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DÉCEMBRE 1961 – AUTOMNE

XII. C ONCLUSION – L A FIN DE P RÉSENCE DU CINÉMA

Jacques Lourcelles reprend la revue à son compte en 1963. Il consacre des dossiers de plus en plus précis et étoffés à ses metteurs en scène : Riccardo Freda, Joseph L. Mankiewicz, John Ford, etc. Il fait preuve d’une minutie perfectionniste et propose des biofilmographies détaillées à l’extrême, et parfois commentées par le cinéaste lui-même. Ces documents révèlent toute la précision et l’érudition de Lourcelles, et préfigurent son Dictionnaire des films de près de 2 000 pages qui paraîtra chez Laffont en 1992. Les quelques numéros qui paraissent sous sa direction sont donc à son image. Cette précision maniaque explique sans doute le ralentissement de la parution, et seules six livraisons en quatre ans. Le dynamisme se fatigue, et le projet Présence du cinéma s’essouffle dans le même mouvement.

Dans son journal de 1966, paru dans le numéro 24/25 de Présence à l’automne 1967, l’entrée du 20 décembre est titrée « Adieu au mac-mahonisme ». Lourcelles considère que les dernières années du cinéma sont des « années

noires111 », dont il retire énormément de désillusions. Mais son bilan s’éclaircit :

« En moins de dix ans néanmoins, les œuvres de 80 % des cinéastes de valeur auront été mises à leur vraie place : Lang, Walsh, Preminger, Ford, Fuller,

etc.112 ». Si pour lui durant toute cette période « le rôle de la critique aura été

quasi nul », ce n’est pas le cas du mac-mahonisme, mouvement « plus vivifiant,

plus imprévisible […] dont le rôle est aujourd’hui terminé.113 » Selon lui, la

responsabilité de la critique a changé, elle n’est plus obligée de verser dans la provocation, notamment par l’exclusivité des cinéastes qu’elle choisit de mettre dans son panthéon. Lourcelles met alors à jour des perspectives : son rôle, moins sélectif, moins spectaculaire, mais plus ingrat et laborieux, peut s’ouvrir à

111 Jacques Lourcelles, « Journal de 1966 – Adieu au mac-mahonisme », art. cit., p. 103. 112 Ibid., p. 105.

103 d’autres terrains, comme le fantastique ou le documentaire, les défricher et les évaluer, « bref, continuer, parmi tant de déceptions et de mornes soirées, à chercher obstinément les lignes de force et la perle rare ; ne rien savoir ; ne rien

prévoir114 ».

Alors que la revue était un témoin privilégié de la complexité des discours sur le cinéma de son époque dans la première période, elle en est dans sa seconde un véritablement acteur. Ce qui la singularise alors, c’est précisément le mac-mahonisme. En 1967, il s’est accompli, et la mission de Présence du

cinéma s’est achevée dans le même mouvement.

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CONCLUSION

En huit années d’existence et vingt-cinq numéros, Présence du cinéma aura cristallisé les discours et les ardeurs de son temps. Si on la mentionne aujourd’hui, c’est pour la comparer à ses consœurs, les mastodontes Cahiers du

cinéma et Positif. Force est de constater que nous avons montré qu’elle était bien

plus que cela, et que ses apports sont très importants.

Apparue comme par magie en 1959 grâce à Jean Curtelin, dans un contexte culturel saturé d’agitations, de questionnements, de bouleversements, elle n’aura pas su trouver sa juste place qui lui aurait permis de se pérenniser. Elle n’a pas cherché à lutter contre la conjoncture et elle s’est montrée poreuse et accueillante, ses colonnes devenant vite le terrain de jeu privilégié de bon nombre de discours sur le cinéma. Elle a vu passer plusieurs critiques : Kast, Delahaye, Tailleur, Wagner, Boisset, etc., c’est-à-dire des personnalités et profils très différents. Dans la cacophonie ambiante, cela n’a pas fait sa force. Elle a assisté aux querelles, aux débats, aux prises de position virulentes et provocatrices, sans vraiment y prendre part. Cela n’a pas fait ne serait-ce qu’un trait de ce qui aurait pu être son caractère. Cet éclectisme et cette instabilité ne lui ont pas permis de s’élever, mais ont couru à sa perte, ou plutôt à son abandon. Heureusement pour nous, cette première période nous est aujourd’hui très précieuse. Comme Présence porte les stigmates des batailles, elle contribue à nous donner une meilleure appréhension du cinéma et des discours de l’époque. Condamnée puis euthanasiée au début de 1961, elle renaît à la fin de la même année. Quelque mois, voilà le temps qu’il a fallu à Curtelin pour mûrir son projet et surtout prendre conscience de l’opportunité qui lui est donnée d’offrir aux jeunes mac-mahoniens une publication. Cette nouvelle vie est bien différente de l’autre. Une stabilité, un mouvement, un manifeste, une mission :

Présence du cinéma devient un acteur majeur des discours des années soixante.

105 afin de les faire découvrir aux cinéphiles. Grâce à des partis pris audacieux, parfois insolents, voire abusifs, le but de la revue est atteint. En 1967, elle peut se dissoudre en paix. Cette période nous a laissé du fil à retordre, puisque sa densité implique de l’appréhender étage après étage. Une fois cette démarche complétée, la revue nous apparaît d’une richesse immense pour comprendre le vaste de champ de l’esthétique et des théories du cinéma.

Présence du cinéma restera une revue de cinéma éclatante et fulgurante,

ANNEXES