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Il est aujourd’hui admis qu’en plus d’établir la cohésion, les cohésines jouent un rôle majeur dans l’organisation 3D du génome en interphase (Gassler et al., 2017; Haarhuis et al., 2017; Lazar- Stefanita et al., 2017; Rao et al., 2017; Schalbetter et al., 2017; Wutz et al., 2017). Elles permettent la formation de boucles de chromatine en capturant deux fragments d’ADN appartenant à une même molécule. Deux éléments distants sur la séquence primaire (tels que des enhancers et des promoteurs) peuvent ainsi entrer en contact et induire la transcription d’un gène (Figure 22a). Les conséquences de la formation de boucles de chromatine sur l’organisation du génome sont plus amplement détaillées dans le Chapitre IV de cette introduction. Le mécanisme par lequel les cohésines établissent de telles boucles de chromatine reste obscur mais différents modèles ont été proposés pour l’expliquer. Nous allons aborder ici les plus pertinents.

Tout d’abord, un modèle dit stochastique postule que l’anneau présent sur une séquence d’ADN capture de manière aléatoire toute fibre d’ADN présente à proximité ((Cheng et al., 2015), Figure 22b gauche). Cependant ce modèle n’explique pas comment les cohésines pourraient d’une

Nasmyth, 2001b), Figure 22b droite). Ce modèle, connu sous le nom d’extrusion de boucles ou « loop extrusion » implique un apport d’énergie nécessaire au déplacement des cohésines sur l’ADN et/ou au « pompage » de l’ADN à travers l’anneau. Plusieurs modèles sont envisagés quant à la nature de ce moteur (pour revue (Hassler et al., 2018)).

1) Il pourrait être intrinsèque aux cohésines. L’énergie nécessaire à l’extrusion de boucles serait alors apportée par l’hydrolyse d’ATP ((Alipour and Marko, 2012) Figure 22c gauche). Il a été montré in vitro que le complexe condensine de S. cerevisiae était capable d’extruder de l’ADN à travers son anneau par un mécanisme nécessitant l’hydrolyse d’ATP (Ganji et al., 2018; Terakawa et al., 2017). Une même conclusion a pu être tirée suite à l’étude in vivo du complexe SMC de

Bacillus subtilis (Wang et al., 2018). La conservation structurale et fonctionnelle entre les

condensines et les cohésines laisse à penser que ces dernières sont également capables d’initier un processus d’extrusion de boucles. Une telle activité reste cependant à être démontrée. Sur la base des données disponibles à la fois sur la biochimie des cohésines et sur les moteurs moléculaires cytoplasmiques, différents modèles explicitant le mécanisme d’agrandissement des boucles de chromatine par les cohésines ont été proposés. Nous allons en présenter trois brièvement (pour revue (Hassler et al., 2018)) :

- le modèle de marche sur le chromosome ((Terakawa et al., 2017), Figure 23a). Il est basé sur l’ancrage d’une fibre d’ADN au domaine charnière et sur le déplacement successif des têtes ATPases sur une seconde fibre. En présence d’ATP, les têtes des protéines Smc sont ancrées à l’ADN. L’hydrolyse d’ATP provoque le désengagement d’une des deux têtes qui se déplace et s’ancre à distance de la seconde. Lors de la liaison d’une nouvelle molécule d’ATP, cette seconde tête se rapproche de la première et provoque l’agrandissement de la boucle d’ADN liée à la fois aux têtes ATPases et au domaine charnière. Ce modèle présente plusieurs défauts majeurs : il semble incompatible avec l’observation que les têtes ATPases restent à proximité après hydrolyse de l’ATP et aucune preuve n’a été apportée à ce jour que les têtes ATPases puissent lier alternativement l’ADN. De plus, il n’explique pas ce qui empêcherait la cohésine de capturer une

désengagent. La boucle d’ADN de la chambre SMC est alors poussée vers la chambre kleisin, ce qui agrandit la boucle déjà présente dans cette dernière. Ce modèle est en adéquation avec les changements structuraux des coiled-coils et des têtes ATPases lors de l’hydrolyse d’ATP. Cependant, il n’explique ni la formation de la boucle de chromatine dans la chambre SMC ni le mécanisme d’ancrage de l’ADN dans la chambre kleisin. Alors que la sous-unité Brn1 des condensines pourrait agir comme une ancre et permettre l’association stable du complexe à l’ADN, aucune activité de ce type n’a été rapportée pour les HAWKs des cohésines.

- le modèle de flexion-extension ((Terakawa et al., 2017), Figure 23c). D’après ce modèle, en absence d’ATP deux fibres d’ADN sont ancrées aux cohésines : une dans la chambre kleisin et une dans la chambre SMC, à proximité des têtes ATPases. La liaison de l’ATP provoque l’éloignement des coiled-coils, la libération de la fibre d’ADN ancrée aux têtes Smc et la capture d’une troisième fibre d’ADN par le domaine charnière. Puis, le complexe se replie via le coude présent dans les coiled-coils (Figure 17d), ce qui induit le rapprochement spatial entre le domaine charnière et les têtes ATPases. La fibre d’ADN initialement liée au domaine charnière est transférée vers les têtes ATPases où elle s’ancre après hydrolyse de l’ATP et provoque l’agrandissement de la boucle de chromatine. Ce modèle est attrayant car il implique un rôle central du domaine charnière dans la capture de l’ADN et le repliement des cohésines via leur coude. Cependant il n’apporte aucune explication quant à l’interaction entre le domaine charnière et les têtes ATPases.

On peut noter que ces trois modèles ne prennent pas en compte un aspect important de la formation des boucles : la directionnalité de l’extrusion. En effet, afin que les boucles puissent augmenter en taille, il est nécessaire que les cohésines soient processives, qu’elles aillent toujours dans la même direction sur l’ADN et qu’elles ne reculent pas. Les mécanismes permettant une telle directionnalité du mouvement des SMCs sur l’ADN ne sont pas élucidés.

2) Selon un second modèle, le moteur moléculaire pourrait être externe aux cohésines et généré par les ARN polymérases en cours de transcription. Les polymérases pourraient pousser

translocation des cohésines pourrait être induite par les stress topologiques accumulés lors de la transcription d’un gène (Figure 22c droite). En effet, une étude in silico suggère que l’accumulation des super-enroulements de l’ADN pourrait déplacer les cohésines à distance du site de transcription (Racko et al., 2018). Le modèle favorisant un moteur externe aux cohésines est basé sur l’observable que le taux d’hydrolyse d’ATP par les condensines in vitro est très faible (environ 0,2 molécule hydrolysée par seconde) et ne semble pas compatible avec la formation de boucles de chromatine pouvant atteindre plusieurs centaines de kilobases chez les mammifères (Dixon et al., 2012; Murayama and Uhlmann, 2014). Ce modèle est en adéquation avec la relocalisation des cohésines en 3’ d’un gène lors de sa transcription (Bausch et al., 2007; Busslinger et al., 2017; Lengronne et al., 2004; Ocampo-Hafalla et al., 2016) et l’accumulation de l’anneau entre les gènes convergents (Busslinger et al., 2017; Lengronne et al., 2004). Cependant d’après ce modèle l’altération de la transcription des gènes devrait modifier le profil d’accumulation des cohésines le long du génome : les cohésines nouvellement recrutées à l’ADN ne pourraient pas être relocalisées à distance de leur point de chargement en absence de transcription. Ainsi ce modèle ne permet donc pas d’expliquer l’absence de relocalisation des cohésines après inhibition de la transcription (Vian et al., 2018).

Bien que le mécanisme d’extrusion de boucles soit favorisé pour expliquer le rôle des cohésines dans l’organisation du génome, il n’est, à ce jour, que théorique. En effet, il est envisageable que les cohésines et les condensines emploient des mécanismes distincts pour extruder la chromatine.