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Origines et évolution de l’Apprentissage des Langues Assisté par

CALL-SLT, comme son nom l’indique, fait partie de la famille des systèmes conçus pour l’Apprentissage des Langues Assisté par Ordinateur (ALAO), Computer-Assisted Language Learning en anglais. L’ALAO étant un domaine en constante évolution, changeant de nature au gré des innovations technologiques, informatiques et pédagogiques, nous nous contenterons d’une définition certes générale, mais qui a le mérite d’englober les différents aspects de ce champ de recherche mouvant :

[CALL] is any process in which a learner uses a computer and, as a result, improves his or her language. (Beatty, 2003 : 7)1

Il est intéressant de relever que l’ALAO est un concept principalement utilisé pour l’acquisition d’une langue étrangère, bien qu’il puisse également s’appliquer à l’apprentissage de la langue maternelle. Il s’adresse aussi bien aux enfants débutant en écriture, qu’aux adultes désireux d’acquérir un vocabulaire spécifique à leur secteur d’activité. L’ALAO peut être intégré de différentes manières dans la méthode d’apprentissage. Il peut, bien sûr, être utilisé en complément aux leçons données par un professeur, mais aussi seul, pour un apprentissage à distance ou autodidacte. Le support est lui aussi variable, il peut s’agir d’un appareil exclusivement conçu pour accueillir un système d’ALAO (tel qu’une console spécialement destinée aux enfants), d’un logiciel disponible sur CD-ROM ou en ligne par le biais d’un navigateur (à l’instar de CALL-SLT) ou, de nos jours, d’une application pour téléphones dits intelligents ou tablettes.

Dans ce chapitre, nous commencerons par définir deux visions divergentes de l’enseignement qui ont influencé le développement de l’ALAO : le béhaviorisme, qui considère que l’apprentissage est une modification observable du comportement, et le constructivisme, une approche plus philosophique qui conçoit l’apprentissage comme le résultat de l’expérience. Puis, nous nous intéresserons

travers trois périodes2 : les années 1950 et 1960, puis 1970 et 1980, et enfin de 1990 à nos jours. Nous nous pencherons enfin sur le jeu de traduction de Wang et Seneff, source d’inspiration du projet CALL-SLT.

2.1. Béhaviorisme et constructivisme

Pour définir ces deux conceptions de l’enseignement, nous nous appuyons sur l’ouvrage de Beatty « Teaching and Researching, Computer-assisted Language Learning » (2003), la publication de Hung « Theories of Learning and Mediated Instructional Technologies » (2001) et l’article de Torut « Computer-Assisted Language Learning : An Overview » (1999).

L’approche béhavioriste part du principe que la plupart des comportements découlent de l’apprentissage et ne sont pas le fruit de la génétique. Ce modèle est dérivé de la théorie stimulus-réponse de B. F. Skinner qui veut que l’apprenant soit conditionné à répondre à des stimuli. Dans ce contexte, l’accent est mis sur la relation de cause à effet. Les aspects les plus importants du béhaviorisme sont illustrés dans la figure 2.1 (Beatty, 2003 : 17).

Figure 2.1 : Caractéristiques principales du béhaviorisme

Dans le cadre de l’apprentissage des langues, l’application de cette méthode se traduit par des exercices hors contextes répétitifs et basés sur l’imitation, qui font la part belle à la grammaire et à la production orale.

2 Telles que suggérées dans l’ouvrage de Beatty (2003)

L’approche constructiviste, elle, estime que les connaissances des êtres humains proviennent de leur propre perception et de leurs propres expériences. Cette méthode met l’accent sur les mécanismes, les processus, les interactions et la communication, car l’apprentissage est perçu comme un le résultat d’une découverte active plutôt que comme la somme de différentes connaissances. La figure 2.2 (Beatty, 2003 :17) décrit les aspects principaux de cette tendance.

Figure 2.2 : Caractéristiques principales du constructivisme

Cette théorie a particulièrement favorisé le développement de l’ALAO, car celui-ci permet un apprentissage individuel et personnalisé en contexte.

Les différents logiciels et méthodes présentés dans les sections suivantes ne peuvent souvent pas être considérés comme purement béhavioristes ou constructivistes. Toutefois, il est vrai que les premiers systèmes d’ALAO, et ce jusque dans les années septante, sont plutôt influencés par le béhaviorisme, alors que ceux développés à partir des années quatre-vingt sont davantage imprégnés de constructivisme.

2.2. Les années 1950 et 1960

Dans les années cinquante, les ordinateurs sont des machines énormes et extrêmement coûteuses réservées aux instituts de recherche et aux universités.

(Programmed Logic for Automated Teaching Operations) est l’un des premiers et des plus importants programmes développés pour l’apprentissage des langues et d’autres disciplines universitaires. Conçu à l’Université de l’Illinois en 1959, il doit explorer d’autres méthodes d’enseignement pour faire face à l’augmentation significative du nombre d’étudiants. En effet, entre 1950 et 1975, leur nombre double aux États-Unis et l’on pense pouvoir réaliser des économies, renoncer à chercher de nouveaux enseignants qualifiés et améliorer la qualité de la formation en investissant dans l’enseignement assisté par ordinateur (Van Meer, 2003 : 2).

De plus, en cette période de guerre froide, le gouvernement américain encourage l’innovation scientifique, en particulier après le 4 octobre 1957, date à laquelle l’Union soviétique met en orbite Spoutnik I, le premier satellite artificiel de la Terre. D’ailleurs, le russe est la première langue pour laquelle PLATO est développé. La méthode employée pour l’élaboration des leçons de PLATO est celle de la « grammaire-traduction », dite « traditionnelle », qui consiste à apprendre des règles de grammaire qui sont ensuite appliquées lors de la traduction littérale d’un texte. À cette époque, les systèmes d’ALAO suivent un schéma linéaire identique pour tous les utilisateurs et ne sont en général qu’une adaptation informatique des manuels et exercices habituellement utilisés et entre dans la catégorie des approches béhavioristes.

2.3. Les années 1970 et 1980

Alors que les développements dans l’ALAO étaient limités dans les années 1950 et 1960 par l’accessibilité réduite aux ordinateurs et par le peu de possibilités qu’ils offraient, les années 1970 et 1980 sont marquées par la révolution micro-informatique (L’Haire, 2011). En effet, en 1971, Intel commercialise le premier microprocesseur, ce qui réduit le coût des ordinateurs et l’espace qu’ils occupent.

Des machines à prix abordables font leur arrivée sur le marché, de même que le premier Personal Computer d’IBM, en 1981. Autre innovation informatique importante : le modem, qui permet de connecter des ordinateurs entre eux via une ligne téléphonique. Grâce à ces nouvelles technologies, et bien d’autres développées à la même époque, les ordinateurs sont plus simples d’accès et offrent des fonctionnalités étendues. Ainsi, les professeurs eux-mêmes peuvent mettre au point leur propre système d’ALAO et des logiciels plus interactifs voient le jour. Les

types d’exercices sont, par exemple, des textes à trous, des simulations avec des scénarios plus ou moins complexes ou des jeux pour enrichir le vocabulaire.

Notons également l’apparition du vidéodisque, l’ancêtre du CD-ROM et du DVD, un support d’informations que les systèmes d’ALAO exploiteront, à l’instar de Macario, Montevidisco et Interactive Dígame. Macario est une vidéo, dont le but est l’apprentissage de l’espagnol par l’écoute, qui découpe une vidéo commerciale déjà existante et l’agrémente d’informations et d’instructions pédagogiques. Le rôle de l’utilisateur se limite à répondre aux questions insérées dans la vidéo et à stopper ou relancer la lecture. Il peut donc être qualifié de système linéaire à tendance béhavioriste. En revanche, Montevidisco et Interactive Dígame adoptent une approche non linéaire et constructiviste. En effet, les utilisateurs possèdent la possibilité de choisir le contenu et l’ordre de l’apprentissage. Dans Montevidisco, l’élève se trouve confronté à un personnage qui lui pose des questions. Il choisit ensuite parmi des options prédéfinies les réponses qu’il souhaite fournir. Il a donc un rôle actif et peut découvrir et choisir seul les différents sujets de conversation.

(Beatty, 2003 : 25)

L’un des projets d’ALAO les plus importants de cette époque est sans doute ALPP (Athena Language Learning Project) (Beatty, 2003 : 26). Il a été créé en 1983 dans le cadre d’un programme à long terme du Massachusetts Institute of Technology (MIT), qui a bénéficié d’importants moyens financiers et techniques, dont le but était d’explorer le rôle des ordinateurs dans l’enseignement. ALPP fonctionnait sur des systèmes UNIX qui étaient connectés entre eux et à des bases de données textuelles et visuelles grâce à un réseau LAN (Local Area Network). Deux systèmes d’ALAO issus de ce projet méritent d’être mentionnés ici : No recuerdos et À la rencontre de Philippe. No recuerdos met en scène Gonzalo, un scientifique amnésique, qui ne se souvient plus de l’emplacement d’une menace biologique risquant de détruire toute l’Amérique latine. L’utilisateur, animé par l’urgence de la situation, doit interroger Gonzalo afin de l’aider à retrouver la mémoire. En fonction des questions et des réponses, l’aventure prend une tournure différente, tout comme l’apprentissage. Le but est de simuler un dialogue crédible, où le

de perdre son appartement à Paris, à en trouver un nouveau. Des situations inspirées de la vie réelle (chercher un appartement) sont documentées par des matériaux réels (petites annonces d’appartements). En outre, l’utilisateur est amené à utiliser des téléphones et des fax à l’écran et doit faire attention à des indices. Il est incité à s’investir dans cette quête. Ces deux systèmes d’ALAO appartiennent à la famille des constructivistes.

2.4. Les années 1990 et l’ALAO de nos jours

Le début des années nonante est marqué par la naissance du World Wild Web et par le multimédia. Les ordinateurs sont à présent connectés sur le réseau Internet et prennent en charge des contenus textuels, audio et vidéo. Il va sans dire que l’ALAO mettra à profit ces nouvelles technologies.

Un programme populaire à cette époque est Who is Oscar Lake ?, un programme interactif disponible pour l’apprentissage de l’allemand, de l’anglais, de l’espagnol, du français et de l’italien. L’utilisateur est plongé au cœur d’une enquête et doit explorer les objets et les situations pour résoudre le mystère. Le site Internet3 du produit décrit d’ailleurs le programme de la manière suivante :

Experts agree that language immersion is the most effective way to learn a second language. With Who is Oscar Lake ? you learn by hearing, seeing and doing. And because you interact directly with all the characters you meet, you control the pace of the story, the speed of the learning and even the outcome of the game.4

L’approche est donc volontairement constructiviste et place l’apprenant au centre de la méthode d’apprentissage.

Grâce à Internet, les contacts entre des personnes de langues et de cultures différentes sont facilités. Les systèmes d’ALAO ont également su profiter de ce nouveau moyen d’accéder aux connaissances de locuteurs natifs. Le site Internet

3 Disponible à l’adresse http://whoisoscarlake.com/oscar/oscar.html [site consulté le 10 juin 2013]

4 « Les spécialistes s’accordent pour dire que l’immersion est la manière la plus efficace d’apprendre une langue étrangère. Grâce à Who is Oscar Lake ?, vous apprenez en écoutant, en observant et en accomplissant des tâches. En interagissant directement avec tous les personnages que vous rencontrez, vous contrôlez le rythme de l’aventure, la vitesse de l’apprentissage, et même l’issue du jeu. » (notre traduction)

gratuit Interpals5, par exemple, a été développé en 1998 dans le but de mettre en relation des individus désireux d’apprendre une langue étrangère en entretenant une correspondance, par courrier postal ou électronique ou par messagerie instantanée, avec une personne de langue maternelle. Au départ un simple forum, le site est aujourd’hui un véritable réseau social qui rassemble des utilisateurs du monde entier.

De nos jours, il existe de nombreuses technologies de traitement automatique des langues (TAL), toujours plus développées, qui ouvrent de nouvelles perspectives pour les systèmes d’ALAO. L’objectif du TAL est de construire des modèles informatiques des langues qui permettent d’analyser et de générer celles-ci. Parmi les outils existants, figurent, entre autres, les correcteurs orthographiques et grammaticaux, les étiqueteurs, la synthèse vocale, les systèmes de reconnaissance de la parole et la traduction automatique (L’Haire, 2011).

Bien que la technologie nécessaire existe, il reste complexe de développer des systèmes d’ALAO qui soient de véritables partenaires de conversation, car la quantité de renseignements contextuels nécessaire à l’établissement d’un dialogue est difficilement gérable, même pour des domaines limités (Rayner, 2010). Des modèles dits à questions fermées, c’est-à-dire où l’utilisateur choisit parmi une liste de réponses prédéfinies ont d’abord été imaginés. Cette méthode n’est toutefois pas idéale, puisque l’apprenant est limité dans ses réponses. D’autres approches ont alors été explorées, afin de développer des logiciels permettant d’améliorer l’aisance à s’exprimer et étant moins complexes à mettre en place.

C’est ainsi qu’a émergé l’idée du jeu de traduction de Wang et Seneff que nous présentons dans le chapitre suivant.

2.5. Jeu de traduction de Wang et Seneff

Le jeu de traduction de Wang et Seneff (Wang et Seneff, 2007) a pour but l’apprentissage du chinois par la traduction de phrases appartenant au domaine de la réservation de vols. Le logiciel est accessible en ligne par le biais d’un navigateur Web. La figure 2.3 montre l’interface utilisateur du logiciel.

Figure 2.3 : Interface utilisateur du jeu de traduction de Wang et Seneff

Comme illustré ci-dessus, le principe est simple : le logiciel fournit à l’apprenant une phrase en anglais que ce dernier traduit en chinois et saisit dans le champ prévu à cet effet ou prononce dans un micro après avoir appuyé sur le bouton

« Listen ». Les phrases qui seront proposées à l’utilisateur au cours de la session sont répertoriées en bas de l’écran, dans la section « Your Task List ». Elles sont choisies au hasard parmi plus de 1 000 modèles et sont réparties en divers niveaux de difficulté selon leur longueur et leur complexité linguistique. Un exemple du déroulement d’une session d’entraînement est détaillé dans la figure 2.4. Il est intéressant de constater que si l’élève se trompe, par exemple, dans une date, il peut uniquement répéter la partie erronée. De plus, une fonction d’aide, qui affiche un exemple de traduction, est disponible. À la fin de cette série d’exercices, le score de l’utilisateur est affiché et, s’il souhaite démarrer une nouvelle session, ses résultats sont pris en compte pour définir le niveau de difficulté des prochaines phrases à traduire.

Figure 2.4 : Interactions entre le système et l’utilisateur

Intéressons-nous à présent au fonctionnement technique de ce jeu de traduction.

Deux outils principaux permettent de déterminer si la phrase chinoise prononcée par l’utilisateur est correctement traduite et formulée : un système de reconnaissance vocale et un système de traduction automatique. D’abord, la production orale de l’apprenant est traitée par le mécanisme de reconnaissance vocale. Ensuite, la phrase en chinois ainsi obtenue est comparée au moyen d’une interlangue (cf. chapitre 3.1. À propos de CALL-SLT) à la traduction chinoise de la phrase anglaise ayant servi d’instruction de départ. Si les deux versions chinoises sont identiques au niveau de l’interlangue, la phrase produite par l’utilisateur est considérée comme correcte. Si les phrases diffèrent légèrement, le logiciel demande à l’élève de reformuler la partie erronée. Si elles sont considérées comme trop différentes, l’utilisateur est invité à recommencer.

Ce système a fait l’objet de tests et les participants à l’étude ont tous émis un avis positif envers le logiciel.

2.6. Conclusion

Dans ce chapitre, nous avons survolé les grandes étapes du développement de l’apprentissage assisté par ordinateur. Nous avons pu constater que l’ALAO était au

programmes plus intelligents et exploitant pleinement les nouvelles possibilités offertes. Nous nous sommes ensuite penché sur le jeu de traduction mis au point par Wang et Seneff, le grand frère de CALL-SLT. Le chapitre suivant entre dans le vif du sujet et s’intéresse au principe et au fonctionnement de CALL-SLT.