pays disposaient de zones franches employant directement 800 000 salariés, en 1998, elles emploient presque 5 millions de personnes, réparties dans 93 pays, hors Chine.

Les continents asiatique et sud-américain, à part quasi-égale chacun, totalisent 90% du travail employé dans les zones franches dans le monde, tandis que le continent africain ne recense que 6% des effectifs (ILO, 1998). Parmi ces zones, certaines connaissent des véritables success stories fortement médiatisées (les zones de la Corée du Sud, de la Tunisie et du Mexique, les entreprises franches de Maurice, Taiwan et Hong Kong), d’autres représentent plutôt des échecs notoires, notamment en Afrique subsaharienne et en Amérique du Sud (Madani, 1999 ; Cling

et Letilly, 2001 ; Sargent et Matthews, 2001 ; Calderon Villareal, 2003 ; Dimou, 2004 ; Dimou et Fernand, 2008).

Les zones franches d’exportation furent initialement créées pour favoriser un développement industriel pluriel dans leur pays d’accueil. Cependant, très rapidement, la plupart d’entre elles se sont engagées dans un processus de spécialisation cumulatif, notamment dans les secteurs à faible potentiel technologique, tels que le textile et l’électronique. Leur évolution représente à cet égard un sujet intéressant pour les analyses qui s’interrogent sur la durabilité et/ou la mobilité des spécialisations internationales (Lallement, Mouhoud et Paillard, 2002).

Ces dernières vont des approches traditionnelles de Vernon (1966) en termes de cycle de vie du produit jusqu’aux modèles récents du commerce international en concurrence imparfaite (Ben-Zvi et Helpman, 1992, Grossman et Helpman, 1997).

De nombreuses études empiriques ont abordé ce sujet sous différents angles (Lallement, Mouhoud et Paillard, 2002). Certains auteurs ont cherché à déterminer les causes qui influencent le degré de stabilité ou de mobilité internationale des secteurs (Storper et Walker, 1989 ; Guerrieri, 1999 ; Mancusi, 2001) et la spécialisation technologique des nations (Malerba et Orsenigo, 2007 ; Amendola et alii, 1998 ; Vertova, 1999).

D’autres ont mis l’accent sur le rôle des investissements directs étrangers dans le transfert et la mobilité des technologies (Blomström, Globerman, Kokko,

2000 ; Manguy, 2004), ainsi que sur l’importance des processus d’apprentissage et d’imitation dans les pays hôtes (Javorcik et Spatereanu, 2003).

Enfin, un troisième ensemble de chercheurs a abordé davantage la question de la création de clusters, simples plate-formes d’assemblage ou véritables districts industriels (Dimou et Schaffar, 2005), où la concentration d’activités spécialisées joue un rôle rétroactif d’attirance de firmes et de capitaux de certains secteurs, renforçant ainsi l’effet de spécialisation (Arthur, 1990 ; Fujita et Thisse, 1996 ; Scott, et Stroper, 1997 ; Catin, Ghio et Van Huffel, 2001 ; Thompson, 2005).

La grande majorité de ces études concerne des secteurs à fort potentiel technologique et porteurs d’innovation. Dans le cas malgache, cependant, la zone franche est spécialisée dans le textile et l’habillement dont le caractère footloose les rend extrêmement mobiles et enclines à se déplacer en fonction des avantages concurrentiels pécuniaires offerts par des nouvelles localisations potentielles (Gereffi, 1994 et 1999 ; Dicken, 1998 ; Mortimore, 1999). Il convient, d’ailleurs, de rappeler que cette zone est née de transferts de capitaux en provenance d’autres zones franches et notamment de celle de Maurice (Dimou et Fernand, 2008).

1.2 La création de la zone franche malgache

Les zones franches textiles sont la suite logique d’un long processus de mobilité et de délocalisation de cette industrie dans le monde : des Etats-Unis et d’Europe en 1950 vers le Japon, puis de ce pays vers la Corée du Sud, Taiwan et Hong Kong dans les années soixante, de ces derniers vers l’Asie du Sud-Est et les îles de l’océan indien dans les années soixante-dix et enfin avec une introduction timide mais croissante dans la partie orientale du continent africain au début des années quatre-vingt-dix. Cette délocalisation massive et périodique de l’industrie textile (Storper et Walker, 1989, utilisent le terme leapfrogging, ce qui signifie littéralement « saut de grenouille ») semble avoir pour seule source, la recherche d’une main d’œuvre bon marché et le détournement des contraintes de quotas d’exportations imposés par les conventions internationales et les pays importateurs.

Le démantèlement de l’accord multi-fibres (AMF) et la fin des accords ACP en

l’hypothèse du fonctionnement d’un marché mondial hors-quotas où la concurrence par les coûts deviendrait féroce. En réalité, les transitions furent beaucoup moins apparentes et les conventions précédentes ont cédé la place à de nouvelles formes d’accords, soit à caractère régional tels que le African Growth and Opportunity Act (AGOA), connu plus souvent sous la dénomination Africa Bill qui stipule les conditions d’exportation des textiles africains au marché américain, soit à caractère bilatéral entre pays producteurs et importateurs (Dimou et Fernand, 2008).

L’évolution de la zone franche malgache rentre dans ce contexte. Durant la première étape de son existence, la croissance de la zone franche malgache, quasiment mono-spécialisée dans le textile, est axée essentiellement sur le couple

« faible coût de production – accès aux marchés internationaux ».

La zone franche malgache fut officiellement créée en 1994, même si les prémices existent depuis 1989, avec les premières délocalisations par les firmes textiles mauriciennes. Il s’agit d’une zone franche « dématérialisée », dans le sens où les firmes ont un statut d’entreprise franche sans obligation de localisation précise ; mise à part une poche textile constituée autour du port de Mahajanga, dans l’ouest du pays, la quasi totalité des autres firmes sont localisées sur l’axe Antananarivo - Toamasina. Elles emploient, durant cette période, 110 000 personnes dont environ 75 000 dans le textile (Razafindrakoto et Roubaud, 1997).

1.3 Les conditions initiales

La zone franche malgache n’a, donc, pas été créée ex-nihilo. Son institutionnalisation n’est intervenue que dans un deuxième temps, afin de structurer et renforcer une dynamique antérieure, à l’origine de laquelle on trouve trois facteurs (Dimou, 2004 et 2007 ; Dimou et Schaffar, 2005) :

En premier lieu, les faibles coûts de main d’œuvre : lorsque la zone franche malgache se lance, au début des années quatre-vingt-dix, le salaire moyen malgache est trois fois inférieur au salaire mauricien et quasi-identique à celui de son concurrent principal sur le marché américain, le Sri Lanka (Tableau1).

Tableau 1 : Coût horaire de main d’œuvre

Pays Coût horaire de la main-d’œuvre en $US PPA

Madagascar 0,40

Maurice 1,33

Afrique du Sud 2,17

Bengladesh 0,25

China Costal 0,69

Inde 0,57

Tunisie 1,77

Maroc 1,89

Sri Lanka 0,40

Ministère de l’Economie, du Commerce et de l’Industrie 2007

Cet écart de coûts de main d’œuvre dans la zone franche persiste encore aujourd’hui, comme on peut le constater dans le Tableau 2. Madagascar reste un des pays producteurs avec le plus faible coût de travail dans le monde.

Tableau 2 : Coût horaire de main d’œuvre dans le textile (zone franche)

Pays Fourchette

en centimes d’€

Médiane en centimes d’€

Turquie 8 à 12 10

Maroc 7 à 9 9

Tunisie 6 à 9 8

Roumanie 5 à 8 6

Ukraine 4 à 7 5

Chine 4 à 6 5

Madagascar 3 à 5 4

Source CEDITH Cercle Euro-méditerranéen des Dirigeants du Textile-Habillement, 2006

En second lieu, l’accès préférentiel aux marchés mondiaux : les accords multi-fibres (AMF) dans les années vingt puis l’Africa Bill dans les années quatre-vingt-dix, représentaient une incitation permanente pour des investisseurs étrangers qui, soit avaient rempli leurs propres quotas d’exportation (le cas de Hong Kong et de

Maurice dans l’AGOA). Durant cette première étape, le marché européen reste essentiellement accessible aux produits malgaches, mais c’est le marché américain qui reste l’objectif prioritaire pour Madagascar (50% des exportations).

Pendant quelques années, l’AGOA, accord commercial préférentiel entre les Etats-Unis et 70 Etats africains et des Caraïbes, adopté en 2000, a représenté un grand espoir pour l’industrie du textile-habillement. Madagascar fut éligible en octobre 2000, bénéficiant d’une exonération des droits de douanes pour de nombreux produits textiles exportés sur le marché américain, à condition d’être fabriqués à partir de tissus originaires des Etats-Unis ou d’Afrique.

Ainsi, en 2001, dans le cadre de l’AGOA, Madagascar était le 3ème plus grand exportateur de vêtements vers les Etats-Unis, derrière le Lesotho, et le Kenya. En Janvier 2002 avec 22 % des exportations africaines vers le marché américain, le pays se hissait à la 2ème place, toujours derrière le Lesotho, mais dépassant l’Afrique du Sud et Maurice. Le textile malgache profitait ainsi des dispositions de l’AGOA qui lui ont permis de renforcer la compétitivité de ses produits exportés aux Etats-Unis, sans quotas et exempts de taxes douanières. En 2001, la valeur des exportations textiles vers les Etats Unis représentait 176 millions USD.

Enfin, en troisième lieu, on trouve les réseaux privilégiés au sein des diasporas chinoises et indiennes qui occupent, en grande partie, les activités productives dans ces régions : ces liens unissent les communautés chinoises de l’île Maurice et du Sri Lanka avec celle de Hong Kong dans les années soixante-dix, puis les populations chinoises et indo-musulmanes de Maurice avec la communauté Karana de Madagascar. Ces réseaux informels furent les socles de confiance sur lesquels les transferts de capitaux ont eu lieu dans un premier temps, avant que les régimes de zone franche ne soient institutionnalisés.

Ce n’est que dans un deuxième temps, que le gouvernement malgache a cherché à codifier et institutionnaliser ces dynamiques, en créant officiellement des statuts de zone ou d’entreprise franche. Celles-ci furent créées, conformément à la législation internationale sur les zones franches d’exportations.

Tableau 3 : Dispositifs juridiques de la zone franches malgache

Caractéristiques Madagascar Mode de taxation Exonération d’impôts sur les

bénéfices de 5 à 10 ans. TVA

Franchise à l’import Oui

Libre rapatriement des bénéfices et du capital

Oui

Libre Emploi des étrangers Réglementé

Accès aux devises étrangères Oui

Obligation de s’associer au capital local

Oui

Durant la première période de son développement, la zone malgache a connu une croissance fulgurante. La croissance annuelle de la valeur ajoutée (en US$

constants), durant la deuxième partie de la décennie quatre-vingt-dix, fut de l’ordre de 12,5% mais avec des grands décalages selon les années (elle affiche un taux de croissance de 140% entre 1994 et 1995, suite à sa création officielle qui coïncide avec la crise économique mauricienne, mais enregistre une forte baisse ponctuelle en 2002, lorsque les problèmes politiques que le pays a rencontré ont conduit à une cessation d’activité provisoire et un chômage technique d’environ 80 000 personnes sur plusieurs mois !.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 78-84)