• Aucun résultat trouvé

T ONICITE , SENSORIALITE ET IDENTITE DU SUJET DOULOUREU

Dans le document Parkinson : quand la douleur fait TILT ! (Page 44-50)

SPECIFICITES DANS LA MALADIE DE PARKINSON

A. T ONICITE , SENSORIALITE ET IDENTITE DU SUJET DOULOUREU

1. Le tonus : construction du vécu corporel douloureux chez les patients atteints de la MPi

Dans la maladie de Parkinson, les douleurs sont essentiellement liées à des troubles de la régulation tonique. Or, le tonus est le fondement de la relation de l’être au monde. Lorsque la fonction du tonus ne soutient plus l’expression, l’action, le mouvement et la relation, le sujet se repli. Le corps devient douleur et souffrance. C’est le cas dans la maladie de Parkinson.

43 Tonus et proprioception : socle du schéma corporel et de l’image du corps

Le tonus dépend de notre sensibilité proprioceptive. La proprioception est une sensibilité profonde continue et inconsciente qui permet de renseigner le sujet sur son état tonique, la position et les mouvements de son organisme. La proprioception permet d’entretenir la connaissance du corps. La sensation proprioceptive, au même titre que la douleur, est, par son étymologie (proprio, proprius du latin), un sens « qui n’appartient qu’à soi, qu’on ne

partage pas avec les autres. »

Selon DAMASIO (1999) cité par BUSSCHAERT & al. (2015) (9) le sens proprioceptif informe le sujet sur son état de contraction tonique, il est « l’une des bases de l’ancrage

organique de notre identité » qui nourrit « la notion de conscience du sujet, d’intériorité et ancre le sentiment d’exister : la certitude que nous avons un corps, la certitude de son existence ».

Le tonus permet la construction d’un sentiment interne, d’une structure, d’une conscience de son corps. Il nourrit le schéma corporel et l’image du corps dans la relation à l’autre, tout au long de la vie du sujet. (WALLON, cité par AJURIAGUERRA, 1972) (19).

AJURIAGUERRA (1972) (9)(19) montre que la tonicité, la structure motrice et proprioceptive sont en lien étroit, en constante évolution tout au long de la vie, du premier au troisième âge et permettent « le premier sentiment de soi » et constituent le « sous-bassement

de l’organisation corporelle et soutien du psychisme. »

Le tonus permet au sujet de prendre conscience de son espace corporel pour pouvoir se repérer par la suite dans l’espace réel, extérieur.

Le tonus soutien de l’enveloppe corporelle, support de l’identité

Le tonus, du fait de sa dépendance au sens proprioceptif, est intimement lié à l’enveloppe corporelle et donc au sens tactile. Il soutient la tonicité de l’enveloppe corporelle et participe à la construction du moi-peau développé par ANZIEU cité par GATECEL (2015)(14). L’enveloppe corporelle permet la construction d’une intériorité et d’une individualité. Elle permet également, par sa fonction contenante, d’assurer une fonction de pare- excitation et de protection de l’intégrité du sujet.

Le tonus soutient également l’intégrité psychique du sujet. En effet, le tonus est le reflet de l’état émotionnel du sujet, de son histoire. Cette dépendance, ce lien avec l’état émotionnel constitue un ancrage de l’identité du sujet. Les attitudes, la posture en sont l’expression.

44 De ce fait, le tonus a une fonction de communication et de relation à autrui. Il permet d’informer l’autre de notre état psychique, WALLON (19)(30) définit cette fonction comme la dimension relationnelle du tonus. Le tonus soutient la communication verbale par la posture. Il informe l’interlocuteur de l’état émotionnel (conscient ou inconscient) du sujet. « Le tonus

soutient le système émotionnel, il est la chair de l’émotion ». Les émotions prennent forme dans

les manifestations posturales et les attitudes de l’individu « elles ont pour étoffe le tonus

musculaire ».

Le tonus permet la construction de l’identité du sujet dans sa dimension psychique et corporelle. Il permet également l’inscription du sujet dans les relations au monde qui l’entoure. Le tonus soutient la construction et l’actualisation du schéma corporel et de l’image du corps tout au long de la vie et du développement du sujet.

Le tonus : moyen de communication et de relation à autrui.

Les émotions prennent corps dans le tonus de l’individu (WALLON cité par AJURIAGUERRA, 1962) (19). L’expression d’une émotion constitue « un mouvement vers

l’autre », au sens de « se mouvoir » « s’émouvoir » comme le définirait JOUSSELLIN (2016)

(20) au sens En ce sens, le tonus soutient les relations.

La communication non verbale soutient les relations aux autres, les échanges, et permet un ajustement au dialogue verbal. Le tonus crée, d’une part, la séparation entre soi et l’autre, il permet l’individuation. D’autre part, il soutient le lien, les relations aux autres, puisqu’il nous permet d’être informé de l’état émotionnel de l’interlocuteur.

Le tonus dans ses différentes composantes et fonctions est le sous-bassement et le reflet du sujet dans les relations, lors des rencontres.

REICH cité par AJURIAGUERRA (1972) (19) développe la théorie de la cuirasse caractérielle, il fait le lien entre la cuirasse musculaire et la cuirasse du sujet en relation. Cette notion résume l’inscription des évènements et des émotions dans le tonus, et l’histoire du sujet, en relation, dans sa construction psychique et physique qui conditionne ses comportements, sa personnalité et sa façon de rencontrer l’autre.

Tonus et vécu corporel douloureux

Lorsque le tonus, comme dans la maladie de Parkinson, n’assure plus ses fonctions d’enveloppes, de communication et d’intégration sensorielle, lorsque l’état tonique devient

45 douloureux (dystonies, dyskinésie, hypertonie), le sujet perd son identité, ses repères corporels. La conscience corporelle est remaniée.

Les éprouvés douloureux en lien avec le tonus, sont à la fois une intrusion de l’enveloppe corporelle, mais également un levier de prise en charge en psychomotricité.

Selon LOUVEL et OMRANA (2015)(23) , l’enveloppe corporelle du sujet, selon les fonctions du moi-peau développées par ANZIEU cité par GATECEL & al. (2015)(14), doit être suffisamment souple et déformable pour intégrer une nouvelle donnée au schéma corporel et à l’image du corps. On peut faire le lien avec la douleur dans la maladie de Parkinson, les dysfonctions de la régulation tonique entrainent une hypertonie, la construction d’une enveloppe « rigide », qui ne permet plus au sujet d’entrer en relation avec le monde et ne peut plus intégrer de nouvelles informations.

De la même façon, quand la douleur se chronicise, elle prend toute la place, des tensions se surajoutent, et ne permet pas l’intégration de nouvelles expériences.

L’enveloppe corporelle du sujet douloureux chronique n’est plus suffisamment souple. Elle est liée à une expérience de rigidité. Le tonus n’assure plus sa fonction contenante, l’enveloppe est raide physiquement mais aussi psychiquement. Ce qui implique une modification du schéma corporel et de l’image du corps.

Nous venons de voir le lien entre tonus et douleur. En effet, les douleurs spécifiques de la maladie de Parkinson sont en lien avec un dysfonctionnement de la régulation tonique. Les contractures musculaires répétées deviennent douloureuses. Inversement, la douleur chronique induit par le lien émotionnel et affectif, se chronicise et entraine des tensions musculaires.

Nous venons de voir, de façon globale, à partir de quelles sensations pouvait naitre la douleur et ce que cela implique dans les réaménagements des relations du sujet. Les sensations corporelles sont altérées. Qu’en est-il de la perception de la douleur et de la perception du corps ?

2. La douleur : « un non-sens » dans l’expérience du corps selon la phénoménologie

La phénoménologie est « une méthode servant à décrire les « vécus » tels qu’ils

apparaissent à la conscience (objet, sentiment réflexion). Cette science des vécus se veut « retour aux choses même » ». (TAMMAM, 2007)(33)

46 En ce sens, la phénoménologie rejoint la psychomotricité, puisqu’elle fait du corps, et des vécus corporels, le médiateur et la base de l’expérience de soi et de soi au monde. MERLEAU-PONTY « montre l’implication et l’importance du corps ». D’après lui, « à partir

des expériences du corps se définit l’expérience au monde » (cité par LOUVEL et OMRANA,

tome 3)(23)

Et la douleur dans tout ça ? Selon TAMMAM (2007) (33), la douleur, en tant qu’expérience sensorielle (la nociception) « se rapproche des fonctions sensorielles ». La sensorialité, la fonction des cinq sens permet d’informer le sujet sur son environnement. La douleur, en tant qu’information sensorielle, aurait un rôle similaire et « permettrait comme eux,

d’augmenter les capacités d’adaptation et de survie du sujet à son milieu ». La douleur est une

expérience sensorielle subjective qui permet la construction identitaire du sujet et nourrit ses expériences corporelles. Elle intervient dans la construction du sujet dans son rapport à soi, son rapport à l’autre et au monde.

Cependant la douleur est différente des autres expériences sensorielles. Elle est, selon TAMMAM (2007) (33), une expérience « intrusive ». L’individu se construit psychiquement par l’expérience sensorielle, émotionnelle, qu’il a du monde. Lorsque le sujet est construit, qu’il est en capacité d’avoir une représentation de lui-même et de donner du sens aux expériences, les données sensorielles sont ressenties, synthétisées, perçues et représentées. Le sujet prend de la distance avec l’information perçue pour lui donner du sens, la mettre en mot. A la différence des données sensorielles qui permettent d’informer le sujet sur l’environnement après la synthèse perceptive et représentative, la douleur, « ne se donne jamais avec cette distance qui

fait l’expérience perceptive ». Elle est « une intrusion au sens de l’immanence, elle est un franchissement violent de cette distance ». Or, cette distance, nous permet de mettre du sens,

de prendre conscience des expériences, de « ne pas être acculé par lui. »

La douleur est intrusive, donc une expérience de « non-sens ». L’individu est « passif ». Elle est envahissante, d’autant plus lorsqu’elle se chronicise et perdure dans le temps. La douleur « n’est l’envers d’aucune activité, elle est passivité radicale sidération ne permettant

l’émergence d’aucune signification. » (TAMMAM, 2007)(33). Elle est un signal d’alarme, un

rappel vif de l’existence de l’enveloppe corporelle et psychique qui permet la protection du sujet.

Lorsque la douleur se chronicise, elle ne joue plus son rôle de signal d’alarme, de prévention. Le corps est subi, sa perception est altérée. Selon LOUVEL et OMRANA (2015)(23) « la douleur amène le sujet à s’interroger sur la durée et vient bouleverser son

47

rapport au temps, son image propre et amène à des aménagements questionnant le rapport à soi et aux autres. »

Le tonus, la perception corporelle du sujet, la subjectivité constituent les fondements de l’identité et permettent d’établir le socle du schéma corporel et de l’image du corps de l’individu.

La corporéité, les sensations et la perception du sujet douloureux chronique sont remaniées. De ce fait, la représentation du corps du patient, son schéma corporel, sont impactés par la douleur.

3. Le schéma corporel du patient douloureux chronique

WALLON (1959) cité par ROBERT-OUVRAY & al. (2015)(30) définit le schéma corporel comme une « expérience motrice associée à la conscience […] » qui « favorise la

constitution d’une intériorité ». « Le problème du schéma corporel n’est donc pas simplement celui des images qui le composent, il devient celui des rapports entre l’espace gestuel et l’espace des objets, celui de l’accommodation motrice au monde extérieur ». Le schéma

corporel fait le lien entre l’intériorité du sujet et les expériences du monde. Le schéma corporel est donc en lien avec la disponibilité du sujet, sa relation au monde et à lui-même.

La douleur par sa composante affectivo-émotionnelle et physiologique, entraine une modification tonique donc une modification des sensations, de la perception et de la représentation du corps, notamment dans la maladie de Parkinson.

Selon MERLEAU-PONTY, cité par GIROMINI (2015)(9) « le schéma corporel est

finalement une manière d’exprimer que mon corps est au monde ». La conscience corporelle,

les sensations et la synthèse des expériences corporelles de l’individu permet la construction d’une identité psychique, pour être en relation au monde. Le schéma corporel permet l’expression au monde.

Dans la douleur, les expériences motrices sont plus rares, car le sujet est limité dans ses mouvements. Par anticipation de la douleur (kinésiophobie) ou en lien avec la douleur elle- même (trouble de la régulation tonique). Le sujet perd ses repères corporels, spatiaux, temporaux. Il perd la connaissance de ses capacités de mouvements.

La mauvaise régulation tonique implique la perception d’un corps « subi ». Le schéma corporel dans la douleur chronique est entravé. Le schéma corporel est limité dans sa fonction

48 d’expression au monde. La douleur chronique entraine un repli sur soi, un repli dans les relations.

La douleur, comme expérience de « non-sens » est intrusive, mais participe à la structuration du sujet. Les troubles de la régulation tonique du sujet atteint de la maladie de Parkinson entraine des douleurs, rompent le sentiment de continuité entre l’état tonique et l’état émotionnel. La douleur comme expérience dans la maladie de Parkinson ne permet plus une concordance entre les informations sensorielles, toniques, émotionnelles et identitaire du sujet.

En cela, le schéma corporel est remanié. La cuirasse tonique selon REICH cité par AJURIAGUERRA (1972) (19) qui se forme dans la maladie de Parkinson ne permet pas l’intégration de nouvelles expériences. La limitation des mouvements dans la maladie de Parkinson, soutient l’appauvrissement des expériences motrices et ne permet pas une réactualisation du schéma corporel.

L’intrusion de la douleur, lorsqu’elle est chronique, rigidifie l’enveloppe corporelle. De ce fait, elle est une sensation envahissante et ne permet plus au sujet de ressentir de nouvelles expériences sensorielles, autres que la douleur. La douleur prend toute la place. Elle entraine un remaniement identitaire

L’identité toute entière du sujet est atteinte et l’expression (verbale ou non verbale) de la douleur, la plainte devient le seul moyen d’être au monde et d’entrer en relation.

Le cadre en psychomotricité par la relation qui s’établit entre le patient et le psychomotricien permet de soutenir l’accompagnement des patients douloureux chroniques. La médiation relaxation permet de proposer de nouvelles expériences sensorielles et toniques et soutiennent la réappropriation corporelle du sujet.

Dans le document Parkinson : quand la douleur fait TILT ! (Page 44-50)