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Spatial heterogeneity in the strength of plant-herbivore interactions under predation risk: the tale of bison foraging in wolf country

C ONCLUSION GÉNÉRALE

L'étude a montré que l'effort d'approvisionnement du bison des plaines varie de façon importante à l'intérieur de son domaine vital en fonction des coûts énergétiques encourus lors de l'approvisionnement (C), des coûts liés aux opportunités manquées (MOC) et des coûts liés au risque de prédation (P). Dans son article, Brown (1988) met en avant l'idée d’utiliser la densité de nourriture à l'abandon (GUD) pour mesurer l’intensité d'utilisation de parcelles d'alimentation par les animaux et il avance que cette valeur de GUD devrait refléter la somme des trois différents types de coûts (C, MOC et P). L'idée a été largement reprise pour expliquer les variations spatiales de l'effort d'approvisionnement de diverses espèces (Kotler et al. 1994, Altendorf et al. 2001, Hochman et Kotler 2007, Rieucau et al. 2007, Mogerman 2010) et informer sur la perception qu'ils ont de la qualité de leur habitat. Les GUDs ont aussi été utilisées dans l'optique d'étudier la perception du risque de prédation de certaines espèces animales (Kotler et al. 1994, Morris et Davidson 2000, Altendorf et al. 2001, Hochman et Kotler 2007, Rieucau et al. 2007, Hodson et al. 2010, Lemaître et al. 2010) et quelques études ont même cartographié les variations spatiales du risque de prédation (Laundré et al. 2001, Brown et Kotler 2004, Shrader et al. 2008, Abu Baker et Brown 2010, Abu Baker et Brown 2012, Iribarren et Kotler 2012). Par ailleurs, les coûts liés aux opportunités manquées ont été très peu étudiés (Rieucau et al. 2009) tandis que les coûts énergétiques encourus lors de l'approvisionnement ont été abordés par plusieurs études (Parker et al. 1984, Boertje 1985, Fancy et White 1985, Parker et al. 1996, Kie 1999, Fortin 2003, Fortin et al. 2003, Matthews 2010, Robinson et Merrill 2012), mais rarement en considérant simultanément l’influence du risque de prédation et des opportunités manquées sur l’effort d’approvisionnement. En plus de quantifier l’influence de chacun des trois types de coûts sur l’approvisionnement du bison, l’étude se base sur le comportement de bisons se nourrissant en liberté dans un système naturel. Cette approche a alors permis de révéler la complexité des décisions d’approvisionnement des herbivores en milieu naturel, tout en mettant en évidence les facteurs qui déterminent les variations spatiales dans l’intensité des relations entre le bison et les plantes.

L'EFFORT D'APPROVISIONNEMENT

L'effort d'approvisionnement du bison des plaines en hiver dans le parc national de Prince Albert peut être largement expliqué par sa recherche de forts gains énergétiques. Par exemple, l'utilisation des prés par les bisons diminuait avec l'augmentation des dépenses énergétiques encourues lors de l'alimentation et celle des coûts associés aux opportunités manquées. De plus, les décisions d'approvisionnement du bison dépendent du jeu spatial ayant lieu avec les loups. En effet, les bisons semblent être constamment en déplacement afin d'empêcher les loups de connaître leur emplacement.

L'importance des coûts liés aux dépenses énergétiques encourues lors de l'alimentation sur l'effort d'approvisionnement du bison a été révélée par une variation de cet effort selon les caractéristiques de la neige. L'équivalent en eau de la neige (snow water

equivalent; SWE) n'influençait pas la probabilité qu'un pré soit utilisé par les bisons, mais

une fois dans un pré, les bisons diminuaient leur effort d'approvisionnement suivant l'augmentation de SWE. En effet, l'aire totale des cratères ainsi que la proportion du pré couverte par les cratères diminuaient lorsque la neige était dense et profonde. Il a également été observé que la biomasse de végétation consommée dans un cratère diminuait avec l'augmentation de SWE. Ce résultat corrobore les observations d'autres études ayant souligné l’influence négative d'un couvert de neige dense et épais sur les déplacements et la recherche de nourriture du bison (Fortin 2003, Fortin et al. 2003, Fortin et Fortin 2009). Fortin (2003) a ainsi observé que les bisons tendent à creuser dans la neige et former un cratère lorsque le couvert de neige est mince et peu dense. Aussi, Schaefer et Messier (1995) ont noté un taux de coups de pattes chez les bœufs musqués qui augmentait suivant l'augmentation de l'épaisseur du couvert de neige, ce qui laissait moins de temps pour s'alimenter et demandait plus d'énergie pour se nourrir dans le cratère.

Toujours dans l'optique de maintenir de faibles dépenses énergétiques lors de l'alimentation, les bisons semblaient chercher à réduire les coûts de déplacement et à augmenter leur taux d'apport énergétique puisqu’ils se nourrissaient dans les prés de grande taille, là où la nourriture était concentrée et de grande qualité. La taille des prés est influencée par divers processus. L'activité des castors peut créer et maintenir des prés (Westbrook et al. 2011) et la colonisation de ces prés par des saules ou par d'autres arbustes

est ralentie par la consommation des semences et plantules par des herbivores (Bailey et Wroe 1974, Anderson et Bailey 1980, Taylor et al. 2012). De plus, le feu peut limiter l'envahissement des prés par des arbres et arbustes (Bailey et Wroe 1974, Anderson et Bailey 1980). En l'absence de ces processus, la taille des prés diminue, menant ainsi à une diminution graduelle de sites d'alimentation de haute qualité pour le bison.

Comme dans le cas des conditions de neige, les opportunités manquées n'ont pas influencé la probabilité qu'un pré soit utilisé, mais une fois à l'intérieur d'un pré, les bisons l'utilisaient de façon plus intensive si les Pré

Paysage

MOC étaient relativement faibles, donc lorsque la végétation du pré était de haute profitabilité par rapport à la végétation retrouvée dans l’ensemble du paysage. Il avait déjà été noté dans ce système que la présence d’une Cypéracée hautement profitable (Carex atherodes) n'influençait pas la probabilité qu'un pré soit utilisé (Fortin et al. 2003), mais les bisons restaient plus longtemps dans les prés qui offraient cette plante profitable (Fortin et al. 2003, Courant et Fortin 2012) et les utilisaient de façon plus intensive (Babin et al. 2011). L'une des particularités de notre étude est que, sachant que les opportunités manquées peuvent être définies à plusieurs niveaux (Olsson et Holmgren 1999, Stenberg et Persson 2006, Olsson et Molokwu 2007, Vickery et al. 2011, von Post et al. 2012), nous avons comparé deux points de référence pouvant être utilisés pour déterminer la qualité relative de la nourriture locale : des MOC globaux ( Parcelle

Paysage

MOC )

et des MOC locaux ( Parcelle Pré

MOC ). Les résultats obtenus montrent que les bisons ajustaient l'intensité de leur approvisionnement aux MOC à une échelle étendue ( Parcelle

Paysage

MOC ), ce qui suit l'idée générale que le temps de résidence dans un site d'alimentation devrait dépendre des gains énergétiques attendus à long terme dans le paysage (McNamara et al. 1993). Par contre, ce résultat n'est pas cohérent avec le fait que certains herbivores basent leurs décisions d'approvisionnement sur leur expérience d'échantillonnage récente (Krebs et Inman 1992, Real 1992, Fortin 2003, Wolf et al. 2009). Les bisons font partie de ces herbivores puisqu'ils ajustent l’intensité de leur approvisionnement selon les caractéristiques de la végétation rencontrée dans les derniers 2 m2 de neige qu’ils ont creusés (Fortin 2003). L'ensemble des observations sur le terrain indiquerait donc que les bisons déterminent leurs opportunités manquées à mesure qu'ils acquièrent de l'information durant la recherche de nourriture (Fortin 2003), mais qu’au fil du temps, leurs activités

d'approvisionnement mèneraient à une plus grande accumulation d'épisodes d'herbivorie dans les parcelles de végétation les plus riches du paysage. L'évaluation des opportunités manquées à plusieurs échelles spatiales est rare et mes résultats montrent comment des processus à court terme peuvent s'accumuler au fil du temps et se solder par des patrons spatiaux dans les interactions plantes-herbivores. Dans tous les cas, des opportunités manquées élevées diminuent l'intensité d'approvisionnement, comme la théorie le prédit (Brown 1988).

Contrairement à C et MOC, une relation positive entre la présence de traces de loups et l'effort d'approvisionnement des bisons a été notée. En effet, une association spatiale positive a été observée entre les loups et les bisons, suggérant ainsi que les bisons ne seraient pas disposés ou capables de se ségréguer des loups. Les bisons doivent trouver un compromis entre les gains énergétiques liés à l'approvisionnement et les coûts liés au risque de prédation (Fortin et Fortin 2009), comme c'est le cas pour les autres espèces animales (Lima et Dill 1990, Peacor et Werner 2000, Krivan et Schmitz 2004, Schmitz et al. 2004, Bell et al. 2009). Les gains possibles en valeur adaptative qui pourraient résulter de l’évitement des parcelles riches en nourriture afin de réduire le risque de prédation peuvent ne pas dépasser les coûts associés à une diminution de la valeur adaptative qui résulterait de la sélection d’un autre type de milieu (Sih 2005, Labbé 2012). Dans un tel cas, la proie devrait opter pour les sites les plus riches, même s'ils sont plus fréquemment visités par les prédateurs. La répartition spatiale des ressources alimentaires exercerait alors une certaine contrainte sur les déplacements des bisons, les empêchant de se dissocier des loups (Sih 2005). Il a déjà été observé qu'une répartition hétérogène des ressources (c.-à-d., sites riches en ressources répartis à l'intérieur d'une matrice pauvre en ressource), comme c'est le cas dans le système étudié, pouvait influencer les déplacements des animaux. La forte sélection qui s’ensuivrait augmenterait les chances d'une association spatiale positive entre les prédateurs, les proies et leurs ressources (Bell et al. 2009). En effet, dans plusieurs cas, les prédateurs comme les proies tendent à être plus abondants dans les parcelles riches en ressources, c'est-à-dire que les prédateurs et les proies sont associés positivement entre eux, de même qu’avec les ressources de la proie (Sih 1998). La cooccurrence spatiale observée indique que les loups seraient les gagnants du jeu spatial joué avec le bison (cf. Sih 2005).

Cet attrait du loup envers les sites riches en nourriture hautement profitable pour le bison pourrait refléter une réaction du loup à une proie qui est constamment en déplacement (Sih 1998, Sih 2005). En effet, la sélection des sites où les ressources alimentaires de la proie abondent peut entraîner des dépenses énergétiques inférieures à celles qui seraient encourues si le prédateur essayait de suivre une proie mobile, alors qu'il n'a que peu de connaissances quant à la localisation de cette proie (Flaxman et Lou 2009, Laundré 2010, Williams et Flaxman 2012). Dans le cas présent, cette tactique permet aux loups de visiter les mêmes prés sélectionnés par les bisons, ce qui permet aux loups de remporter le jeu spatial entre les deux espèces (Sih 1998, Sih 2005).

Les bisons peuvent toutefois utiliser d'autres tactiques pour diminuer les coûts associés au risque de prédation. Par exemple, mes résultats montrent que les bisons consomment moins de végétation à l'intérieur des cratères creusés dans les prés où des traces de loup ont été relevées. De la même façon, d'autres observations comportementales en hiver indiquent que les bisons diminuent leur sélection pour les espèces végétales hautement profitables dans les prés fortement utilisés par les loups (Fortin et Fortin 2009). Ce patron peut refléter un comportement d’approvisionnement réalisé en appréhendant une attaque : les bisons réduiraient l’attention qu’ils dédient à l'alimentation pour en réallouer une partie à la détection de la présence de loup. L'effet à long terme de l'herbivorie du bison sur la végétation locale dépendrait alors de l'accumulation des activités d'alimentation réalisées en présence versus en absence de prédateurs à un endroit donné.

De plus, il semblerait que les bisons soient impliqués dans un jeu de passe-passe avec les loups en étant constamment en déplacement. En effet, même si les bisons créaient des cratères plus larges dans les prés de grande taille, mes résultats montrent que la surface inutilisée des prés est proportionnellement supérieure dans les grands prés que dans les petits prés. Cette superficie ne devrait toutefois pas nécessairement varier avec la taille des prés, mais plutôt en fonction du taux de gains énergétiques, qui peut rester relativement constant dans le temps durant l’approvisionnement des grands herbivores (Illius et al. 1992, Fortin et al. 2004). De plus, les résultats montrent que la profitabilité de la végétation non consommée par les bisons ne varie pas avec la taille des prés, suggérant que les bisons laissaient plus de végétation hautement profitable lorsqu’ils quittaient les grands prés que

lorsqu'ils quittaient les petits. Ce résultat va à l’encontre de certains principes de la théorie d'approvisionnement optimal visant la maximisation des gains énergétiques (Charnov 1976, Stephens et Krebs 1986, Fortin et al. 2002). En effet, selon la théorie, un individu devrait se nourrir dans une parcelle aussi longtemps que la disponibilité de la ressource ne tombe pas sous un certain seuil. Toutefois, ce seuil ne semble pas être atteint dans le cas du bison. Cette dernière observation est cohérente avec de précédents résultats qui montrent que le bison consomme seulement une petite proportion de C. atherodes, une ressource hautement profitable, avant de quitter un pré (Courant et Fortin 2012). L'augmentation dans la quantité de végétation de haute profitabilité restante dans le pré avec la taille du pré indiquerait que les bisons quittent le pré trop rapidement pour maximiser leur taux de gain énergétique à long terme. Ce départ précipité des prés de grande taille peut refléter les déplacements fréquents et relativement imprévisibles qui caractérisent le jeu de passe-passe entre une proie et son prédateur (Mitchell et Lima 2002, Laundré 2010).

PERSPECTIVES

Cette étude offre une contribution scientifique originale sur les facteurs influençant l'effort d'approvisionnement des grands herbivores et donc sur les interactions plante- herbivore. En effet, elle permet d'établir un lien entre l'intensité de ce type d'interaction et l'échelle spatiale utilisée par un grand herbivore pour déterminer la qualité de sa nourriture, en plus d'identifier le jeu spatial qui prend place entre celui-ci et son prédateur, deux aspects encore peu étudiés. Néanmoins, certaines perspectives de recherche restent encore à explorer. Par exemple, il m'a été possible d'identifier le jeu spatial entre le bison et le loup, mais en hiver seulement. Labbé (2012) a trouvé qu'il y avait une variation durant l’année dans le jeu spatial entre le caribou forestier et le loup gris sur la Côte-Nord. Il est donc possible que ce soit également le cas pour le bison des plaines dans le parc national de Prince Albert, et que la stratégie anti-prédatrice qu'il adopte en hiver soit différente durant le reste de l’année. Ce même genre d'étude en automne serait particulièrement intéressant puisqu'à cette saison, les bisons font des excursions à l'extérieur du parc, sur les terres agricoles voisines. Ce problème est récurrent et peut mener à des conflits entre les bisons et les humains.

Il serait également intéressant d'étudier comment la relation entre C, MOC et P et l'effort d'approvisionnement pourrait être modulée par la taille de groupe. Nous savons que la taille de groupe peut influencer plusieurs aspects de l'écologie du bison (Fortin et Fortin 2009, Courant et Fortin 2012), que ce soit par la compétition, la perception du risque de prédation et l'apport d'informations sociales sur la répartition des ressources. De telles études permettraient de mieux comprendre la perception que le bison a de son habitat, offrant ainsi une information utile à la gestion de la population du parc national de Prince Albert en clarifiant ce que l’espèce recherche au cours de ses déplacements.

Il est important toutefois de préciser que le fait que la taille de groupe n'a pas été prise en compte dans mon étude ne l'invalide pas pour autant. En effet, plusieurs des résultats obtenus ne semblent pas être influencés par la taille de groupe, telle que la probabilité qu'un pré soit utilisé par les bisons et la cooccurrence entre les loups et les bisons dans les mêmes sites. En effet, puisque la présence d’un seul cratère signifie que le pré est considéré comme ayant été utilisé, le nombre d’individus devrait avoir peu d’impact sur les résultats de cette analyse. Ensuite, le résultat de la cooccurrence loup-bison ressort dans plusieurs analyses. Ces analyses se basant également sur l'existence d'un seul signe de présence des bisons à un site (p. ex., présence d'un seul cratère ou présence d'une localisation GPS), le résultat de cooccurrence spatiale semble également être robuste.

La biomasse de végétation consommée en moyenne dans un cratère (en g/m2) pourrait être influencée par la taille de groupe (Fortin et Fortin 2009), mais cet effet serait simplement additif à ceux observés des divers types de coûts étudiés (C, MOC et P). En effet, les études réalisées indiquent que le bison fait des choix alimentaires qui maximisent ses gains énergétiques rapides, peu importe la taille de groupe (Fortin et al. 2002, Fortin et al. 2003, Fortin et Fortin 2009, Courant et Fortin 2010, Babin et al. 2011, Courant et Fortin 2012b, Courant et Fortin 2012a), la taille de groupe ayant simplement un effet additif aux autres relations observées (Fortin et Fortin 2009, Courant et Fortin 2012). L’aire totale couverte par les cratères dans un pré est également une relation susceptible d’être influencée par la taille de groupe. Néanmoins, mes conclusions devraient être robustes aux variations possibles de cette variable. Par exemple, les grands groupes demeurent plus longtemps dans les prés (Fortin et al. 2009) et sont plus susceptibles d’être retrouvés dans

un grand pré que dans un petit pré. Sur cette base, on pourrait s’attendre à ce que les grands prés soient utilisés d’une façon plus intensive (c.-à-d., surface inutilisée des prés proportionnellement plus petite) que les petits prés. Mes résultats montrent toutefois le contraire, en plus de montrer que les bisons laissent plus de nourriture dans les grands prés que ce que la théorie prédit, représentant un départ relativement hâtif et appuyant la thèse du jeu de passe-passe entre les bisons et les loups. Ainsi, considérer la taille de groupe dans l'étude n'aurait probablement pas changé la direction des relations observées, mais aurait certainement permis de comprendre encore mieux les relations bison-plante en milieu naturel.

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