• Aucun résultat trouvé

L’Encyclopédie est une synthèse d’éléments lexicaux, de savoirs historiques et critiques présentés dans une édition richement illustrée. Grâce à cette composition, l’ouvrage constitue un nouveau modèle de dictionnaire encyclopédique tout en étant le fruit de ceux qui l’ont précédé. Le but de ce chapitre est de montrer l’originalité de l’œuvre en prêtant surtout attention à l’invention d’un projet concernant les arts et métiers, cette dernière constituant un des principaux facteurs du succès et de la fortune de l’Encyclopédie. À cette fin, nous analyserons trois volets de l’œuvre, soit : sa conception, les moyens choisis pour sa réalisation et la méthodologie à laquelle ont eu recours ses éditeurs pour documenter les arts et métiers mécaniques.

Le modèle développé par Thomas Adams et Nicolas Barker nous aidera à structurer notre travail de manière à prendre en compte chaque étape du cycle de vie de l’Encyclopédie : sa publication, sa mise en œuvre, sa diffusion, sa réception et sa survie. La conception, les moyens utilisés et la méthodologie, tels que nous voulons les présenter dans ce chapitre, sont des éléments de la publication et de la mise en œuvre du cycle de vie du livre-objet. La décision de publier, la planification et la présentation du projet constituent les premiers pas de la publication et fournissent les raisons pour lesquelles une forme en particulier du livre-objet a été privilégiée. Les éléments concernant les moyens prévus pour réaliser l’ouvrage ainsi que la méthodologie appartiennent à l’étape de la « mise en œuvre » du cycle. Le tableau pliant du système figuré et les illustrations appartiennent aussi à cette étape et sont considérés comme des éléments essentiels dans le

processus de communication et comme facteurs qui contribuent à l’accroissement de l’intérêt commercial de l’œuvre97.

Nous avons ramené le corpus pour cette partie à quelques textes majeurs des éditeurs dans lesquels se révèlent la stratégie éditoriale et le programme consacré aux arts et métiers. Il nous semblait important de revoir ces textes afin de mieux saisir l’originalité de l’œuvre. Nous nous appuierons sur une analyse du paratexte pour cerner les stratégies qui ont été adoptées par les éditeurs afin de se démarquer des ouvrages encyclopédiques déjà publiés. Nous nous attarderons ensuite à l’article « Encyclopédie » de Diderot, qui met au jour les règles de conception d’une encyclopédie ainsi que celles mises en pratique par les éditeurs de l’ouvrage.

Avant de se lancer dans la description des arts et métiers, et en face des difficultés qu’il lui fallait surmonter, Diderot a dû réfléchir sur les travaux de ses prédécesseurs, et en faire la critique. Ces réflexions ont alimenté en partie le Prospectus de l’Encyclopédie publié en octobre 1750 et l’article « Encyclopédie » paru dans le volume V, en 175598.

L’article « Encyclopédie » présente un commentaire réaliste comparé à l’ambitieux projet annoncé dans le Prospectus, repris presque en entier dans le « Discours préliminaire ». L’article « Encyclopédie » est formulé au moment où les éditeurs doivent résoudre les problèmes de rassemblement et de distribution des textes, du travail éditorial et de préparation à l’impression des copies finies. Par conséquent, cet article est représentatif de l’ampleur de la tâche entreprise. Par ailleurs, les mérites de l’Encyclopédie n’y sont plus vantés dans un but commercial, ils sont abordés au prisme du travail d’édition réel. Ainsi, la traduction de Chambers, distribuée aux auteurs en

97 T. Adams and N. Barker, « New Model for the Study of the Book », dans A Potencie of Life : Books in

Society, p. 19.

parties séparées qui servaient de point de départ à leur rédaction, devient un amas de « lambeaux décousus, […] incomplets, si mal composés, si mal traduits, si pleins d’omissions, d’erreurs, & d’inexactitudes, si contraires aux idées de nos collegues, que la plûpart les ont rejettés99 » ; le tout fut pour les éditeurs une perte de temps considérable.

Tant le style que le propos de l’article « Encyclopédie » sont, du reste, révélateurs de l’ambition que nourrissaient les éditeurs.

Nous ajouterons au corpus l’article « Art », en partie considéré comme le « Projet d’un traité général des Arts méchaniques100 », rédigé et publié séparément avant la

parution du premier volume de l’Encyclopédie en 1751 par Diderot. Celui-ci témoigne de l’importance qu’attachait Diderot à ce projet. Ces textes abordent directement la question du rôle de l’éditeur d’un ouvrage encyclopédique, et de ce fait mettent en lumière les types de problèmes généraux inhérents à ce genre d’entreprise auxquels seront confrontés les éditeurs des éditions ultérieures. Ils mettent aussi en évidence les divergences d’opinion entre Diderot et d’Alembert. En outre, tous ces textes offrent les éléments qui doivent composer un projet pour un traité des arts mécaniques, un projet nouveau destiné non à un corps de savants des académies, mais d’après Diderot, « destiné à l’instruction générale des hommes101 ». En dernier lieu, ce travail nous permettra de vérifier, dans le prochain chapitre, si les ambitions innovatrices des éditeurs ont pu se réaliser de manière concrète, lorsque nous aborderons les exemples de contributions aux arts et métiers du livre.

99 D. Diderot, Article « Encyclopédie », Encyclopédie, vol. 5, p. 645. 100 Id., Article « Art », Encyclopédie, vol. 1, p. 714.

1. La conception 1.1 Le but

« Le but d’une encyclopédie », déclare Diderot dans son article « Encyclopédie », « est de rassembler les connaissances éparses sur la surface de la Terre, exposer le système général, [le] transmettre aux hommes qui viendront après nous […]102 ». L’objectif qu’il s’assigne de rassembler toutes les connaissances vise à dépasser par le contenu les ouvrages qui ont précédé l’Encyclopédie. Diderot utilise cet aspect comme argument commercial, notamment dans le paratexte, lorsqu’il écrit : « Jusqu’ici personne n’avoit conçû un Ouvrage aussi grand103 ». Cette ambition correspond à la volonté de tout revoir, dans la perspective tracée par Bayle : « Il faut tout examiner, tout remuer sans exception et sans ménagement : oser voir » dans « un siècle philosophe 104».

L’Encyclopédie est conçue dans un souci d’actualité. Le temps, de toute évidence, est un facteur crucial lorsqu’on aborde les arts, et les arts mécaniques en particulier : « Quelle diversité ne s’introduit pas tous les jours dans la langue des Arts, dans les machines et dans les manœuvres105 ? » Diderot prit d’ailleurs cette question très au sérieux, car elle fut l’un des principaux problèmes rencontrés par l’Académie des sciences, « essoufflée à suivre le développement relativement rapide de la production106 ». De plus, l’Encyclopédie est conçue dans le souci d’apporter des « idées et inventions nouvelles et ou peu connues », apportant « un air original »107. Vecteur

102 D. Diderot, Article « Encyclopédie », Encyclopédie, vol. 5, p. 635.

103 Id., Prospectus, repris par D’Alembert, « Discours préliminaire », Encyclopédie, vol. 1, p. xxxiv. 104 D. Diderot, Article « Encyclopédie », Encyclopédie, vol. 5, p. 644.

105 Ibid., p. 635.

106 J. Proust, Diderot et l’Encyclopédie, p. 188.

d’actualité et de nouveauté, l’ouvrage est conçu « sur la raison de l’Utilité108 », et non sur les valeurs du plaisir ou du loisir. « Ce qui prime c’est l’usage du savoir, sa mise à disposition pour le bonheur et la vertu de l’homme109. »

Un autre caractère particulier de l’ouvrage tient dans le concept d’« une société de gens de lettres et d’artistes, épars, occupés chacun de sa partie et liés seulement par l’intérêt général du genre humain, et par un sentiment de bienveillance réciproque110 ». Selon Diderot cet esprit est aux antipodes du travail réalisé par les académies ou par un gouvernement, limité aux spécialisations ou aux ambitions de gloire personnelle d’un monarque. « Les forces productives se sont développées à un tel point que les lumières des seuls académiciens ne suffisent plus111 ». Une équipe élargie, exempte de responsabilités académiques, est en outre la seule façon de compléter le projet dans les délais prévus. Nul besoin, par exemple, de prononcer des communications dans les « séances académiques112 », une remarque tirée de l’article « Encyclopédie », qui attaquait l’Académie des sciences et son projet.

1.2 La philosophie de la classification des connaissances

Les positions philosophiques des concepteurs de l’Encyclopédie transparaissent largement dans leur ouvrage et elles ont été abondamment traitées, sous forme d’essais critiques, par les historiens les plus éminents. Nous n’aborderons donc pas l’ensemble de la réflexion philosophique exposée dans le « Discours préliminaire », mais nous nous

108 D. Diderot, Article « Encyclopédie », Encyclopédie, vol. 5, p. 636.p. 636.

109 F. Vengeon, « La ‘grammaire des arts’ et la production en manufacture, le paradigme technique dans

l’Encyclopédie », dans Les encyclopédies. Construction et circulation du savoir de l’Antiquité à Wikipédia, p.191.

110 D. Diderot, Article « Encyclopédie », Encyclopédie, vol. 5, p. 636. 111 J. Proust, Diderot et L’Encyclopédie, p. 190.

limiterons à celle sur laquelle repose l’ordonnancement des connaissances pour montrer la place qu’occupent les arts et métiers dans le système encyclopédique.

Pour l’essentiel, Diderot résume sa philosophie en formulant cette série de questions : « tout ce que nous savons ne découle-t-il pas de l’usage de nos sens et de celui de notre raison ? N’est-il pas ou naturel ou révélé ? Ne sont-ce pas ou des mots, ou des choses, ou des faits113 ? » Dans la tradition empiriste anglo-saxonne, représentée notamment par Bacon, notre connaissance du monde naturel passe par l’usage des facultés humaines. Il s’agit d’un procédé inductif de raisonnement quant à l’interprétation de la nature. Pour Diderot, « il faut partir de l’homme, de ses observations et de ses expériences, et non des notions abstraites et élaborées114 ». Signalons ici le désaccord avec d’Alembert qui adopte une position nettement plus théorique : « Même si d’Alembert reconnaît le rôle que l’observation doit jouer dans la théorie de la connaissance, il est vrai qu’il ne tend à s’intéresser qu’aux éléments des sciences mathématiques ou mathématisables et non expérimentales.115 »

Diderot, qui était alors responsable de la partie arts et métiers, fait valoir son point de vue dans le traitement qu’il lui accorde. Selon lui, les sciences correspondent à la spéculation sur la nature ; tandis que les arts, divisés en deux catégories, arts libéraux et arts mécaniques, représentent la pratique de la nature. Dans le cas des arts libéraux, la main de l’artiste imite la nature puisqu’elle en est l’extension ; alors qu’avec les arts mécaniques, l’artisan et l’ouvrier font usage de la nature. Cette idée est exprimée par Diderot dans l’article « Art », sous la rubrique : « But des arts en général » :

113 D. Diderot, Article « Encyclopédie », Encyclopédie, vol. 5, p. 640.

114 V. Le Ru, « L’aigle à deux têtes de l’Encyclopédie », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie,

p.21.

L'homme n'est que le ministre ou l'interprete de la nature : il n'entend & ne fait qu'autant qu'il a de connoissance, ou expérimentale ou réfléchie, des êtres qui l'environnent. Sa main nue, quelque robuste, infatigable & souple qu'elle soit, ne peut suffire qu'à un petit nombre d'effets : elle n'acheve de grandes choses qu'à l'aide des instrumens & des regles116.

Quant à ce que la nature ne peut expliquer, la raison reste le dernier refuge pour lui donner sens. « L’Encyclopédie se donne pour tâche de rapprocher les connaissances théoriques et les règles techniques; elle doit permettre de combiner les observations, les lois, les règles117 », comme en témoigne cette citation de l’article « Encyclopédie » :

Toute science, tout art a sa métaphysique. Cette partie est toujours abstraite, élevée & difficile […]. Il faut donc s’attacher à donner les raisons des choses, quand il y en a ; à assigner les causes, quand on les connoît […] ; à résoudre les nœuds par une application directe des principes ; à démontrer les vérités; à dévoiler les erreurs ; à discréditer adroitement les préjugés ; à apprendre aux hommes à douter & à attendre ; à dissiper l’ignorance […]118.

Cette citation nous permet par ailleurs de signaler un autre aspect du but poursuivi par Diderot : « dissiper l’ignorance, distinguer le vrai du faux, et discréditer les préjugés ». En ce qui concerne le préjugé en particulier, les éditeurs présentent une réflexion approfondie, à bien des égards innovatrice, sur son origine à l’égard des hommes œuvrant dans les arts mécaniques.

Les Arts méchaniques dépendans d'une opération manuelle, & asservis, […] à une espece de routine, ont été abandonnés à ceux d'entre les hommes que les préjugés ont placés dans la classe la plus inférieure. L'indigence qui a forcé ces hommes à s'appliquer à un pareil travail, plus souvent que le goût & le génie ne les y ont entraînés, est devenue ensuite une raison pour les mépriser, tant elle nuit à tout ce qui l'accompagne119.

116 D. Diderot, Article « Art », Encyclopédie, vol.1, p. 714.

117 F. Vengeon, « La ‘grammaire des arts’ et la production en manufacture », dans Les encyclopédies.

Construction et circulation du savoir de l’Antiquité à Wikipédia, p.189.

118 D. Diderot, Article « Encyclopédie », Encyclopédie, vol. 5, p. 642.

Dans l’article « Art », Diderot justifie cette volonté d’éradiquer toute forme de mépris envers ces hommes en donnant de multiples raisons pour accorder plus d’attention aux arts mécaniques, qui ont favorisé l’apparition de trois inventions révolutionnaires :

Je veux parler de l’Art d’imprimer, de la découverte de la poudre à canon, & de la propriété de l’aiguille aimantée. Quelle révolution ces découvertes n'ont-elles pas occasionnée dans la république des Lettres, dans l'Art militaire, & dans la Marine ? […] ces trois Arts ont presque changé la face de la terre120.

Le mépris voué aux arts mécaniques explique en partie pourquoi les artisans restent dans l’anonymat. En outre, comme la pratique manuelle se perfectionne au fil de longues années, ce processus fait en sorte qu’on en oublie le point de départ. Les deux éditeurs lancent ce défi aux lecteurs : « Ce génie rare dont le nom est enseveli dans l'oubli, n'eût-il pas été bien digne d'être placé à côté du petit nombre d'esprits créateurs, qui nous ont ouvert dans les Sciences des routes nouvelles121 ? » Il est évident qu’ils ont foi dans les artisans, ce qui conduit Diderot à écrire dire dans l’article « Encyclopédie », qu’il voudrait faire de l’Encyclopédie « un livre du peuple122 ».

1.3 L’arbre encyclopédique

La philosophie naturelle qui ordonne les principes qui sont à l’origine de la conception de l’ouvrage, détermine la classification du savoir et se reflète au sein d’un système appelé arbre des connaissances, arbre encyclopédique, arbre généalogique, système figuré, ou encore mappemonde. Le but de ce système consiste à organiser le savoir et à exposer les rapports entre tous les éléments rassemblés pour communiquer la connaissance, et de ce fait « transformer l’encyclopédisme du simple rassemblement de

120 D. Diderot, Article « Art », Encyclopédie, vol. 1, p. 717.

121 J. Le Rond d’Alembert, « Discours préliminaire », Encyclopédie, vol. 1, p. xiii. 122 D. Diderot, Article « Encyclopédie », Encyclopédie, vol. 5, p. 647.

mots dans un ordre alphabétique en une voie de passage d’un principe à l’autre dans un ordre encyclopédique123 ».

L’arbre des connaissances humaines de Diderot et d’Alembert est une révision complète de celui présenté par Chambers. Tous deux se basent sur les idées de Bacon qui fut le premier à envisager de manière globale les divers objets de toutes les sciences naturelles qu’il partagea en différentes branches. Bacon, d’ailleurs, « regardait l'histoire des arts mécaniques comme la branche la plus importante de la vraie philosophie ; il n'avait donc garde d'en mépriser la pratique124.»

Nous utiliserons l’analogie de l’arbre fondée sur la nature et exposée par Diderot dans son article « Encyclopédie » :

L’arbre part de l’objet général comme d’un tronc ; qu’il s’élève d’abord aux grandes branches ou premières divisions ; qu’il passe de ces maîtresses branches à de moindres rameaux […] jusqu’à ce qu’il se soit étendu jusqu’aux termes particuliers qui seront comme les feuilles et la chevelure de l’arbre125.

Pour Diderot, l’homme est au centre de la philosophie : « c’est la présence de l’homme qui rend l’existence des êtres intéressante [...]. Voilà ce qui nous a déterminé à chercher dans les facultés principales de l’homme, la division générale à laquelle nous avons subordonné notre travail126 », c’est-à-dire les facultés de la mémoire, de la raison et de l’imagination. L’entendement, qui chapeaute ces trois facultés, associe ces dernières aux grandes divisions de nos connaissances qui sont l’histoire, la philosophie et les beaux-arts.

123 M. Groult, « L’encyclopédisme dans les mots et les choses : différence entre la Cyclopædia et

l’Encyclopédie», dans, L’encyclopédisme au XVIIIe siècle, p.170 ; voir aussi le « Discours préliminaire », vol. 1, p. xxv-xxvi et la partie « Explication détaillée du système des connaissances humaines », p. xlvii.

124 D. Diderot, Article « Art », Encyclopédie, vol. 1, p. 714. 125Id., Article « Encyclopédie », Encyclopédie, vol. 5, p. 641. 126 Ibid.

Quelle place occupent les arts et métiers dans l’arbre des connaissances? Rattachées à la branche « Histoire », ils se situent hiérarchiquement sur la branche basse qui en dérive, soit celle de l’« Histoire naturelle », qui conduit dans un premier temps aux « Usages de la nature », puis aux « Arts, métiers et manufactures », et enfin au travail particulier qui donne à l’homme les différents produits pour subvenir à ses besoins127. Les arts et métiers se placent donc loin du tronc de l’arbre, selon l’analogie de Diderot. Cependant, comme ils représentent le fruit de la nature, leur localisation est contrebalancée par leur capacité à subvenir aux besoins de l’homme et à constituer la production économique qui fait la richesse et la gloire de la nation.

1.4 La nomenclature

En ce qui a trait à la nomenclature, Diderot croit que « [c]haque travailleur, chaque science, chaque art, chaque article, chaque sujet a sa langue et son style128. » Un tel énoncé se situe de toute évidence dans la lignée de Furetière. Jacques Proust ajoute : « À l’influence de Bacon, il faudrait ajouter celle de Locke, qui n’est pas nommé dans l’article « Art », mais qui a certainement inspiré à Diderot ce qu’il a dit de la langue des arts. Locke avait déjà remarqué que les mots étaient souvent employés par les hommes dans des sens différents, faute de représenter pour tous un objet identique129. » Malgré son respect pour la diversité des styles du langage, dans l’article « Art », Diderot est amené à proposer « un lexique fiable et compréhensible130 » en simplifiant la langue.

Il y a des outils qui ont plusieurs noms différents; d'autres n'ont au contraire que le nom générique, engin, machine, sans aucune addition qui

127 Voir le « Système figuré des connaissances humaines », Encyclopédie, vol. 1, p. liii. 128 D. Diderot, Article « Encyclopédie », Encyclopédie, vol. 5, p. 647.

129 J. Proust, Diderot et l’Encyclopédie, p.197.

130 F. Vengeon, « La ‘grammaire des arts’ et la production en manufacture », dans Les encyclopédies.

les spécifie : quelquefois la moindre petite différence suffit aux Artistes pour abandonner le nom générique et inventer des noms particuliers; d'autres fois, un outil singulier par sa forme et son usage, ou n'a point de nom, ou porte le nom d'un autre outil avec lequel il n'a rien de commun. Il serait à souhaiter qu'on eût plus d'égard à l'analogie des formes et des usages131.

Il s’en fait ainsi le réformateur au bénéfice de l’entendement commun. Par ailleurs, à la lecture de l’article « Dictionnaire », ce type d’intervention était contre les principes d’Alembert et constitue un exemple de leur divergence d’opinions à ce sujet. Par sa réflexion, Diderot « œuvre pour instituer des conventions communes qui constitueront une communauté élargie d’usagers et d’inventeurs et assureront une communication féconde de ce savoir technique132. » Diderot a non seulement contribué de façon importante au développement du vocabulaire technique des arts et métiers, mais il a aussi été l’un des premiers à développer, selon Jacques Proust, une « théorie de l’expression littéraire des techniques133 ».

1.5 Le système des renvois

Même si l’accès aux mots et aux articles se fait par ordre alphabétique, les éditeurs, dans le but d’élaborer une œuvre à caractère encyclopédique, ont développé, un système de renvois qui représente la « partie de l’ordre encyclopédique la plus

Documents relatifs