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Opportunités et contraintes d’une gestion multi-échelle des petites pêcheries du Pacifique sud

CONCLUSION GENERALE

4.1 Opportunités et contraintes d’une gestion multi-échelle des petites pêcheries du Pacifique sud

4.1.1 Une gestion spatialisée, multi-échelle, par cycles d’exploitation

Bien que nos cas d’étude ne représentent qu’une partie de la diversité des conditions rencontrées en Océanie, les résultats ont montré que la gestion spatialisée et multi-échelle des pêcheries récifales par des cycles de fermetures et d’ouvertures temporaires de la pêche constitue une forme concrète d’hybridation de la gestion communautaire et gouvernementale adaptée à de nombreuses pêcheries mono- ou plurispécifiques du Pacifique. Il s’agit d’une stratégie de gestion socialement acceptée et permettant d’opérationnaliser les politiques des pêches qui promeuvent des formes de cogestion des petites pêcheries (Ruddle 1998), ce qui favorise sa persistance sur le long terme. En particulier, elle permet de concilier les perceptions hétérogènes à l’intérieur des communautés, influencées par les relations de pouvoir, les conflits sur la propriété foncière maritime, les droits d’accès et la distribution des bénéfices attendus lors de l’ouverture de la pêche (Cohen et Steenbergen 2015). Nos résultats généralisent ainsi les recherches antérieures qui encouragent les mécanismes de coopération

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entre l’administration des pêches et les populations villageoises à l’échelle de la tenure maritime communautaire (e.g., Johannes 1998a, 1998b, 2002 ; Aswani 2005).

Cette stratégie collective de gestion par cycles, comparable à des épisodes successifs de mise en jachère halieutique ou de moratoire, peut être plus facilement mise en œuvre que la plupart des institutions de gestion des ressources communes (Ostrom 1990). Plus précisément, son efficacité a été analysée selon deux modalités, comme explicité ci-dessous.

4.1.2 Contrôler l’exploitation pendant les ouvertures périodiques de la pêche

La stratégie de gestion multi-échelle par cycles a été analysée respectivement sans (Partie 1) et avec (Partie 2) limitation des captures à l’ouverture de la pêche. Dans le cas où les captures n’étaient ni contrôlées ni limitées à l’ouverture des zones à la pêche, nos résultats ont montré que l’accumulation temporaire des ressources pendant la période de fermeture était prélevée et même dépassée en un temps court à très court, en raison de l’accroissement de l’attractivité de la pêcherie pendant la période de fermeture, ce qui confirme les résultats d’autres travaux (e.g., Jupiter et al. 2012 ; Cohen et Alexander 2013). Cette durée dépend à la fois de l’accroissement de la biomasse exploitable pendant la fermeture et des capacités de pêche qui peuvent être déployées par les villages à l’ouverture. A l’échelle communautaire, cette durée était de l’ordre de quelques jours seulement dans les réserves marines temporaires ciblant les poissons récifaux et dans les pêcheries d’holothuries. A l’échelle nationale au Vanuatu, cette durée était de l’ordre de quatre mois dans le cas des pêcheries d’holothuries, qui représentent certainement un cas extrême compte tenu de la demande mondiale exacerbée sur ces espèces (cf. Partie 2). En d’autres termes, les droits territoriaux communautaires d’accès aux pêcheries, bien que limitant l’exploitation aux seuls pêcheurs des communautés, sont nettement insuffisants pour restreindre l’effort de pêche effectif à un niveau soutenable, malgré l’enthousiasme généré par l’approche communautaire des réserves marines et plus largement de la gestion des pêcheries récifales (Johannes 2002 ; Bartlett et al. 2009 ; Benbow et al. 2014).

Des restrictions spécifiques supplémentaires sont donc requises pour limiter l’effort de pêche à l’ouverture. Il est intéressant de noter que la stratégie de gestion spatialisée des pêcheries récifales par cycles d’exploitation est alors conforme aux préconisations théoriques sur la régénération des ressources : des cycles successifs de fermetures et d’ouvertures temporaires constituent en effet la dynamique de régénération la plus rapide, à condition d’ajuster l’effort de pêche et/ou les captures et de fermer la pêche avant l’effondrement des ressources pour assurer la durabilité des pêcheries (Dasgupta 1982). Cette solution peut donc fonctionner selon une logique adaptative uniquement si un suivi a minima des captures et de l’effort est effectué pendant les périodes d’ouverture successives pour évaluer l’effet de la pêche sur les ressources (e.g., captures par unité d’effort, structure en taille des espèces cibles) et permettre

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un ajustement de l’effort autorisé pendant plusieurs années, comme illustré dans la Partie 2 de ce travail. Les suivis biologiques nécessitent quant à eux des capacités financières et techniques plus élevées, et dépendent par ailleurs de contingences écologiques sur les ressources (e.g., sédentarité), ce qui limite en pratique leur application aux ressources d’invertébrés benthiques (Perry et al. 1999).

Deux options ont été mises en œuvre avec succès dans les cas d’étude : la limitation drastique de l’effort de pêche effectif (e.g., nombre de pêcheurs.jours) et/ou la limitation du total admissible des captures (TAC collectif ou individuel). En l’absence de données biologiques sur l’état des ressources, trois communautés de nos cas d’étude au Vanuatu ont empiriquement restreint de manière préventive l’effort de pêche à un jour de pêche par an dans leurs réserves marines, ou à certaines espèces de petits pélagiques, suivant une approche de précaution. Dans les cas où un suivi biologique a été développé, dans les pêcheries d’holothuries, des TAC collectifs et/ou individuels non transférables ont pu être mis en œuvre, et se sont révélés performants sur le plan biologique lorsqu’ils étaient effectivement respectés. Le coût du suivi nécessaire de l’activité de pêche pendant les périodes d’ouverture et de ses effets sur les ressources devant être relativisé par rapport à la valeur des pêcheries elles-mêmes, il s’ensuit que le suivi des pêcheries à haute valeur commerciale et les méthodes de suivi participatives doivent être envisagés en priorité, comme illustré dans ce travail (Partie 2).

4.1.3 Augmenter l’échelle de gestion

L’existence de droits de pêche territoriaux dans les communautés du Pacifique restreint de

facto l’échelle socio-spatiale de mise en œuvre de la gestion communautaire à des zones de petites dimensions (typiquement inférieures à 10-20 km²), ce qui constitue une limite intrinsèque de l’efficacité potentielle de ce mode de gestion (Foale et Manele 2004). Afin d’augmenter les impacts de telles mesures de gestion localisées, une approche multi-échelle a été explorée dans ce travail selon deux directions.

D’une part la mise en réseau de réserves marines communautaires est apparue comme une perspective de gestion innovante (chapitres 1.1 et 1.2), promue par ailleurs dans des systèmes de plus grandes dimensions (Gaines et al. 2010). Bien que les communautés villageoises aient peu de flexibilité sur la localisation et l’étendue des zones susceptibles d’être mises en réserve, en raison des contraintes de surveillance et d’acceptabilité sociale, la coopération inter-villages pourrait permettre d’optimiser ces paramètres et l’espacement entre les réserves. Ce changement d’échelle offrirait une meilleure protection à un plus grand nombre d’espèces exploitées et permettrait d’améliorer les effets des réserves sur les pêcheries récifales multi-spécifiques (Sale et al. 2005). Il vise à définir un meilleur compromis entre l’accumulation de biomasse dans les réserves marines et les bénéfices halieutiques directs (lors de l’ouverture

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des réserves) et indirects (par la capture de poissons se déplaçant hors des limites des réserves), et ainsi à améliorer l’efficacité écologique des réserves en tant qu’outil de gestion des pêcheries récifales multi-spécifiques. Plus largement, la complémentarité des règles de gestion communautaire entre villages voisins selon une approche horizontale de la gouvernance permettrait une augmentation de l’échelle de gestion et une meilleure adéquation des mesures de gestion à l’écologie des ressources, en raison de la connectivité des populations exploitées entre les territoires maritimes au stade adulte.

D’autre part, une approche verticale de la gouvernance a été expérimentée sous la forme de stratégies d’exploitation locale soutenues par les administrations des pêches. La formalisation du soutien des autorités publiques à l’élaboration et à la mise en œuvre collectives des institutions a notamment eu des effets significatifs positifs sur la performance du processus de construction institutionnelle (chapitre 2.2). Elle a reconnu et développé le rôle essentiel de ces autorités dans la construction du processus de cogestion avec les communautés locales et les autres acteurs économiques et politiques (Pomeroy et Viswanathan 2003 ; Beddington et al. 2007). L’engagement des autorités publiques a ouvert la voie à des interventions légitimes promouvant la cogestion des pêcheries dans de nombreuses localités. Les deux perspectives d’élargissement de l’échelle de gestion peuvent alors été conciliées, comme illustré dans le cadre de notre expérimentation sur les pêcheries d’holothuries au Vanuatu, où les villages voisins ont notamment interagi pour diviser les TACs collectifs respectifs, définir les périodes de pêche, et négocier les prix d’achat des captures (chapitre 2.2).

Dans notre étude, les modalités de la gestion multi-échelles par une mosaïque de zones gérées localement et/ou des interactions verticales entre les niveaux de gouvernance étaient spécifiques au contexte des pêcheries. Elles font l’objet de la section suivante.

4.2 Les processus du développement institutionnel dans la gouvernance des