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Chapitre 1 : I NTRODUCTION

1.5. Facteurs responsables du succès écologique des organismes asexués

1.5.3. Les organismes hybrides

On peut retrouver la reproduction asexuée lorsqu’aucun gamète n’est produit chez un organisme (e.g. scissiparité, bourgeonnement). Dans certains cas, elle peut être le résultat d’un processus dérivé de la reproduction sexuée, c'est-à-dire quand la production de gamètes ne passe pas par le cycle méiotique complet (e.g. gynogenèse, androgenèse). Ce cas de figure s’observe notamment chez des organismes provenant d’une hybridation entre différentes espèces sexuées (Kearney 2003, Bengtsson 2009).

L’hybridation

Une population correspond à une unité reproductive distincte pouvant présenter une diversité génétique qui lui est propre résultant d’adaptations spécifiques à des conditions environnementales locales (Altukhov 1981, Camus & Lima 2002, Waples & Gaggiotti 2006). Une hybridation se définit comme la reproduction entre des individus appartenant à des populations distinctes d’une même espèce ou entre espèces (Stebbins 1959, Barton 2001), faisant suite à diverses conséquences. Une hybridation entraîne notamment la formation d’un génome réunissant au sein d’un même individu des caractéristiques génétiques des deux parents

provenant de populations différentes et donc d’une diversité génétique issue d’adaptations distinctes.

Selon le principe de Hubbs, le phénomène d’hybridation s’observe typiquement chez une espèce en déclin (Hubbs 1955, Grant & Grant 1997). Une hybridation peut être d’origine anthropique lorsque les activités humaines entraînent le changement de répartition de certaines populations, ou naturelle (Allendorf et al. 2001) et peut survenir entre des populations ou des espèces différentes. Cette association de deux génomes plus ou moins divergents peut avoir diverses conséquences.

L’incompatibilité d’hybridation

Certains hybrides se révèlent tout simplement non viables, stériles ou non adaptés à leur environnement (Barton & Hewitt 1985, Frank 1991, Orr et al. 1997, Barton 2001, Burke & Arnold 2001). Cette incompatibilité d’hybridation peut s’expliquer par diverses causes. Le modèle Bateson-Dobzhansky-Muller suggère, par exemple, une incompatibilité génique causée par des interactions épistatiques négatives entre deux loci (Dobzhansky 1936, Müller 1942). Des relations épistatiques entre des gènes présents sur le chromosome sexuel et sur un autosome peuvent également avoir pour conséquence la stérilité ou la non-viabilité des individus dont le sexe est hétérogamétique, suivant ainsi la loi de Haldane (Haldane 1922, Zeng 1996).

En plus de ces mécanismes génétiques, d’autres processus peuvent également être responsables d’une incompatibilité d’hybridation. Par exemple, une hybridation entre la souris de plage (Peromyscus polionotus) et la souris sylvestre (Peromyscus maniculatus) a permis de mettre en évidence l’expression anormale d’un gène à empreinte paternelle chez les hybrides ; ces derniers se retrouvaient, dans la grande majorité des cas, non viables (Vrana et al. 2000). Dans le cas d’une hybridation entre deux espèces de plantes du genre Arabidopsis, c’est au contraire l’expression des gènes à empreinte qui sont normalement réprimés que l’on retrouve (Bushell et al. 2003, Josefsson et al. 2006). O’Neill et al. (1998) ont par ailleurs mis en évidence une hypométhylation de certaines régions du génome et une activation des éléments transposables (les rétrotransposons) chez un hybride de marsupiaux Macropus eugenii × Wallabia bicolor.

La supériorité hybride

Dans certains cas, les hybrides peuvent survivre et présenter des performances égales, voire supérieures à celles des parents dans le même environnement ou même dans de nouveaux habitats (Dowling & Secor 1997, Barton 2001, Rhode & Cruzan 2005). L’augmentation des performances (e.g. croissance, taille, biomasse, résistance à des maladies ou parasites, taux de fécondité) d’un hybride par rapport à celle des populations parentales est décrite comme l’hétérosis ou la vigueur hybride (Shull 1948). Elle peut s’expliquer par divers mécanismes génétiques favorisés par l’état hétérozygote des hybrides de populations naturelles (Hansson & Westerberg 2002, Smith et al. 2012) :

i. La dominance allélique, soit le masquage de l’effet délétère des allèles récessifs apparus chez une des espèces parentales ;

ii. La conservation des différents gènes épistatiques ; les individus hybrides possèdent l’intégrité du génome de chacune des deux espèces parentales à la première génération (F1) ;

iii. La superdominance qui correspond à la supériorité des hétérozygotes comparé aux homozygotes (Bruce 1910, Crow 1948, Lippman & Zamir 2007) ;

iv. La pseudo-superdominance qui se caractérise également par la supériorité des hétérozygotes, mais mettant en jeux deux gènes liés en répulsion (c’est-à-dire un gène favorable à un locus donné lié à un gène défavorable à un autre locus pour un parent, mais l’inverse pour l’autre) (Semel et al. 2006).

De plus, un individu hybride de première génération possède les allèles des deux espèces parentales. Cet état hétérozygote lui confère donc la possibilité d’exprimer l’un ou l’autre des deux allèles, lui permettant ainsi d’avoir un potentiel de variation au niveau phénotypique et donc de pouvoir coloniser les mêmes niches écologiques que les espèces parentales, mais également d’autres habitats (Schultz 1971). À titre d’exemple, une telle répartition des hybrides de moules a été observée sur plus de 180 km de côte dans le sud-ouest de l’Angleterre. Cette répartition des hybrides est bordée à une extrémité par l’une des espèces parentales Mytilus edulis exclusivement, alors qu’à l’autre extrémité, se retrouvait seulement l’autre espèce parentale M. galloprovincialis (Hilbish et al. 2002).

Perpétuation de la génération F1

Le croisement des individus de la génération F1, et des générations suivantes, peut conduire à la baisse des performances de la progéniture : c’est la dépression hybride. Ce croisement peut conduire à de nouveaux réarrangements chromosomiques de par la ségrégation aléatoire des chromosomes lors de la méiose (Fishman & Willis 2001), ce qui a pour conséquence la perte de tous les avantages de la génération F1. Par exemple, les nouveaux réarrangements chromosomiques peuvent conduire à la rupture des interactions épistatiques au sein d’un ensemble de gènes (Lynch 1991, Edmands & Timmerman 2003) ou encore à la perte de l’état hétérozygote à différents loci, impliquant ainsi une baisse au niveau des performances des individus.

Chez les eucaryotes pluricellulaires, la reproduction asexuée est souvent associée aux organismes résultants d’une hybridation interspécifique (Vrijenhoek et al. 1989, Kearney 2003, Bengtsson 2009). La méiose peut ne pas s’effectuer correctement chez les hybrides, notamment à cause de la difficulté d’appariement des chromosomes provenant de deux génomes divergents et de la perturbation des signaux lors de la formation des gamètes. Une reproduction asexuée représenterait ainsi un atout chez les individus hybrides, car cela équivaudrait à une perpétuation de la génération F1 et de tous les avantages qui y sont associés. Ce mode de reproduction serait ainsi un moyen pour les organismes clonaux de constamment profiter de la vigueur hybride et des avantages associés à l’état hétérozygote de leur génome (Schultz 1971).

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