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Une offre de formation pléthorique mais une mobilité inexistante

V. UNE COHABITATION DE DEUX SYSTEMES

4. Une offre de formation pléthorique mais une mobilité inexistante

Graphe 7 : graphe du mot « mobilité »

Dans le graphe 7 le terme « mobilité » est fortement associé à « étudiant », « exemple », « système », « module », « mutation » et « classique ». Statistiquement, il est très peu fréquent et témoigne de la complexité introduite par la réforme.

Parmi les ouvertures promises par le MESRS pour faire accepter le système LMD il y avait aussi la possibilité pour un étudiant d'être mobile nationalement et

159 internationalement. Or, dans les faits les acteurs évoquent quelques obstacles qui contredisent la vision du MESRS.

1. La multiplication même des offres locales de formation a rendu complexes à la fois la comparabilité et la compatibilité des modules proposés. La conséquence immédiate a été de rendre pratiquement impossible toute mobilité des étudiants dans l’espace universitaire algérien. D’autre part, la lourdeur du système de gestion des inscriptions ne semble pas faciliter la procédure de transfert et de passerelles entre filières et départements.

Ainsi dans plusieurs entretiens, les interviewés ont mis en avant de nombreux cas d’étudiants n’ayant pas pu changer d’université – par exemple pour suivre leurs parents mutés professionnellement – du fait de la non compatibilité de modules validés dans leurs universités d’origine. Les étudiants qui devaient absolument changer d’université étaient obligés soit de repasser les modules « manquants », soit de refaire l'année ! Comment dès lors envisager une demande de reconnaissance au niveau international si nationalement les formations ne sont plus comparables et compatibles entre elles ?

Pour un enseignant chercheur et responsable syndical, c’est une question qui relève au fond d’une absence de politique du diplôme national :

« Politiquement, la disparition de la notion de diplôme national pose un problème de

comparabilité. Car on constate des différences de contenus dans la même université, voire dans le même département. Il y a plusieurs « LMD ». Les intitulés des Master se ressemblent, mais les contenus sont différents » (K.C., Pr, Responsable syndical,

Université Es Senia Oran).

Cette observation est d’autant plus importante que le passage au système LMD a consisté dans la plupart des situations, comme ce fut le cas lors de l’introduction de la RES en 1971, en une réduction presque mécanique des contenus – habituellement distribués pour une Licence en quatre ans – afin qu’ils « rentrent » dans un programme en trois ans. Or, pour la plupart des enseignants-chercheurs il est extrêmement difficile de réaliser le même programme – i.e. le même contenu - en ayant moins de temps alors que dans l’ancien système il était déjà rare que tout le contenu soit distribué ou terminé en fin d’année ! D’autre part, la multiplication des offres locales de formation a eu aussi pour résultat immédiat de faire disparaitre le référentiel national de la Licence et des autres diplômes.

Autrement dit, la réduction des contenus a également généré des diplômes d’université, donc des diplômes locaux et, de surcroit, qui ont souvent peu à voir avec le tissu socio- économique local. La faible mobilité, voire son inexistence peut s’apparenter à une « assignation à résidence » en quelque sorte, renvoyant de fait les étudiants à leur université de résidence afin de réduire au maximum la pression sur les universités des grands centres urbains, plus anciennes – par exemple celles d’Alger, de Constantine et

160 d’Oran -, qui ont une envergure plus nationale avec des taux d’encadrement meilleurs et dont l’offre de formation est plus variée ou plus recherchée qu’ailleurs.

2. Le second obstacle qui contredit les promesses ministérielles est européen. En effet, selon Charlier et Croché (2012), alors que « les pays initiateurs du processus

de Bologne veulent garder l’architecture des études souples et évolutives – car ils n’entendent pas renoncer à leur souveraineté – les pays du Sud qui se rallient au modèle LMD acceptent qu’il soit le plus codifié, voire le plus contraignant possible pour garantir des reconnaissances d’équivalences. Possible jeu de dupes car il est peu

plausible que les reconnaissances deviennent

automatiques, étant donné les différences de valeur des crédits et le système de compensation. Un crédit vaut de 25 à 30 heures de travail en Europe, de 20 à 25 en Afrique. Aux valeurs extrêmes, l’étudiant européen doit travailler 5400 heures pour maîtriser les compétences sanctionnées par son diplôme de premier cycle, alors que son homologue africain ne doit travailler que 3600 heures pour y arriver. La différence entre les deux est de 1800 heures, soit l’équivalent d’une année de travail d’un étudiant européen. Cet écart apparaît évidement inacceptable. La seconde raison qui interdira les reconnaissances automatiques est la trop grande générosité du système de compensation, qui peut permettre à un étudiant de réussir une année sans avoir obtenu des notes honorables dans les disciplines centrales de sa filière d’études » (p 95-96).

En Algérie, un crédit est équivalent à un volume horaire de 20 à 25 heures par semestre englobant les heures d’enseignement dispensées à l’étudiant par toutes les formes d’enseignement et les heures de travail personnel de l’étudiant (Article 7 de l’arrêté N° 137 du 20 juin 2009). De ce fait, la valeur du crédit est plus proche de la valeur européenne. Le problème qu’elle pose vient de la variabilité entre établissements128, départements et même entre les modules :

« On dit que l’Algérie a 10 catastrophes naturelles, celle-ci est la 11ème : la note de 9,99 donne 0 crédits, 10 donne 5 crédits à Mostaganem, dans d’autres Universités c’est 4.

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Dans certains établissements, pourtant fer de lance de la réforme LMD, c’est le contrôle continu lui- même qui est inexistant. Ainsi, une coorganisatrice d’un colloque international à l’Université de Constantine 1, Zineb Haroun estime que les « enseignants sont toujours dans les anciennes pratiques. On est dans le LMD, mais on continue d’évaluer dans le système classique. Pourquoi ? Parce que les enseignants n’ont pas été formés. (…) L’esprit du LMD, c’est suivre le travail de l’étudiant au quotidien, ce qui demande une évaluation formative, c’est-à-dire un suivi continu de l’étudiant. D’ailleurs, le ministère a pris conscience de ce problème. Avec la nouvelle maquette, nous avons 50% d’évaluation continue et 50% d’examens, ce qui est déjà bien. Il reste à savoir si les enseignants vont l’appliquer. Ces derniers soulèvent le problème du nombre d’étudiants, surtout lorsqu’on a 50 étudiants par groupe. Alors que l’évaluation formative demande un nombre restreint d’étudiants pour pouvoir suivre chacun à part » (Entretien dans El Watan Etudiant du 5/11/2014).

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Donc l’application n’est pas uniforme. A l’USTO, avoir 10 ou 18 donne le même nombre de crédits. Autrement dit, ils ont acquis une quantité de connaissances dans cette matière. Alors qu’à Mostaganem, la matière a 5 crédits, mais les collègues donnent 3,5 ou 4, etc., selon la moyenne. Les enseignants ne comprennent plus la logique du système. Ce qui pose des problèmes dans les délibérations. Quand on a un étudiant qui a 9,5 de moyenne et un autre qui a 9,6 , ce dernier a 2 matières à rattraper, alors que le 1er n’en a qu’une. Qui faire passer ? Il est arrivé qu’on délibère pendant 6 heures ! » (M.G., MC-B

Informatique, USTO Oran).

Un autre problème se pose également avec la note d’assiduité (ou de présence) et le coefficient très élevé accordé au rapport de stage. La note et le coefficient peuvent être qualifiés de généreux dans le cadre d’un système de compensation. Par exemple, dans un département de sciences, « le coefficient 14 attribué au mémoire permet à l’étudiant de

réussir sans avoir validé l’ensemble de ses modules. La note de présence n’est pas la note du travail fait par l’étudiant. Elle gonfle artificiellement le travail personnel »

(K.C., Pr, Responsable syndical, Université Es Senia Oran). .

Dans ces conditions comment évaluer le travail personnel de l’étudiant ? Le système LMD a institué le Contrôle Continu (CC) incluant une note d’assiduité de l’étudiant. Cependant, la variabilité des critères du système de notation rend impossible la comparabilité, donnant lieu à des délibérations interminables en particulier en l’absence de structure de concertation.

« Dans le CC il faut évaluer l’étudiant à chaque séance. C’est ainsi que ça été interprété.

D’où test de TD ou note de TD. Ce sont des « tests surprise », parfois difficiles, parfois faciles. Ce n’était pas une bonne pratique. La note de TD revient à une note de présence, non rattrapable. Certains donnaient jusqu’à 19, d’où un écart énorme en fonction des enseignants » (M.G, MC-A, Informatique, USTO).

Parmi les nombreux conflits observés ces dernières années, si l’on juge par la gravité des évènements – qui vont du blocage jusqu’à la menace de suicide collectif et public - et leur répétition à travers tout le territoire national, les plus durs sont peut-être ceux liés au système d’évaluation, en particulier aux niveaux licence et master. Certains événements ne sont pas nouveaux – mettant en cause la crédibilité même du système universitaire (Cf. Mairi, 1994) -, mais la pression des effectifs qui augmente d’année en année, amplifie les enjeux sociopolitiques liés à l’évaluation.

Derrière ce fonctionnement des établissements, se dessine non pas une logique de mobilité – nationale ou internationale, en fonction du projet d’établissement ou de celui de l’étudiant - mais une logique de flux interne soutenue par l’administration afin de réduire à la fois les coûts et la pression démographique sur l’ensemble des structures d’enseignement supérieur.

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