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Origine de la polémique Histoire/littérature :

1.5-Rapport entre Histoire et littérature :

1.5.1. Origine de la polémique Histoire/littérature :

L’auteur avance que la littérature est considérée par certains (Louis Chevallier par exemple) comme source d’anecdotes et de vérification pour l’Histoire de ce qu’elle

27Daspre André, le roman historique et l’histoire, Revue des sciences humaines, mars –juin 1975, p.238.

sait déjà. Cela dit, une deuxième hypothèse admet que la littérature précède l’Histoire en étant la première à saisir certains aspects du réel encore insaisissables pour l’Histoire.

En effet, Barberis soutient que la littérature n’a pas de préoccupations pédagogiques édifiantes, mais des préoccupations de dire, d’explorer le réel tel qu’il est. En conséquence, elle devient solidaire de ce qui est en train de se faire et de changer, dans les structures profondes. Elle se trouve donc présente là où l’Histoire ne l’est pas encore. L’exemple adéquat ici est celui de Walter Scott en Angleterre ayant devancé les historiens par des écrits à dominante historique et reconnus comme tels par Augustin Thierry. Ou bien en France celui de Balzac, approuvé par Mazauric et Paul Bois. Car le problème avec les historiens c’est qu’ils sont « empêtrés dans leurs

explications et qu’ils n’ont pas à disserter.»29

Selon Barberis, la cause de cet état de choses, de ce malentendu historiens/littéraires est incontestablement le rapport entre le discours sur la littérature et le discours sur l’Histoire. Car il y avait d’un côté la littérature qui se considérait comme discours gustatif, esthétique, ornemental, le « bien parler », le supplément d’âme, etc., tandis que de l’autre il y avait l’Histoire qui se forge avec le plus grand sérieux sa propre scientificité. Parallèlement à cela, une littérature qui impliquait une

29Pierre Barberis, Le prince et le marchand. Paris. Ed. Fayard. Coll. La Force Des Idées. Date de parution : 1980.P.77

critique rigoureuse de son propre horizon idéologique n’avait que faire d’une histoire messianisante et finalisante, instrument de l’ordre établi. Ou d’une Histoire objectiviste peu sensible à l’idéologique, aux mentalités, au flux secret de

l’incontrôlable et de l’incontrôlé.30

Toutefois, l’avènement du courant marxiste, estime Barberis, a largement contribué à dissiper cette mésentente : l’Histoire nouvelle travaillée par le marxisme est devenue largement critique de ses propres fondements. En même temps et toujours dans la mouvance du marxisme, la littérature a entrepris un démontage absolument amoral de ses processus de prise de conscience et de ses structures d’expression, elle n’évoque plus les « belles lettres », l’art de la citation, le laïus suprême de l’honnête homme ; non plus l’académisme, l’humanisme, le goût et l’érudition pour elle-même. Aujourd’hui, la littérature se voue à la lecture des messages textuels, « au décryptage des textes littéraires »

L’origine de cette polémique est liée, selon Barberis, à l’idéologie dominante qui, de tout temps, a relégué les créations humaines au deuxième rang, c’est-à-dire par rapport aux textes sacrés considérés comme plus logiques et dépourvus de toute subjectivité humaine. Ce problème n’est pas nouveau et on le rencontre déjà à la fin du XVIème jusqu’au XVIIIème siècle lorsque l’ordre ecclésiastique et féodal percevait comme dangereuse toute recherche qui ébranlait les définitions reçues de l’ordre régnant : Galilée, Kepler, la méthode inductive, l’exégèse scientifique, la chronologie

universelle, etc. Et ce, après la mise en suspicion systématique du savoir ainsi que l’acceptation complice de sa destruction.

L’auteur estime donc nécessaire « de reconquérir à l’HISTOIRE, d’immenses masses

à qui l’on a si habilement appris et fait croire qu’elles pourraient s’en passer »31, et ce par le texte littéraire dont les rapports sont extrêmement étroits avec l’historicité.

Au XIXe siècle par exemple, les Français de plus en plus nombreux à accéder à la lecture par le biais des journaux et des cabinets de lecture apprennent leur Histoire chez les romanciers qui la font revivre. Ils font ainsi la connaissance de Richelieu et Louis XIII dans Les Trois mousquetaires (1844), Mazarin et Louis XIV dans Vingt

ans après (1845), La Révolution française dans Le Chevalier de Maison Rouge (1846)

et La Restauration dans Le Comte de Monte-Cristo (1845)… « Car à tous les

truquages toutes les illusions, le texte résiste et subsiste : le texte dans lequel s’est déposée la pratique des hommes, leurs réactions au réel qu’ils n’avaient pas choisi et dans lequel ils doivent vivre. »32

Pour Barberis, le problème se posait particulièrement au niveau pédagogique, où il était hors de question de servir le texte comme étant réalité ou introducteur à la réalité. Ce qu’on décide d’ignorer dans le texte littéraire, c’est toujours ce qu’on désire ignorer dans le réel, dans la vie :

31 Barberis Pierre. Op. Cit., p. 84

« La politique, l’HISTOIRE, le concret… néanmoins on peut permettre la présence du « cœur humain », des sentiments, des idées, pourvu que le tout soit coupé du réel, dans un univers sans violence et sans violations. »33

Cette littérature épurée, soutient Barberis, reste cependant amorale, immorale même lorsqu’elle essaye de faire croire que son projet est moral, édifiant parce qu’elle est d’abord expression sans perspective de responsabilité, et non pas instruction donnée par un écrivain supposé au-dessus des contingences :

« Nul n’a jamais prétendu que le véritable écrivain n’était d’aucun temps ni d’aucun pays, même si l’on a pu prétendre et prétendre que le véritable historien de la littérature, lui comme son confrère, l’était, pouvait l’être, devait l’être. C’est que l’historien de la littérature reprend la littérature, essaye de l’intégrer à la démanche proprement historique, toujours profondément conditionnée par l’être de classe, mais surtout par la position de classe choisie et assumée. L’écrivain, lui ‘’travaille’’ autrement, parce que l’écriture littéraire est un moyen de régler ses problèmes avec l’être de classe, de dire la différence, la dissidence secrète, la faille avec les origines, alors que l’écriture historique se veut intégratrice, et donc, souvent, TRICHE »34

Ainsi la pratique historique triche parce qu’elle adhère à une classe : censures et montages s’y mélangent dans une entreprise intégratrice et réorganisatrice : l’exemple des quatrains de Khayyam que l’historien présente littéraire, n’ont été reconnus comme tels que bien plus tard par les hommes de lettres. A un moment donné de

33 Ibid. Le prince et le marchand. p.86 34Barberis Pierre. Op.cit. p.90

l’histoire, quand il est fait référence à Khayyam, c’est surtout par la citation de vers mettant en avant son amour pour le vin, les femmes et son insolence envers le créateur :

« Tu viens de briser ma cruche de vin, Seigneur.

Tu m’as barré la route du plaisir, Seigneur. Sur le sol tu as répandu mon vin grenat. Dieu me pardonne serait-Tu ivre, Seigneur ?35

Barberis considère cette Histoire comme un « discours d’adultes à des mineurs » elle tire un trait, parle de réalisation, d’aboutissement final.

« Elle prétend que jusqu’à « nous » on était dans l’instable et l’incomplet, et que depuis « nous » on est entré dans la logique et dans l’organique. Conclusion : il faut « nous » respecter et « nous » obéir »36.

C’est une tendance à vouloir tout contrôler, à affecter non seulement la lecture de l’Histoire, mais également son écriture. Cette dernière fut longtemps associée à la proposition d’une morale, d’une règle, d’une éthique. Ayant une fonction pédagogique et civique, l’Histoire s’appliquait à fournir des exemples, des leçons et des lignes de conduite pour toute personne vouée à vivre de manière politiquement responsable. Pour relever de l’écriture et de la littérature, Barberis estime que l’Histoire doit renoncer à être construction intellectuelle, efforts en vue d’un ordre :

35 Ibid. Samarcande.P.20. 36Barberis Pierre. Op.cit. p.87

« Il faudrait que l’Histoire ‘’…’’ laisse parler au lieu de faire parler »37 Le parfait exemple de cela est celui de Chateaubriand dans ses écrits historiques ou celui de Michelet dans ses écrits para historiques telle La sorcière. Ce qui est important, ce qui mérite réellement l’intérêt c’est :

« Le non montage, la non recherche d’un ordre qui assure et qui rassure, qui conforte

et qui réconforte »38

Le dire vrai, non le dire arrangé, c’est ce que fait la littérature en refusant de marcher à la constitution d’un ordre (qu’il soit ouvertement politique ou simplement idéologique) mais plutôt à l’effraction, à la transgression, à la libération :39 « Elle ne

marche pas à la finalité, elle marche à la causalité ». Elle ne propose pas

d’aboutissement lumineux mais voit et fait voir, repère les origines et donne à lire les résultats.

Une littérature qui, selon Barberis, définalise ce que l’Histoire, pour des raisons politiques et méthodologiques, surfinalise. Et c’est pour cela que la littérature parait souvent réactionnaire aux historiens : c’est parce qu’elle « met à mal leurs chaines de

causes et dans tous les sens du terme, leurs lumières… »40

Pour Barberis, le littéraire ou l’écrivain de la réalité n’accuse jamais personnellement, son texte le fait pour lui :

37Barberis Pierre. Op.cit. P 91 38Barberis Pierre. Op.cit. 91 39Barberis Pierre. Op.cit. P 91 40 Barberis Pierre. Op.cit. P.91.

« L’effet du texte littéraire est de nous amener au bord d’une ouverture nouvelle, d’une interrogation nouvelle, qu’ailleurs on ignore ou dont on se méfie »41.

Tandis que l’historien montre du doigt et impute constamment, de nous guider à travers balises et bannières, pour nous conduire enfin à une certaine clôture.

En fait le maître mot de la littérature, c’est MAITENANT, et l’une de ses figures maitresses est le héros typique, briseur d’annonciations, destructeur de sens. Alors que le maître mot de l’Histoire, c’est DEJA, quant à ses figures maitresses elles sont souvent représentées par les annonciateurs et les prophètes qui inscrivent le sens à l’avance. « L’Histoire écrit un déjà existé, la littérature écrit un nouvel existant »42. L’auteur du Prince et le marchand nous fait savoir enfin que l’Histoire pratiquée par la littérature (nécessaire pour qui entend connaitre et comprendre l’HISTOIRE), devrait être perçue comme Histoire longue du fait qu’elle est Histoire des structurations, des mises en place, des installations, des durées transpolitiques, l’Histoire de ce qui reste, non de ce qui se fait ou ce qui se veut. Elle est rappel constant de ce qui résiste et ne change pas. L’exemple est donné lorsque Barberis Rappelle que la littérature dénonce l’échec des révolutions du XIXème siècle à apporter les changements car elle était déterminée par d’autres facteurs que la révolution n’a pas touchés : la subordination de l’enfant au père, de la femme à l’homme et du manuel à l’intellectuel.

Ainsi et toujours selon lui, la littérature et le travail sur la littérature ne doivent être les auxiliaires d’aucune idéologie ni d’aucune personne.

41. Barberis Pierre. Op.cit. P92. 42 Barberis Pierre Op.cit. P.93.

« Elles ont à travailler à leurs propre idéologie, à leurs propre efficacité et pertinence idéologique, c’est pourquoi la littérature et le travail sur la littérature doivent être libres »43