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Comme annoncé au début du § 3, le travail de thèse s’est organisé autour de 3 étapes : 1) un diagnostic des usages des méthodes et outils existants ; 2) une exploration de nouveaux concepts, organisée lors d’ateliers de conception participatifs, de production de connaissances nouvelles et de la modélisation, débouchant sur la proposition d’un prototype de la nouvelle méthode de fertilisation; 3) un test d’usage du prototype par des agriculteurs et des conseillers agricoles. L’étape 2 est de loin celle qui a pris le plus de temps, et a nécessité de nombreux aller-retour entre conception et production de connaissances. Un plan en 3 chapitres, organisé strictement selon ces 3 étapes, aurait, selon nous, eu deux inconvénients : d’une part, un très grand déséquilibre entre les chapitres; d’autre part, une difficulté à montrer la cohérence d’une démarche d’ensemble, qui aurait été entrecoupée par de longs paragraphes sur l’acquisition des connaissances nouvelles nécessaires à la conception. C’est pourquoi nous avons choisi de présenter, après un diagnostic des usages (chapitre 1 des résultats) qui permet de resserrer le cadre de la conception, l’ensemble de la démarche de conception, incluant l’articulation entre conception et production des nouvelles connaissances nécessaires. Ce chapitre 2 des résultats vise à donner au lecteur une vision d’ensemble du travail réalisé. Nous détaillons ensuite, dans les 3 chapitres suivants, les connaissances produites en cours de conception et la mise au point du prototype (figure 3).

Fig. 3. Organisation des chapitres du manuscrit

Le chapitre 1 présente le diagnostic des usages de la méthode du bilan. Il porte sur l’analyse des controverses autour de la mise en œuvre réglementaire de cet outil, croisée avec des enquêtes auprès d’utilisateurs, dans le but de mettre en évidence les difficultés de mise en œuvre des méthodes et outils existants. Il vise à dresser les limites du paradigme dominant de raisonnement de la fertilisation, identifiant les situations d’usage dans lesquelles le modèle actuel pose problème à ses utilisateurs et les questions auxquelles il ne permet pas de répondre.

Le chapitre 2 présente la démarche de conception dans son ensemble, basée sur l’exploration des concepts projecteurs issus du diagnostic des usages. Les réflexions collectives autour de ces concepts qui ont eu lieu dans les ateliers de conception, structurés selon les principes des ateliers KCP, ont ouvert le champ des connaissances, en intégrant des connaissances existantes qui n’étaient pas valorisées dans le paradigme actuel de la fertilisation, et en faisant émerger de nouvelles connaissances à produire. A l’issue des ateliers, pour passer des idées générées collectivement à un prototype d’outil d’aide à la décision innovant, nous avons identifié des nouvelles connaissances à produire, dont la production sera détaillée dans les chapitres suivants. Le prototype de méthode de fertilisation mis au point est présenté. Ce chapitre se termine par le test de ce prototype, en situation, avec deux groupes d’agriculteurs.

Le chapitre 3 est dédié à un point central de la production de connaissances pour la conception : la définition d’une trajectoire d’indice de nutrition azotée minimum, intégrant des carences temporaires

Chapitre 1:

Diagnostic des usages : Quelles difficultés de mise en œuvre de la méthode du bilan ?

Chapitre 2:

Démarche pour la conception innovante d’une méthode de raisonnement de la fertilisation azotée qui intègre les usages

Diagnostic des usages Conception Test du prototype Production de connaissances spécifiques pour la conception Chapitre 5: Production de connaissances actionnables : Estimation de l’INN tout au long du cycle au moyen de la mesure de la teneur en chlorophylle des feuilles Chapitre 4: Construction d’un prototype d’outil : Production de règles de décision à l’aide d’un modèle et de la théorie de la viabilité Chapitre 3: Production de connaissances actionnables : Etablissement d’une trajectoire seuil de nutrition azotée re 3: re 4: Chapitre 5:

non préjudiciables pour le rendement et la teneur en protéine. Jusque-là, les effets des carences ont été étudiés en vue de les quantifier dans des modèles. Dans ce chapitre, il s’agit de produire des connaissances sur les effets des carences, adaptées aux spécificités de la méthode de fertilisation en cours de conception. Ce travail sur la trajectoire d’INN illustre bien la différence de nature des connaissances produites dans la conception innovante, par rapport à celles habituellement produites par les agronomes, dans le paradigme de « comprendre ce qui existe » (Simon, 1969).

Le chapitre 4 présente l’utilisation du modèle de culture Azodyn pour construire, sur la base du concept issu des ateliers de conception, les règles de décisions nécessaires à la mise en œuvre du prototype de la méthode. Ce chapitre illustre le passage d’une connaissance théorique sur la trajectoire d’INN à un prototype opérationnel de méthode de fertilisation. Nous montrons comment la conception a conduit à un usage original du modèle Azodyn, en mobilisant la théorie de la viabilité pour proposer des règles de décision robustes au regard de l’incertitude sur les conditions météorologiques en cours de campagne.

Le chapitre 5 est consacré à une analyse de la corrélation entre l’INN et un outil de diagnostic basé sur la teneur en chlorophylle des feuilles. Pour les besoins du test d’usage, il était en effet nécessaire de trouver un moyen simple d’estimer l’état de nutrition azotée de la culture tout au long de la période située entre sortie hiver et floraison, avec un outil existant. Nous avons donc analysé la stabilité de la relation entre l’indice de nutrition azotée (indicateur privilégié pour suivre les carences) et des estimations indirectes de teneur en chlorophylle par un chlorophyll-meter. Malgré de nombreux travaux existants sur cette question, aucun ne répondait à notre objectif, et nous avons dû conduire une nouvelle analyse de comparaison de modèle de prédiction de l’INN pour proposer des règles d’interprétation d’une mesure de teneur en chlorophylle réalisée à n’importe quel moment de la période végétative du blé.

Dans la dernière partie de ce manuscrit, nous reviendrons d’abord sur la manière dont la méthode du bilan est ancrée dans le secteur agricole. Nous apporterons la vision d’une agronome sur les effets de fixation autour de la méthode du bilan, qui sont révélateurs d’un effet de verrouillage dans le raisonnement de la fertilisation azotée. Nous discuterons ensuite du changement de paradigme à proprement parler, en revenant de manière transversale sur les différences entre le raisonnement actuel et la manière de gérer la fertilisation azotée que nous proposons. Pour prendre du recul sur la démarche dans son ensemble, nous prendrons le temps de quelques paragraphes pour revenir sur l’originalité de la démarche de conception et les enseignements théoriques et méthodologiques que l’on peut tirer de notre expérience. Etant donné le cadre réglementaire dans lequel se positionne la gestion de la fertilisation azotée, nous discuterons, avant de conclure, le choix d’une réglementation d’obligation de moyens pour atteindre les objectifs environnementaux souhaités.

Chapitre I - Diagnostic des usages : Quelles difficultes de mise en œuvre de la méthode du bilan ?

Résultant d’un travail réalisé sur la première année du projet, ce chapitre vise à caractériser l’usage fait des outils et méthodes de raisonnement actuels et à mettre en avant les limites du paradigme actuel. L’enjeu est de tirer, de l’analyse des comportements des utilisateurs face aux outils et méthodes, des enseignements pour la conception d’une méthode alternative. Pour ce diagnostic, nous avons mobilisé deux dispositifs de recueil des informations : les documents officiels des « Groupes Régionaux d’Expertise Nitrate » (GREN) et des enquêtes avec des utilisateurs des méthodes et outils de raisonnement de la fertilisation azotée. Nous verrons que dans le cas du raisonnement de la fertilisation azotée, le recours à la méthode du bilan fait consensus, laissant peu de place à d’autres usages des méthodes et outils pour raisonner. Par contre, le diagnostic a montré de fortes controverses autour de la mise en œuvre de la méthode. Dans les trois quarts des GREN, il y a eu des débats concernant la fixation de l’objectif de rendement. L’analyse des pratiques nous montre qu’il est plutôt fixé comme un rendement désiré que comme une moyenne, mettant en avant qu’il n’y a pas de compréhension commune derrière le concept d’objectif de rendement. Bien que l’analyse de sol soit mise en avant par les scientifiques, dans la pratique, l’incertitude perçue autour de la procédure d’échantillonnage et les interprétations arbitraires qui peuvent en découler nous montrent que ce principe est finalement une source de doutes qui fragilise la fiabilité de l’estimation de la dose totale. Pour presque la moitié des conseillers agricoles interviewés et dans au moins 7 GREN ont retrouve une controverse sur la mise en œuvre réglementaire de la méthode du bilan et les conséquences sur la perte d’alternatives, adaptées à des spécificité locales. Ce diagnostic des usages nous montre finalement que malgré la rigueur scientifique de la méthode et un consensus scientifique fort, la manière dont elle est mise en œuvre peut induire des sources d’erreurs dans le calcul des doses d’engrais. Malgré 40 ans de progrès, des points essentiels de la méthode sont toujours des obstacles à sa mise en œuvre. En partant de ces principes qui révèlent des difficultés d’usage nous proposons de formuler des concepts projecteurs qui nous permettront de démarrer le processus d’exploration de concepts innovant, en rupture avec le modèle actuel.

Ce travail a fait l’objet d’un article scientifique publié en 2016 dans la revue NJAS – Wageningen Journal of Life Sciences, 79, 31–40. doi:10.1016/j.njas.2016.10.001

Mismatch between a science-based decision tool and its use: the case of the balance-sheet method for nitrogen fertilization in France.

Clémence Ravier 1,3*, Marie-Hélène Jeuffroy 1, Jean-Marc Meynard 2

1 UMR211 Agronomie, INRA, AgroParisTech, Université Paris-Saclay, BP 01, 78850 Thiverval-Grignon, France

2

UMR1048 SAD-APT, INRA, AgroParisTech, Université Paris-Saclay, BP 01, 78850 Thiverval-Grignon, France

3Arvalis-Institut-du-Végétal, Station expérimentale de la Jaillière, 44370 La Chapelle Saint-Sauveur, France

*Corresponding author: Clémence Ravier

Postal address: Campus de Grignon, Batiment EGER, UMR Agronomie, 78850 Thiverval-Grignon, France

Email address: clemence.ravier@grignon.inra.fr

Abstract: For several decades in France, the balance-sheet method has been recommended and widely

used to calculate N fertilizer rates. However, despite the scientific consensus on this method and its adoption as a regulatory tool, high N losses are still frequently occurring, suggesting limits in the implementation of this method. We assumed this consensus might hide discrepancies between some scientific concepts and the ways farmers use methods and tools. We combined a systematic analysis of official reports delivered by groups of experts (Nitrate Groups) from the 20 French regions concerned by the fifth reform of the Nitrate Directive, and interviews with experts, advisors and farmers. We identified principles of the method that reveal discrepancies between the theoretical model and its use, highlighting the gap between scientific concepts and their possible implementation. Here we show three frequent controversies that create uncertainties in calculating N fertilizer rates with the model. 75% of the Nitrate Groups debated about the estimation of the target yield, showing that there is no common understanding of the concept. In practice, farmers tend to fix the target yield as the value they desire more than the average value that can be reached in their fields. Although scientists emphasized the importance of measuring soil mineral content at the end of winter, sampling and uncertain extrapolation of the measurement lead to doubts and uncertainties, weakening the reliability of the N rates estimation. 45% of the interviewed advisors and seven Nitrate Groups put forward limits due to the regulatory implementation of the balance-sheet method, such as the reduced exploration of alternatives adapted to local specificities, or the prevention of an agronomical approach by an administrative one. These controversies among stakeholders showed that despite the rigor of the method and the scientific consensus on it, its implementation creates uncertainties, doubts and errors in the calculated N rates. Despite 40 years of agronomical and technological progress, major points of the method are still obstacles for its use. Considering these discrepancies between the model and its use, we suggest that, instead of persisting in improving incrementally each term of the balance-sheet method, we should switch to the innovative design of a completely new fertilizer calculation method, where users are taken into account from the beginning of the design process.

Key words: N fertilization. Target yield. Soil mineral nitrogen. European Nitrate Directive. Nutrient management. Diagnosis of uses.

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