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Chapitre 2. Energy density of mesozooplankton from the Bay of Biscay: variability of

III. Optimisation de l’utilisation des ratios isotopiques du carbone et de l’azote pour

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Introduction

Les isotopes stables sont des éléments chimiques non radioactifs possédant le même nombre d’électrons et de protons mais ayant un nombre différent de neutrons. Chaque isotope d’un même élément possède ainsi un nombre de masse différent. Les différences de masse entre les formes isotopiques impliquent des vitesses de réactions physiques, chimiques, biochimiques distinctes (e.g. conditions de précipitations, viscosité etc.). Ces comportements/propriétés induisent des répartitions différentielles des molécules comportant des isotopes stables au cours des réactions chimiques, et logiquement des compositions isotopiques distinctes entre les réactifs et les produits formés. Au cours des réactions chimiques, les molécules comportant des isotopes stables les plus légers vont réagir plus facilement que les isotopes lourds. En conséquence, la proportion des isotopes stables lourds tels que 15N ou le 13C versus leurs isotopes légers que sont le 14N et le 12C, sera propre à chaque tissu biologique, c’est la discrimination isotopique (Peterson and Fry, 1987).

Aujourd’hui, les ratios isotopiques des isotopes stables du carbone 13

C/12C (δ13C) et de l’azote 15

N/14N (δ15N) sont devenus des traceurs très répandus en écologie trophique (Michener and Kaufman, 2008). Leur utilisation est fondée sur le postulat suivant : «nous sommes ce que nous mangeons ». Autrement dit, la signature des molécules dans un tissu biologique est liée à celle des molécules assimilées. Le ratio isotopique du carbone est utilisé pour identifier l’origine de la source de matière organique dans le régime alimentaire d’un organisme et son habitat alimentaire, tandis que le ratio isotopique de l’azote permet de déterminer les relations proies-prédateurs et la position trophique relative d’un organisme et/ou le niveau trophique d’un écosystème (Deniro et Epstein, 1981 ; Hobson et Welch 1992 ; Minagawa et Wada, 1984 ; Papiol et al., 2013). L’entrée du carbone et de l’azote dans la composition chimique des producteurs primaires, donc dans les premiers maillons des réseaux trophiques, est fonction de la composition isotopique du carbone inorganique dissous (CO2, HCO3), des cycles biogéochimiques impliqués lors de la synthèse de matière (Raven et al., 1994) et de la concentration en éléments nutritifs dans le milieux (Montoya, 2008). Ainsi, le δ13

C en milieu marin présente souvent un gradient côte-large. Tout en identifiant la source de carbone, il renseigne donc sur un aspect fondamental en écologie trophique : l’origine spatiale de la matière donc les zones d’habitats alimentaires privilégiées par un organisme.

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Grâce à l’analyse de différents tissus constituant un même organisme, cette méthode offre également la possibilité d’obtenir un examen de son écologie trophique. Cet examen peut se baser sur l’existence de diverses fenêtres temporelles (‘isotopic clock studies’ en anglais). Les « dimensions » de ces fenêtres temporelles sont définies par le taux de renouvellement d’un tissu qui correspond au temps de demi-vie de l’isotope dans le tissu. Ainsi, les tissus les plus actifs métaboliquement possèdent les taux de renouvellement les plus élevés (Tieszen et al., 1983; Table 11). Plus récemment, la synthèse réalisée par Martinez del Rio et al. (2009) précise et démontre cette incorporation différentielle entre les tissus pour différents taxa (oiseaux, mammifères, poissons). Plus particulièrement, pour l’azote c’est essentiellement le taux de renouvellement des protéines dans un tissu qui est responsable de cette variation. Pour le carbone le renouvellement des lipides et des glucides de structure est davantage à l’origine de cette variation. Ainsi, les tissus dits splanchniques (liés par la vascularisation du système digestif) comme le foie ont des taux d’incorporation plus rapides que des tissus dits de structure, comme les muscles. Chez les poissons, les variations de ces taux de renouvellement pour différents tissus sont également confirmées. A titre d’exemple, les travaux de Ankjaero et al. (2012) montrent que chez la morue atlantique (Gadus morua), le temps de demi-vie des isotopes du carbone et de l’azote varie de 30 à 78 jours selon que l’on considère le muscle, le sang, le tissu osseux ou cardiaque. Ainsi, le tissu musculaire est un tissu ciblé pour l’analyse de l’écologie alimentaire intégrée par l’organisme sur plusieurs semaines tandis que le tissu hépatique est privilégié pour étudier le régime alimentaire d’un organisme sur plusieurs jours.

Table 11: Temps de demi-vie (jour) du carbone présentés dans l'étude de Tieszen et al. (1983) menée sur la gerbille.

Tissus Temps de demi-vie du carbone (jour) Taux de renouvellement Poil 47,5

Cerveau 28,2 Muscle 27,6 Lard 15,6 Foie 6,4

L’utilisation couplée des ratios isotopiques du carbone et de l’azote repose sur différentes hypothèses de travail, dont celle de l’enrichissement en 13

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(une proie) et son consommateur (un prédateur). C’est le facteur de discrimination trophique (FDT, Δ, « Trophic Discrimination Factor » en anglais) qui caractérise cet enrichissement. Plusieurs synthèses bibliographiques compilant les FDTs déterminées expérimentalement ont vu le jour au cours de cette dernière décennie (Caut et al., 2009; McCutchan et al., 2003; Vanderklift and Ponsard, 2003; Vander Zanden et al., 2015). En considérant l’organisme dans sa globalité, il apparaît ainsi que le FDT, qui influence la signature isotopique d’un tissu, est sous l’emprise de facteurs extrinsèques comme la température (voir l’étude de: Barnes et al. (2007)) ou de facteurs plus endogènes comme le stade ontogénique (voir l’étude de : Tibbets et al. (2008), Figure 32). Les conditions analytiques influencent également la valeur de la signature isotopique d’un tissu. Parmi les majeures, on peut citer la préservation des tissus (Kelly et al., 2006) et la méthode de délipidation (Sweeting et al., 2006).

Figure 32: Origines possibles de la variation de la signature isotopique d’un tissu (FDT : Facteur de Discrimination Trophique, δ13C et δ15

N correspondent aux ratios isotopiques du carbone et de l’azote, respectivement).

Plus précisément, parmi l’ensemble de ces facteurs, la composition en protéine des proies influence le Δ 15N (Figure 32). Deux hypothèses majeures ont été développées à ce sujet : (i) lorsque que le contenu en protéine du régime alimentaire augmente, alors le Δ 15N

Facteurs exogènes Facteurs endogènes

Histoire de vie, Statut physiologique

(sexe, statut sexuel, stade ontogénique)

Croissance Propriétés de l’environnement (température, pollution, lumière) Propriétés de la ressource alimentaire (quantité, qualité) Propriétés du tissu

(contenu en lipides, présence d’acide urique, taux de renouvellement) FDT

δ

13

C δ

15

N

Conditions analytiques (conditions de préservation, méthodes de délipidation)

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diminue (Martinez del Rio et al., 2009) et, (ii) lorsque la qualité des protéines d’un régime alimentaire augmente, alors le Δ 15N diminue (Roth and Hobson, 2000). Ces deux hypothèses correspondent à un apport plus élevé en protéines (donc en acides aminés). Ceci implique une excrétion d’azote plus élevée et une discrimination moins élevée en faveur des isotopes légers dans les processus de dispersion (excrétion). Ainsi le Δ 15N diminue. Cependant, (Florin et al., 2011) ont mis en évidence une corrélation négative entre le pourcentage de méthionine et le Δ 15

N. Ces auteurs suggèrent ainsi que le lien entre qualité-quantité de protéine et Δ 15N est bien plus complexe que ce qui est résumé dans les deux hypothèses précédentes.

L’ensemble des signatures isotopiques des proies et du prédateur sont quasiment systématiquement présentées dans un diagramme (« dual plot ») : δ13C versus δ15

N. Ce diagramme illustre le terme de niche isotopique proposé par (Newsome et al., 2007) servant à définir certains aspects, comme la dimension de l’habitat ou la niche trophique d’un organisme (Layman et al., 2012). La relation entre les ratios isotopiques du carbone et de l’azote d’une proie et d’un prédateur est discriminée par le FDT. Le traitement de ces données isotopiques se réalise grâce à des modèles de mélange, eux-mêmes fondés sur l’hypothèse que la signature d’un prédateur est égale à la moyenne pondérées des signatures de ses proies (Phillips, 2001) et ce, à l’équilibre. L’application de ces modèles de mélange nécessite donc la détermination du FDT et de la vitesse à laquelle la signature isotopique d’un organisme se stabilise par rapport à celle de sa proie. Ceci ne peut être réalisé que par une approche expérimentale. L’étude de la dynamique d’incorporation des isotopes et donc du FDT impose un traitement par modélisation (voir la revue de Martinez del Rio et al. (2009)).

Les plus récentes études s’attachant à décrire le régime alimentaire de la sardine et/ou de l’anchois européens, en utilisant les analyses des isotopes stables du carbone et de l’azote (Bode et al., 2004; Bode et al., 2006; Chouvelon et al., 2014a; Chouvelon et al., 2015), ont appliqué cinq valeurs de FDTs obtenus grâce à des expérimentations menées sur d’autres modèles biologiques. La Figure 33 révèle ainsi l’hétérogénéité de la position trophique/isotopique du prédateur considéré en fonction du FDT utilisé. Cette figure soulève un biais méthodologique inhérent au fait qu’actuellement aucun FDT n’a été déterminé pour un petit téléostéen pélagique. Cette représentation est volontairement fondée sur la signature isotopique d’une ressource alimentaire stable, unique et commune aux différents exemples, ce qui n’est jamais le cas en conditions naturelles. De fait, elle met en évidence l’importance de toujours mesurer la signature isotopique de la ou des source(s) alimentaire(s) pour l’étude de

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l’écologie alimentaire d’un organisme, via les analyses des isotopes stables du carbone et de l’azote.

Figure 33: Schéma de principe de l’utilisation des isotopes stables du carbone et de l’azote en milieu marin centré sur l’effet de l’utilisation différents facteurs d’enrichissement trophique (Δ15N Δ13C, ‰) pour une seule ressource alimentaire dont la signature isotopique est fixe. L’axe des abscisses correspond aux signatures isotopiques en carbone et l’axe des ordonnées aux signatures isotopiques en azote d’un tissu. Ces signatures sont calculées pour cinq différents facteurs d’enrichissement trophique classiquement utilisés pour décrire l’écologie alimentaire de la sardine (Sardina pilchardus) et de l’anchois (Engraulis encrasicolus) : A - (Pinnegar and Polunin, 1999) sur la truite arc-en-ciel : Δ13C: 2,5 ± 0,1‰, Δ15N: 3,3 ± 0,2 ‰, B - (Post, 2002) sur des mollusques marins: Δ13C: 0,4 ±1,3 ‰; Δ15N: 3,4 ± 1,0 ‰, C - Trueman et al., (2005b) sur le saumon atlantique: Δ13C: 2,1 ± 0,1 ‰, Δ15N: 2,1 ± 0,1 ‰, D- (Sweeting et al., 2007a; Sweeting et al., 2007b): Δ13C: 1,7 ± 1,1, Δ15N: 3,2 ± 1,3 et E - (Caut et al., 2009) sur une large variété de poissons: Δ13C: 1,01 ± 0,1 ‰, Δ15N: 3,5 ± 0,1 ‰.

L’utilisation des poissons comme support biologique au cours des « expérimentations isotopiques » fait très souvent appel à des espèces d’aquaculture, d’intérêt commercial : la truite (Oncorhyncus mykiss, Figure 33A) pour (Pinnegar and Polunin, 1999), la carpe commune (Cyprinus carpio) pour (Gaye-Siessegger et al., 2004), le saumon atlantique (Salmo solar, Figure 33C) pour (Trueman et al., 2005) ou encore le bar européen (Dicentrarchus labrax) pour (Barnes et al., 2007). Les expérimentations réalisées sur S. pilchardus sont, à ce jour, au nombre de 16. Elles se sont attachées 1) à améliorer la maintenance de ces poissons

Proie Prédateur δ13C (‰) Habitat alimentaire alimentaire δ 15 N ( ) P osition t rop h iq u e E A B C D

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en captivité (Blaxter, 1969; Iglesias and Fuentes, 2014; Marçalo et al., 2008; Moyano et al., 2014) , 2) à déterminer l’efficacité de la phase de reproduction de la sardine en captivité (Miranda et al., 1990; Olmedo et al., 1990; Pérez et al., 1992), 3) à décrire l’effet de la concentration et de la taille des proies sur leur ingestion par la sardine (Caldeira et al., 2014; Garrido et al., 2007; Silva et al., 2014) et 4) elles ont étudié le comportement de stress des poissons en situation de pêche ou de prédation (Goetz et al., 2015; Marçalo et al., 2013; Peleteiro et al., 2004). Une seule étude utilisant les isotopes stables du carbone et de l'azote a couplé son approche avec un volet expérimental. C’est l’étude de Bode et al. (2007) dont l’objectif était de décrire l’organisation trophique pélagique via les positions trophiques de la sardine, du chinchard et du maquereau le long de la péninsule ibérique. Leurs analyses se sont focalisées sur le δ15N mesuré dans le muscle blanc et sur 50 sardines qui ont été maintenues sous conditions contrôlées pendant 50 jours.

Ainsi, il apparaît qu’aucun FDT ni aucune vitesse d’incorporation n’ont été déterminés pour un petit téléostéen pélagique et c’est ce point de blocage qui sera levé dans le chapitre suivant.

Chapitre 3: « Dynamics of carbon and nitrogen stable isotope incorporation in a pelagic