• Aucun résultat trouvé

Le terroir oasien est « officiellement » un lieu de production agricole. Des espa- ces, des plantes, des outils entrent dans cette production. Reste à voir qui pratique ces espaces, qui plante, qui manie l’outil. Dans la palmeraie comme partout ailleurs, le tra- vail et la force de travail (la main-d’œuvre) sont toujours organisés.

Le terme de main-d’œuvre renvoie dans nos imaginaires aux travailleurs de Ford. Les ouvriers de toutes origines (Tchèques, Polonais, Italiens, Irlandais) qui travaillaient au montage de la Ford T. devaient peut-être se plier à une discipline imposée par la structure de production, machines, horaires, espaces, cadences, administrations, à ce monstre froid avec qui l’on ne tergiverse pas. En fait, des hommes (les concepteurs) se cachaient derrière les machines si inhumaines. Dans les oasis, l’effort pour déconstruire le monstre autoritaire est plus facile : il n’y a pas de pointeuse à l’entrée du jardin, pas de conseil d’administration à qui rendre des comptes, pas de machines qui ait à tourner vingt-quatre heures sur vingt-quatre. L’usine « palmeraie » n’uniformise pas ses travail- leurs en autant de paires de bras d’OS. La structure semble plus ouverte. La palmeraie demande du travail, mais l’organisation de ce travail n’est pas la pure adéquation au travail exigé par l’oasis pour la simple raison que cette « pure adéquation » n’existe pas. Autrement dit, l’organisation sociale du travail dans la palmeraie n’est pas déterminée (strictement imposée) par la structure de production (l’usine, ici « naturelle »), même si les irrigations ou les palmiers ont leurs rythmes. Les meilleures preuves sont les chan- gements de cette organisation, qui sont doubles : dans l’espace (différences entre oasis) et dans le temps.

Les travailleurs de la palmeraie

Les oasis ont de tout temps connu, subi ou initié des transformations. Ce sont des

révolutions permanentes. Le XXe siècle a été l’occasion d’un des importants change-

ments qu’a connu le système oasien. Tandis qu’il était certainement de règle que le pro- priétaire ne travaille jamais lui-même le sol, sa terre, le nombre d’exceptions aujourd’hui, que nous nommons « mode de faire-valoir direct », nous conduit à penser que se met en place un nouveau modus vivendi du travail agricole dans la région du Jérid.

Le khammesa

Le statut de propriétaire suffisait pour recevoir des revenus importants. Selon un schéma classique, une minorité de propriétaires (malek) utilise la force de travail pro- ductive d’une majorité. Les plus grandes propriétés du Jérid, une forte part de la surface totale des jardins d’oasis, sont aux mains de quelques familles de la shorfa. Beaucoup de propriétaires sont absentéistes, leur statut leur permet de résider aussi hors de la ré- gion (sur le littoral ou à la capitale, Tunis). Dans ce cas, c’est parfois un gérant d’exploitation qui s’occupe des affaires de la palmeraie, le wagaf. Le système reposait sur un métayage assez défavorable au métayer, système encore largement représenté de nos jours. Le khammes (qui peut se traduire en français par quintenier) est le métayer qui perçoit un cinquième de la production, le malek quatre cinquième. Ce dernier prend à sa charge eau, semences, fumier… Les autres fruits et les légumes à écouler sur le marché local sont souvent laissés au seul khammes, sauf autoconsommation du malek.

Le métayage (muzara’a), et plus particulièrement le métayage au cinquième (khammesa), semblent avoir existé à toutes les époques, au moins depuis l’installation

des sociétés arabo-musulmanes (XIe-XVe siècle)1. On était, et on est au Jérid, khammes

de père en fils. L’origine étymologique du terme khammes est khamsa, « cinq » en

arabe (ou khumos, « un cinquième »). Ce terme est utilisé aussi dans le tell tunisien2,

plus au nord que les régions oasiennes. Le mot khammes est escamoté, surtout à Tozeur, et est remplacé par « sherik » (plur. shorka, « associé »). Au-delà de l’exagération hy- pocrite du terme et l’aspect parfois péjoratif de celui de khammes, l’idée d’association se fait de plus en plus adéquate ; la pénurie relative de main-d’œuvre, et la négociation entre propriétaires et métayers en évolution croissante, amènent à un rapport de force entre les deux parties peut-être plus équilibré aujourd’hui, sinon à une position plus favorable qu’elle n’a pu l’être dans le passé, du travailleur (khaddem, plur. khaddema de travail khidma) vis-à-vis de son employeur. Le système tenait, car la force de travail ne manquait pas et les métayers tenaient à conserver leur statut sur l’exploitation. Il existait un emploi inférieur encore, celui de gayel, plutôt réservé aux enfants, qui étaient des aides des khammesa. Ces aides existent encore parfois, des enfants quelquefois non scolarisés, mais le statut à proprement parler a disparu. Aujourd’hui, la main-d’œuvre est en passe de devenir un facteur limitant. La relève des générations ne fonctionne guère, les enfants qui ont suivi un tant soit peu d’études refusent tout travail en rapport avec la terre. Les khammesa ont la possibilité aujourd’hui de monter les enchères sur les termes du contrat (oral) qui les liera à leur employeur, et cela passe parfois par le men- songe (mais personne n’est dupe) : « non, car à ce prix-là, un autre malek est passé et j’ai refusé. » L’exigence courante à présent est l’octroi « d’encouragements », c’est à dire d’une somme en numéraire dont le montant peut-être variable et sa distribution

irrégulière (entre 50 et 100 DT/mois est ce qui souvent accordé).

La monétarisation de la vie oasienne en particulier a joué dans la création de nou- veaux besoins et la nécessité de disposer d’argent (scolarisation des enfants, produits

1 p. 195 in HOURANI A. - Histoire des peuples arabes, Paris, Éd. du Seuil, 1993.

2 p. 24 in KRAIEM M. - La Tunisie précoloniale, Tome II, Économie - société, Tunis, SID,1973.

« [Dans le tell tunisien] pour les terres de culture, l’unité de mesure était la méchia qui équivalait à 10 ou 12 ha suivant les régions. Pour chaque méchia, on engageait un métayer au cinquième (khammes) ou au quart (rabba), à qui l’on fournissait deux bœufs de labour et les semences. »

ménagers…). « Cela a changé avec les Français, avec le Progrès, l’arrivée de la ta-

maddun [civilisation urbaine, de medina la ville], l’argent a pris beaucoup

d’importance. » (un vieux R’kerka de Tozeur, le 6 décembre 1995) Il est difficile de subvenir aux besoins d’une famille par le seul revenu en nature des produits de la terre en autoconsommation. Un cultivateur-métayer nécessite aujourd’hui d’une surface de jardin plus grande et/ou d’une forte proportion en palmiers dattiers de cultivar deglet

nur (ou degla), dont la valeur marchande est, de loin, la plus élevée1. De fait, les pro-

priétaires de petites parcelles (moins d’un demi-hectare) sont conduits à les mettre eux- mêmes en valeur, c’est-à-dire un mode de faire-valoir direct, ou à les abandonner faute de trouver un khammes intéressé. Les jardiniers pensent qu’il n’y avait pas, dans le pas- sé, autant de propriétaires qui travaillaient, mais leur explication ne prend pas en compte la monétarisation ou les changements (ou le Changement, cf. note de bas de page nº 1, p. 253) de la société : « les récoltes étaient meilleures, [il était] donc plus

facile de payer le khammes ». Et est alors évoqué une « baisse des récoltes à tout ni- veau à cause de l’eau » (des jardiniers de Nefleyet, le 29 mai 1995). L’explication se

retranche encore derrière l’idée unanime de l’eau.

Dans l’évolution des rapports entre métayer et propriétaire, une chose semble pour l’instant intangible. On concède au khammes les cultures basses, fréquemment les fruits, parfois même quelques naissances de caprins nourris dans le jardin, on lui offre des encouragements en argent, mais le ratio du cinquième de la récolte de dattes au travailleur est toujours respecté et ne semble jamais remis en cause. Toutefois, cette stabilité est vraie aujourd’hui, mais il semble qu’au début du siècle, ce ratio était plus défavorable encore puisqu’on fait mention d’un huitième, cette forme de métayage por-

tait néanmoins le nom de khammesa. D’après S. BOU ALI2, le statut des khammesa était

avant 1959 : « 1 régime de degla sur 10 arbres degla, 1/8 des récoltes de dattes rouges (alligh, ftimi ou assimilés), 1/5 des récoltes de dattes communes (bisr-hèlou, etc.), 1/4 des récoltes des arbres fruitiers, 1/3 des cultures maraîchères et fourragères ». Après 1959, la part devient (ou serait devenue) : « 1/5 de toutes les sortes de dattes, 1/4 des récoltes de fruits et 1/3 des cultures maraîchères et fourragères ». Mais dans les faits, le partage repose de nos jours le plus souvent uniquement sur les dattes.

Dans les anciennes palmeraies, le khammesa demeure le mode de faire valoir ma- joritaire. Dans les récentes, le travail direct par le propriétaire prédomine. Dans les pal- meraies d’anciens éleveurs, le khammesa est même absent. Ce n’est d’ailleurs pas l’unique originalité de ces palmeraies-ci dans l’organisation sociale du travail, comme nous le verrons un peu plus loin (« Et les femmes ? », p. 124).

1 C’est l’unique cultivar parmi les centaines existants dans la région à être exporté vers l’Europe (exception faite

d’un peu de Kenta vers l’Italie) ; sa saveur particulièrement sucrée lui donne cette suprématie sur le marché avec des prix de vente au moins doubles de ceux des variétés dites communes.

2 p. 116 in BOU ALI S., 1982, op. cit.

Les proportions de dattes dévolues au khammes sont également rapportées par ATTIA H. - Modernisation agricole et structures sociales : exemple des oasis du Djérid, Revue Tunisienne des Sciences Sociales, n°2, Tunis, Fév. 1965, pp. 59-79.

Le salariat

Une autre possibilité d’intervention de main-d’œuvre extérieure est le salariat. Elle est courante pour certaines périodes spécifiques de la vie agricole, comme la polli- nisation et surtout la récolte des dattes à l’automne. Elle ne concerne que quelques jours (sur un jardin), et des populations de régions plus déshéritées du Nord (comme Kasse- rine) viennent y trouver un travail journalier. Cette forme de travail temporaire peut encore intervenir sur des travaux de labours à la sape (yaazoq) ou de rénovations. C’est généralement un travail à la tâche, wafqa. Le salariat à plein temps sur l’exploitation, autre mode de faire-valoir indirect, est plus rare. Cette idée a sûrement deux origines régionales : les mines de phosphate dans les montagnes autour de Gafsa qui marquèrent le Jérid d’une fuite de sa main-d’œuvre (travail bien rémunéré) et la création des gran-

des exploitations phœnicicoles coloniales qui survécurent sous la forme SODAD (cf. note

de bas de page nº 1, p. 168).

Cette forme salariale est plus prisée dans les grosses exploitations employant plu- sieurs ouvriers ou par des propriétaires aux revenus confortables d’activités extra- agricoles (surtout les émigrés). Mais cette solution salariale est aussi en usage dans les exploitations en phase d’installation, qui ne dégagent pas encore de revenus suffisants pour intéresser un khammes. Ce salariat, toutefois, ne s’apparente pas à l’urbain actuel — c’est-à-dire à une conception capitaliste du travail tel que le définissait déjà Marx — dans le sens où si le salarié vend bien sa force de travail, il ne vend pas une quantité de travail mesurée par le temps. Le temps, sinon celui des journées, voire des saisons, ne limite pas son travail (khidma). Le salariat à plein temps dans un jardin (contrairement à au temporaire des grands travaux comme la pollinisation ou la récolte) n’est pas non plus un travail à la tâche (wafqa), car la tâche n’est pas précisément définie : le salarié doit s’occuper de l’exploitation afin qu’elle vive, l’existence du jardin étant comprise comme indissociable de l’apport de travail humain. L’employeur est juge de la qualité du résultat du travail fourni, c’est-à-dire sur la fin, sans réel droit de regard sur le moyen. Ainsi, le salariat n’est qu’une variante du métayage dont ce qui l’en différencie est la rémunération, mensuelle et fixe, et non annuelle (avec la récolte de datte) et basée au prorata de la production. Ceci induit tout de même une différence notable : le

khammes est intéressé à la production, et non le salarié, avec ce que cela peut induire en

termes de la qualité du travail fourni sur l’exploitation.

On notera une chose : le salarié souvent jouit de façon exclusive des cultures bas- ses (maraîchage et fourrage) et des fruitiers, exactement comme le khammes. Le salaire remplace en fait le cinquième des dattes : produits maraîchers, fourrages et fruits de- meurent quantité négligeable (négligée) ou plutôt hors circuit commercial. Pourtant, salade, dattes, tomates et figues converties en dinars, il apparaît que les rapports en va- leur des productions (dans les jardins qui les produisent et à l’intérieur de notre échan- tillon) sont en moyenne de 74 % pour les dattes, 04 % pour les fruits et 22 % pour les

cultures basses, ou si l’on veut 2555 DT pour les dattes, 130 DT pour les fruits et 627 DT

pour les cultures basses en moyenne pour 1 hectare et par an1. Quand un salaire moyen

1 BATTESTI V., 1997, op. cit. et cf. Tableau 11 : Exemples de productions agricoles en valeur dans des jardins du

Jérid, p. 193.

au Jérid atteint à peine 200 DT par mois, cette « négligence » à comptabiliser ces pro-

duits ne se comprend guère qu’en les plaçant, justement, « hors comptabilité ».

Ce que l’on ne dit pas

Ce que l’on ne dit pas, ce qui est occulté dans le discours local sur le travail agri- cole tient à l’histoire de son organisation sociale. Prononcez le mot ‘abid, vous remar- querez des regards gênés. Personne n’ignore l’origine esclave (‘abid) de la peau noire de beaucoup des khammesa. De l’ancienne condition servile et du statut actuel de su- bordonné à un malek (propriétaire), perdure parfois un malaise. Se déclarer khammes va rarement de soi. On dira plus volontiers sherik (associé) ou fellah (agriculteur), déno- minations qui ont l’élégance d’évacuer le rapport non-dit de maître à serviteur. On se souvient bien que le métayer fût obligé aux tâches ingrates, comme celle de nettoyer les

latrines de la maison du maître pour fertiliser le jardin avec ce fumier, dit fimun1.

Chaque société invente sa nature et cette invention est un reflet des relations entre

les hommes, au même titre qu’A.-G. HAUDRICOURT voyait ce reflet dans la relation au

monde vivant2. Que cette représentation soit « mythique » ou « scientifique », elle sert

toujours à désigner les groupes ou les instances sociales compétentes (et à légitimer cette compétence) pour réglementer la gestion des ressources et procéder à leur réparti- tion. Les mythes de fondation, au Jérid comme à Zagora, désignent des groupes shorfa ou arabes, c’est-à-dire auréolés de leur parenté avec le Prophète comme investis de l’autorité arabe. Les propriétaires sont ceux-là mêmes.

À Zagora, il se trouve que les femmes participent aux activités agricoles. Mais, ce faisant, cela dépend fortement de la couleur de peau : on distingue localement trois groupes dans la population locale. Ce sont les Noirs ou autrement appelés Drawi (ou Draoui), les Berbères (plutôt nomadisants et anciens « protecteurs » des palmeraies) et les Sherif (donc catégorisés comme arabes). Les gros propriétaires sont classiquement de la shorfa. Les grandes perturbations foncières de la fin des années 70 et début 80 ont conduit certains à vendre des terres, mais ont permis aussi leur concentration par d’autres. Les Noirs représentent la masse laborieuse. Comme au Jérid, le système du métayage prévalait, mais semble-t-il qu’aujourd’hui ce soit un système déclinant. Pour certains, les Noirs se divisent en deux catégories : les Noirs issus de l’esclavage et ame- nés d’Afrique (le terme de ‘abid, c’est-à-dire « esclave, serviteur » les désigne, mais n’est pas utilisé ouvertement par réserve, comme le terme « Noir » d’ailleurs) et les Drawi originaires de la région. La vallée du Draa était le domaine des Kouchites-Noirs

1 Même les esprits locaux, les jnun en conviennent (voir « Le monde oasien invisible : esprits, êtes-vous encore

là ? », p. 198). Une histoire à Tozeur (notée le 17 avril 1995) raconte qu’un khammes était marié disons de manière normale à une femme, mais également à une femme djinn. « Les gens étaient au courant de cette relation car cette femme djinn lui disait ce que faisait sa vraie femme lorsqu’il était absent de la maison ; il rentrait le soir du travail et savait que du couscous était prêt. En se réveillant, il trouvait 5 dinars sous son oreiller chaque matin. C’était une belle somme à l’époque. Cette djinn pensait ainsi que le khammes arrêterait de faire ce sale travail car il était chargé de vider les toilettes pour récupérer les excréments et répandre cet engrais dans les jardins. Cependant, lui, continuait ce travail. Alors, elle lui demanda d’arrêter. Mais il ne voulut pas et continua malgré son insistance. Par dépit, elle est partie. » Ce petit conte, que l’on dit quasiment contemporain (une quinzaine d’années) nous montre deux choses : d’une part que cette activité est perçue comme dégradante et d’autre part, que le khammesa est une condition dont on ne peut se départir facilement.

2 Cf. « Un jardin d’agriculture ou une exploitation horticole ? », p. 116.

ou Négroïdes, dits les Éthiopiens de l’Ouest. Leur capitale se serait située à Tazrout

près du Jbel Zagora vers le Xe siècle av. J-C. Cette capitale aurait succombé aux attaques

des juifs du Draa vers le IIe siècle av. J-C. Le royaume juif du Draa aurait atteint son

apogée vers le VIIIe et le Xe siècle de notre ère. Sa capitale Tazroute se trouverait sur le

site de l’actuelle Tamegroute. Selon L. OUHAJOU1, qui détaille davantage cette histoire,

même légendaire, elle est néanmoins intéressante pour les indications qu’elle donne sur un oued Draa primitivement peuplé par des populations sédentaires noires. Celles-ci auraient été progressivement réduites à une sorte d’esclavage par les conquérants durant les périodes postérieures. Ces populations noires, les Kouchites, seraient les aïeules de la population noire actuelle dite « haratin » ou plus discrètement « drawa ». Selon d’autres hypothèses donc, les Haratines de la région seraient en partie les descendants d’esclaves amenés du Soudan. Quant à l’installation des éléments de la shorfa dans la palmeraie, elle se serait opérée d’une façon pacifique : leur arrivée se fit à la suite de l’appel de la population pour apporter leur bénédiction (baraka) aux récoltes.

Il est très clair que l’histoire locale permet la répartition des groupes : la légitimité des grands propriétaires, l’asservissement des Drawi, mais aussi la contestation. Ces derniers affirmeraient aujourd’hui que la terre leur appartient.

À Djanet, on assure qu’il n’existe plus aujourd’hui de « problème de races, de couleurs entre Blancs et Noirs ». « C’est fini maintenant. » Ce que l’on ne dit pas, c’est que la proportion des Noirs dans les jardins demeure significative, ce que l’on ne dit pas c’est que les nobles sont encore connus et reconnus, qu’ils sont toujours blancs et que les anciens serviteurs leur « rendent service par respect » (pour des travaux quelconques et à titre gracieux).

La reconnaissance d’un statut privilégié de la shorfa au Jérid était plus vrai encore autrefois. Non seulement, ils étaient les grands propriétaires dans la palmeraie, mais ils formaient aussi le groupe dit « ashra kbar » (les « dix grands ») qui veillait aux desti- nées de l’oasis à Tozeur. Aujourd’hui, ce relais est pris par l’État qui appuie son autori- té sur le scientifique : pour se développer, pour manipuler le moderne, son intervention se présente comme indispensable. La passation de pouvoir ne va pas sans regrets chez ces grands. L’un d’eux ne comprend pas que le Centre de recherche de Degache ne lui demande plus son avis sur les choses des oasis. Son discours tend même à montrer que la tradition qu’il représente aujourd’hui possédait les résultats que les scientifiques, pense-t-il, revendiquent (au sujet du nombre de litres d’eau nécessaire au palmier, par exemple). Il jouit toujours d’un reliquat d’autorité avec la manipulation des droits d’eau (mais sans pouvoir)… à partir d’un livre, signe premier de l’ostensible pénétration du

moderne dans l’oasis, celui de PENET2 ! Ce qu’il revendique à propos du nombre de

litres d’eau, traduit pour l’oreille de l’interlocuteur moderne, est la rationalité de

Documents relatifs