1.2 Le patient psychiatrique et ses spécificités
1.2.3 Organisation des soins psychiatriques en France
La psychiatrie française est née à la fin du 18
èmesiècle, avec la volonté de « s’écarter
de l’hôpital général pour soigner la maladie mentale en des lieux plus isolés et verdoyants,
selon un modèle à la fois écologique et moral » [19]. De façon officieuse, il est certain qu’il y
avait également une volonté d’épargner à la société le spectacle des « fous » en les
éloignant de la ville [31]. Les patients souffrant de troubles mentaux divers dits « aliénés »
sont alors pris en charge dans des asiles psychiatriques qui se créent à l’écart des villes
durant la première moitié du 19
èmesiècle, à la fois par les neurologues et les médecins
« aliénistes » qui se les disputaient. Ces derniers, ancêtres des psychiatres, étaient des
« sortes de médecins généralistes exerçant leur pratique dans les asiles d’aliénés et qui ont
construit les bases fondamentales du savoir psychiatrique actuel ». Ces asiles d’aliénés
deviendront un siècle plus tard les hôpitaux psychiatriques, et c’est encore plus tard, à la fin
des années 1960, que la scission se fera définitive entre neurologues et psychiatres, ces
derniers souhaitant se consacrer en totalité à la prise en charge de l’esprit de leurs patients,
à leurs émotions et à leurs pensées.
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Par ailleurs, la découverte des neuroleptiques dans les années 1950 et de leur
efficacité notable dans les troubles mentaux en améliorant leur pronostic modifiera
considérablement cette prise en charge, en permettant une « désinstitutionnalisation
progressive des patients » [27] et la possibilité pour eux de réintégrer la communauté.
1.2.3.1 Le principe de la sectorisation
Ainsi, la circulaire du 15 mars 1960 découpe le territoire français en secteurs
d’environ 66 000 habitants, avec la mise en place, dans chacun d’eux, d’une équipe médicale
et paramédicale qui intervient auprès des malades à tous les stades de la maladie, faisant de
l’hospitalisation en établissement psychiatrique une simple étape dans le traitement de la
maladie mentale, et non plus une fin en soi [32].
La prise en charge ambulatoire des patients est donc une priorité dès qu’elle est possible, et
elle se fait dans les Centres Médico-Psychologiques (CMP), au plus près du domicile des
patients, où les soins sont ouverts à tous les adultes du secteur (défini par leur lieu
d’habitation) et gratuits (sans obligation d’ouverture préalable des droits à la Sécurité
Sociale) [32], permettant d’espérer de cette façon une meilleure compliance au suivi et aux
traitements de la part des patients. Au sein de ces CMP travaillent en collaboration des
psychiatres, des psychologues, des infirmières, d’autres personnels paramédicaux comme
orthophonistes et psychomotriciens (notamment dans les CMP infanto-juvéniles) et des
assistantes sociales, afin d’améliorer la prise en charge globale de ces patients, à savoir
médico-psycho-sociale, en tentant de diminuer leur précarité et en menant des actions de
prévention.
Pour illustrer les effets bénéfiques de la sectorisation, une étude menée par la DREES en
1997 a montré que 94% des patients pris en charge par les secteurs de psychiatrie générale
bénéficiaient d’un suivi en CMP, et qu’au bout de 2 ans de suivi, 96% avaient un logement
stable et 98% leurs droits ouverts auprès de l’Assurance Maladie [32].
Cependant, la sectorisation, associée au clivage définitif entre les psychiatres et les
neurologues, qui instaurait par là-même une barrière entre la psyché et le soma, a éloigné
encore plus le patient de son corps et par conséquent des soins prodigués par les médecins
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probablement en cause dans la sous-estimation des troubles organiques chez le patient
souffrant de maladie mentale [19] et donc de leur prise en charge.
Nous allons donc à présent voir comment les soins somatiques se sont
progressivement organisés en psychiatrie.
1.2.3.2 Organisation des soins somatiques en psychiatrie
Dans les années 70-80, l’initiative des soins somatiques incombait à l’équipe
psychiatrique. La prise en charge des patients hospitalisés était assurée, dans chaque
secteur, par la participation des internes aux premiers soins, au lit du malade, conjointement
à l’abord psychiatrique [31].
Cependant, les grands courants psychiatriques considèrent qu’examiner les malades
sur le plan somatique est trop intrusif, pouvant ainsi perturber le fragile équilibre de la
relation particulière entre thérapeute et patient. Comme l’écrit le Dr MONTARIOL : « la prise
en charge d’éventuels troubles somatiques par le psychiatre n’est pas en général souhaitable
aux yeux des psychiatres eux-mêmes, pour qui la dissociation psyché-soma reste nécessaire
au soin psychiatrique » [24].
La prise en charge des patients sur le plan organique a par conséquent été déléguée au
début des années 1980 à des médecins « somaticiens », avec la création dans plusieurs
établissements psychiatriques d’unités ou services de médecine somatique, dont le
précurseur a été celui de l’hôpital Esquirol en région parisienne en 1978. La prise en charge
des pathologies somatiques chez les patients hospitalisés est devenue pluridisciplinaire,
conjointe entre somaticiens et psychiatres, mais restant trop fréquemment à l’initiative des
psychiatres [27,31]. Depuis, ce modèle n’a cessé de se développer et de s’améliorer, avec la
création de véritables pôles de « spécialités médicales », dans lesquels les patients peuvent
bénéficier de consultations avec des somaticiens, mais également dans le meilleur des cas
avec des médecins spécialistes, des dentistes, des kinésithérapeutes ou encore des
pédicures. Il demeure néanmoins largement insuffisant, puisqu’en 2010, une enquête
menée en Ile-de-France a révélé que moins de la moitié des établissements psychiatriques
possédait un dispositif dédié aux soins somatiques [27].
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Espérons que ces pôles de spécialités médicales continueront à se développer, d’autant que
les lois votées récemment ont insisté sur l’importance de l’examen somatique des patients
psychiatriques, qu’il s’agisse de la loi HPST de juillet 2009 qui intégrait pour la première fois
sur le plan légal la dimension somatique dans la prise en charge des patients psychiatriques,
ou encore la loi du 5 juillet 2011 réformant les modes d’hospitalisation en psychiatrie, et qui
a rendu obligatoire l’examen somatique du patient dans les 24 heures suivant une
hospitalisation sous contrainte.
De même, les recommandations officielles en matière de santé mentale insistent sur
l’importance à accorder à la prise en charge somatique de ces patients, puisque la HAS dans
son manuel de certification des établissements de santé en 2010 précise que : « les
symptômes psychiatriques pouvant être l’expression d’une pathologie somatique
sous-jacente. C’est pourquoi un examen médical doit toujours être réalisé, notamment à
l’admission d’un malade en hospitalisation. Un même patient peut présenter une pathologie
psychiatrique et une pathologie somatique, là encore les investigations médicales devront
envisager cette comorbidité. Par ailleurs l’évolution d’une pathologie mentale peut amener le
patient à prendre certains risques dans le champ somatique (alimentation, usage de
toxiques), ou à ne pas réaliser d’éventuels soins nécessaires. La maladie mentale peut
masquer ou modifier l’expression de certains symptômes (douleurs). Les traitements
administrés (psychotropes) vont occasionner des effets secondaires ou modifier certains
fonctionnements métaboliques. Depuis plusieurs années, les professionnels insistent sur le
besoin de meilleure prise en compte de la dimension somatique des soins à apporter en
psychiatrie. » Et le gouvernement a confirmé une fois de plus ces recommandations dans le
« Plan Psychiatrie et Santé Mentale 2011-2015 ».
Mais l’articulation entre les soins psychiatriques et somatiques n’est pas formalisée
dans la sectorisation, et cela apparaît encore plus nettement dans le secteur ambulatoire, où
la prise en charge est placée sous la responsabilité du patient, les soins primaires étant
assurés par les médecins généralistes (libéraux ou en centre de santé) qui peuvent être
consultés en accès direct. Les CMP ont toutefois un rôle d’éducation et de sensibilisation du
patient à sa santé physique, en partenariat avec les médecins traitants, comme l’écrit Elodie
VIAL-CHOLLEY: « c’est au psychiatre et à l’équipe du CMP de sensibiliser son patient à
l’obligation de déclarer un médecin traitant, afin de le réinsérer dans la société et donc dans
le système de soins » [19]. Ils doivent expliquer le rôle coordonnateur du médecin traitant,
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en insistant sur le fait qu’il est un interlocuteur privilégié dans le suivi global du patient. Il est
à noter que des efforts certains ont été faits dans ce domaine, puisque certains CMP
partagent les locaux de structures de suivi somatique tels que des dispensaires, facilitant
ainsi pour les patients un accès combiné aux soins psychiatriques et somatiques ainsi que la
collaboration entre les différents praticiens. Ceci nous semble une piste importante à
développer.
Et pourtant, le recours aux médecins généralistes est loin d’être optimal chez les
patients souffrant de maladie mentale, et ce même depuis la réforme plaçant le médecin
traitant au centre de la prise en charge de tous les usagers de santé. Nous allons par
conséquent aborder dans un nouveau chapitre les raisons pouvant expliquer les difficultés
d’accès aux soins somatiques chez ces patients, et ainsi les motivations de notre étude.
Dans le document
DOCTEUR EN MEDECINE THESE UNIVERSITÉ Pierre et Marie CURIE (PARIS 6)
(Page 30-34)