1) Notre démarche de recherche-action dans neuf cas d’étude du Pacifique sud a permis d’examiner empiriquement les conditions de développement d’institutions de cogestion par des interventions publiques dans des petites pêcheries. Les effets de notre expérimentation adaptative et multi-échelle sur la dynamique de la gouvernance de petites pêcheries d’holothuries ont été évalués par un cadre d’analyse multidimensionnel en fonction des contingences internes et externes, conformément au modèle causal théorique posé en introduction. Les résultats mettent en évidence que l’expérimentation adaptative est une voie prometteuse à la fois pour comprendre les dynamiques de coopération et pour contribuer à rendre durables des régimes de cogestion des petites pêcheries. Ces résultats sont discutés plus avant ci-dessous.
2) L’un des résultats les plus marquants est la similitude des changements diagnostiqués du profil de gouvernance entre les cas au cours des trois à cinq premières années de l’intervention. Un support documentaire a été réalisé pour faciliter le transfert de cette expérience entre les cas d’étude (https://nouvelle-caledonie.ird.fr/science-en-partage/videos-canal-ird/dans-un-esprit-de-cogestion). Pendant cette période de construction institutionnelle, l’intervention a agi sur de nombreux médiateurs et résultats. La recherche-action a permis d’identifier empiriquement les facteurs-clés du processus de coopération et de création institutionnelle, et leurs interactions. Les facteurs-clés instrumentaux étaient les suivants : (i) connaissance individuelle du fonctionnement dynamique du système halieutique et des bénéfices de la mise en œuvre des institutions ; (ii) développement des capacités techniques (bases de données, méthode d’évaluation statistique appropriées, maîtrise des outils informatiques) et d’action (suivis participatifs biologiques et halieutiques, moyens financiers appropriés) des acteurs locaux et publics ; (iii) définition conjointe des institutions par les acteurs locaux et privés et les autorités publiques qui les soutiennent par des réglementations officielles ; (iv) capacités de faire respecter les règles par autocontrôle des pêcheurs et/ou par les autorités publiques ; et (v) développement d’une organisation permettant des discussions et des décisions collectives au niveau local et des administrations. Les facteurs-clés interactionnels étaient les suivants : (vi) consensus tacite sur une stratégie collective à adopter, dû au soutien par l’intervention des autorités publiques et aux perceptions locales partagées sur la faiblesse des ressources relativement au niveau des années précédentes ; et (vii) apprentissage collectif grâce aux actions collaboratives et aux échanges réguliers de suivi du système, qui ont développé les relations de confiance et des responsabilités partagées. Enfin (viii) les résultats mesurés (changement comportemental, évolution de la densité de biomasse des ressources à haute valeur commerciale, captures relatives), positifs dans chaque cas, ont permis de renforcer les facteurs précédents.
3) La performance institutionnelle globale des systèmes halieutiques a ainsi été augmentée à court terme dans chaque cas d’étude. Spécifiquement, ce résultat montre que la recherche-action est une approche holistique qui peut contribuer efficacement à améliorer en pratique la performance de la gouvernance des petites pêcheries en trois à cinq années, alors que celles-ci
147
étaient régulièrement surexploitées auparavant. Couplée au développement d’un cadre d’évaluation des impacts des interventions, la recherche-action, s’est avérée être également une approche expérimentale pertinente pour analyser la dynamique du changement institutionnel dans les petites pêcheries.
4) Les valeurs des critères de gouvernance impactés positivement par l’intervention n’ont pas augmenté dans un ordre prédéterminé. L’évolution de la performance de la gouvernance a suivi des trajectoires temporelles spécifiques suivant les cas. La structure et la dynamique de la construction institutionnelle ont été adaptées au contexte de manière opportuniste, en profitant des fenêtres d’opportunités et en répondant aux inévitables changements imprévus (e.g., Blyhte et al. 2017). Ces trajectoires des profils de gouvernance des cas d’étude ont été suivies sur une période suffisamment longue pour analyser opportunément la réponse des institutions à des stress multiples. Ceux-ci ont parfois dépassé les capacités de gouvernance du système, comme documenté dans d’autres pêcheries d’holothuries (Kaplan-Hallam et al. 2017).
5) Spécifiquement, la méthode d’analyse des trajectoires temporelles s’est montrée pertinente pour étudier la durabilité des institutions. Celle-ci a été évaluée à travers les capacités d’adaptation et de résilience de la gouvernance dans les cas d’étude. Nous avons constaté que malgré des effets positifs à court terme, les interventions n’avaient pas systématiquement permis de constituer des capacités de cogestion suffisamment robustes pour supporter et/ou s’adapter aux effets combinés et/ou interactifs de quatre principaux types de perturbations le plus souvent imprévisibles :
i) l’intervention de recherche-action elle-même, visant à développer un mode de cogestion des pêcheries, a transformé les interactions existantes de l’arène sociale ;
ii) l’augmentation des ressources à haute valeur commerciale, suite à l’intervention, a eu des effets interactifs et cumulatifs indésirables et imprévus sur le processus de construction institutionnel dans un contexte d’économie mondialisée. D’une part en apportant une solution au problème de surexploitation, la situation de crise des pêcheries qui avait justifié l’expérimentation a par définition été temporairement résolue, ce qui a entrainé des stratégies individuelles divergentes. D’autre part l’augmentation consécutive des rendements de pêche individuels s’est répercutée sur les coûts d’opportunité des institutions et les bénéfices attendus du non respect de ces institutions. Ces effets pourraient être appelés « le prix du succès » et ont encouragé une surexploitation des ressources d’holothuries ;
iii) une crise environnementale et socioéconomique imprévisible et à grande échelle a entraîné au Vanuatu un intérêt exceptionnel des communautés littorales pour la pêcherie d’holothuries. Cet événement a constitué une contingence externe brusque et très forte ;
iv) des changements administratifs à la direction du service des pêches ont diminué les capacités de gouvernance au Vanuatu et en Nouvelle-Calédonie. Quatre facteurs interactifs étaient en cause : retrait (par changement de poste administratif) d’un acteur-clé, implication dans le dispositif de gouvernance gouvernementale d’un nouvel acteur-clé qui n’avait pas
148
participé au processus d’apprentissage, désorganisation des capacités d’action du service des pêches, et inefficacité des moyens de contrôle des restrictions de pêche mises en place.
Les impacts de ces perturbations sur le processus institutionnel ont été différents suivant les cas, en fonction des capacités de résilience plus ou moins élevées que l’intervention avaient développées.
6) Enfin, le développement institutionnel dans le cas d’étude national n’a pas évolué comme une juxtaposition de cas locaux. Les différences indiquent que des facteurs différents opèrent en fonction de l’échelle du système halieutique considérée, et que la performance institutionnelle à un niveau supérieur ne dérive pas directement de celle des niveaux inférieurs.
149