CHAPITRE 3 : ALLAITEMENT MATERNEL ET NEURODÉVELOPPEMENT 3.5 D ISCUSSION 3.5.2 C OMPARAISON À LA LITTÉRATURE EXISTANTE Cette étude a permis d’apporter des données descriptives très précises sur la pratique de l’allaitement maternel dans une population française, bien que l’étude EDEN n’en soit pas représentative. En effet, il existe peu de données sur l’allaitement maternel en France, hormis celles issues des enquêtes nationales périnatales. Ces études transversales répétées ont montré que le nombre d’enfants allaités après la naissance est passé de 52 % en 1995 à 62 % en 2003. Le taux d’allaitement maternel exclusif à la maternité était passé de 41 % à 55 % sur la même période (Blondel et al., 2012). Dans l’étude EDEN, dont le recrutement a commencé en 2003, ces taux étaient plus élevés d’environ 11 % : 73 % des enfants étaient allaités après la naissance, et 66 % l’étaient de manière exclusive. Selon la récente étude Épifane représentative de la population des femmes accouchant en France, ces taux étaient respectivement de 69 % et 60 % en 2012 (Salanave et al., 2012), ce qui reste en deçà de ce que l’on observe dans d’autres pays d’Europe (Cattaneo et al., 2010). Les données issues des enquêtes nationales périnatales sur les taux d’initiation à l’allaitement maternel à la maternité durant les dernières sortie de la maternité. L’étude Épifane a montré qu’en 2012, 54 % des enfants étaient allaités à l’âge d’1 mois, et 35 % ne recevaient rien d’autre que du lait maternel. Dans l’étude EDEN, ces taux étaient légèrement plus élevés que dans la population française, respectivement 61 et 43 %. Aucune donnée française n’était disponible pour l’allaitement à l’âge de 6 mois, mais avec 6 % d’enfants EDEN allaités exclusivement à cet âge, la population française se situerait parmi les pays d’Europe respectant le moins les recommandations de l’OMS et de l’UNICEF (Cattaneo et al., 2010, World Health Organization et UNICEF, 2009). En résumé, le taux d’initiation et la durée d’allaitement maternel dans l’étude EDEN étaient plus élevées que dans la population des mères de nourrissons en France, mais restaient néanmoins plus bas que dans la majorité des pays européens, confirmant l’existence d’un contexte français particulier vis-à-vis de l’allaitement maternel. Dans l’étude EDEN, les enfants allaités obtenaient des scores plus élevés aux trois évaluations du neurodéveloppement par questionnaires parentaux (DM-2, CDI-2 et ASQ-3), que les enfants non allaités. Ces résultats étaient confirmés avec certaines des mesures réalisées par les psychologues à 3 ans et allaient dans le sens de la littérature (Anderson et al., 1999). Chez les enfants allaités, l’utilisation en continu des variables de durée d’allaitement maternel montrait une association positive avec les trois scores d’évaluation par questionnaires parentaux, et cette association positive était plus forte en considérant la durée d’allaitement maternel exclusif. Les lissages par B-splines cubiques de ces relations ont permis de les représenter sans faire d’hypothèse a priori quant à leurs allures potentielles. Une seule étude avait préalablement entrepris ce type de modélisations de la relation entre durée d’allaitement et neurodéveloppement. Leurs auteurs avaient montré qu’à partir de 9 mois d’allaitement, la durée d’allaitement maternel n’était plus associée positivement au QI d’enfants de 5,5 ans (Clark et al., 2006). D’autres études avaient cependant constaté, via la catégorisation de la durée d’allaitement maternel, un infléchissement de la relation au-delà de 6 à 9 mois d’allaitement maternel (Hoefer et Hardy, 1929, McCrory et Murray, 2012, Quigley et al., 2012a). Dans l’étude EDEN, un infléchissement a été constaté avec le DM-2 et le CDI-2 au-delà de 6 mois d’allaitement maternel exclusif. Cependant, il est possible que cela soit plutôt provoqué par un lissage imprécis, en raison de la faiblesse des effectifs allaités après 6 mois, ainsi que du caractère discret de la variable d’allaitement maternel exclusif, puisque les lissages avec la variable de durée totale d’allaitement maternel – moins discrète –, ne montraient aucun infléchissement. La diminution du nombre de nœuds dans les lissages tendait également à faire disparaitre ces fluctuations non monotones. Une étude a par ailleurs montré que les enfants allaités plus de 6 mois avaient de meilleurs résultats scolaires à 10 ans que les enfants allaités moins de 6 mois (Oddy et al., 2011a). Enfin, les tests d’écart à la linéarité n’ont pas rejeté la linéarité de la relation. L’ensemble de ces résultats avec les mesures par questionnaires parentaux à 2 et 3 ans suggérait une relation dose-effet, ce qui avait jusqu’alors été peu étudié avec des données sur l’allaitement maternel aussi précises. Plus récemment, les résultats d’une étude portant sur la cohorte Project Viva ont aussi suggéré une relation dose-effet (Belfort et al., 2013). Cependant dans l’étude EDEN, aucune association n’a été trouvée entre la durée d’allaitement maternel et les mesures du neurodéveloppement réalisées par les psychologues à 3 ans. Plusieurs hypothèses pourraient expliquer cette discordance dans les résultats. Tout d’abord, les mesures lors de l’examen neuropsychologique ne concernaient pas les mêmes aspects du développement de l’enfant que les mesures par questionnaires parentaux. À titre d’exemple, le CDI-2 est une mesure de la production spontanée de mots, tandis que les évaluations du langage à 3 ans font intervenir la compréhension du langage, la dénomination, la mémoire à court terme et la fluence verbale. La construction des scores pourrait aussi être une explication à la discordance des résultats : les évaluations par les psychologues à 3 ans étaient des épreuves issues de batteries d’évaluation plus larges. Les scores qui en résultaient n’étaient peut-être pas suffisamment discriminants pour détecter des différences de neurodéveloppement entre des enfants allaités plus ou moins longtemps, tandis que les questionnaires parentaux, dont les scores étaient calculés à partir d’un nombre d’items plus élevé, ont probablement permis d’exprimer plus de variabilité interindividuelle. Une étude récente a par exemple montré une relation positive entre durée d’allaitement et QI, mais non retrouvée avec des épreuves prises isolément (Tozzi et al., 2012). Autre différence, l’âge des enfants lors des évaluations : deux des questionnaires parentaux ont été réalisés aux 2 ans des enfants, tandis que l’examen neuropsychologique a été réalisé à 3 ans. Il est possible que le potentiel effet de l’allaitement maternel, et plus généralement des expositions environnementales précoces, sur le neurodéveloppement soit surpassé par d’autres facteurs environnementaux à mesure que l’âge avance. Cependant, de nombreuses études ont mis en plus âgés que dans cette étude (Oddy et al., 2003, Quigley et al., 2012a), y compris chez des adolescents (Greene et al., 1995, Horwood et Fergusson, 1998). Par ailleurs, il n’est pas exclu que les évaluations par examen neuropsychologique aient eu lieu un jour où certains enfants étaient fatigués, malades ou peu coopératifs, et que leurs performances aient été sous-estimées par rapport à leurs performances habituelles. Cependant ce cas de figure ne devait concerner qu’un nombre marginal d’enfants. Ensuite, un biais d’évaluation pourrait être introduit par la mesure du neurodéveloppement par les propres parents des enfants, contrairement aux évaluations indépendantes de la subjectivité parentale réalisées dans des conditions contrôlées par des psychologues entrainées. Au-delà de la mise en évidence d’une association positive et linéaire, il est toutefois important de relativiser la taille de l’effet. Les outils de mesure du développement cognitif et moteur ayant été peu utilisés dans d’autres études, il est difficile d’établir des comparaisons. Il est néanmoins possible de comparer la part expliquée par chacun des facteurs associés au neurodéveloppement. Le sexe, le mode de garde et la fréquence des activités mère-enfant à 2 ans étaient des facteurs prédisant mieux le neurodéveloppement que la durée d’allaitement maternel. Par exemple à l’épreuve du CDI-2, les filles prononçaient 8,7 mots de plus que les garçons, une différence équivalente à 16 mois d’allaitement maternel. La durée d’allaitement maternel expliquait 0,7 % de la variance du score au CDI-2, tandis que le sexe, le mode de garde et la fréquence des activités mère-enfant en expliquaient respectivement, 2,1 %, 2,0 % et 3,6 %. Dans le document Déterminants nutritionnels précoces du neurodéveloppement des enfants de l'étude EDEN : rôle des acides gras polyinsaturés (Page 93-96)