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Une faible attraction des étudiants étrangers et des problèmes linguistiques

V. UNE COHABITATION DE DEUX SYSTEMES

5. Une faible attraction des étudiants étrangers et des problèmes linguistiques

Dans ce paysage universitaire, une sorte de spécialisation linguistique semble s'être instaurée en Algérie. Par exemple, l'Université Abderrahmane Mira de Bejaia et l'USTHB (Alger) dispensent des enseignements en français. Ce qui lui permet d'attirer des étudiants internationaux, notamment d'Afrique francophone et du Moyen orient.

Cependant, compte tenu des possibilités existantes, l'attraction des étudiants étrangers reste plutôt limitée quantitativement : 441 étudiants étrangers à Bejaia, soit 1% de l’effectif total et 167 inscrits à l’USTHB aux niveaux licence et Master en 2010-2011, soit moins de 0,6 % de l’effectif total (Source : Annuaire statistique, N°40, p 143, MESRS, 2011). En 2012-2013, l’Université de Boumerdès129 a attiré 32 étudiants étrangers, soit 1% des effectifs inscrits alors qu’elle dispose d’une offre de formation parmi les plus variées en Algérie et couvrant quasiment tous les domaines universitaires en ST, sciences de l’ingénieur et SHS.

Signe d’une importante ouverture internationale, l’USTHB a certes depuis 2000 signé une trentaine de conventions avec des universités étrangères, dont 11 avec des universités françaises (source : www.usthb.dz, consulté le 10 juillet 2013).

Mais les difficultés linguistiques d’une partie des étudiants de cette Université des sciences et techniques, notamment en français sont telles qu’ils ne peuvent pas accéder à toutes les informations fondamentales et pas seulement les informations complémentaires aux cours magistraux et TD sans l’écriture de l’enseignant au tableau et les traductions d’articles ou d’ouvrages qu’il peut faire pour eux.

Pour de nombreux enseignants-chercheurs et enseignants, le problème est plus profond qu’il n’y parait, surtout quand on sait que certains étudiants n’ont pas eu un seul cours de français au lycée faute de professeurs, en particulier dans les wilayas du sud et de l’intérieur du pays.

« Je lui ai parlé en arabe et en effet il m’a confirmé sa totale non-maîtrise du français :

« quand vous me parlez je ne comprends rien ». Je lui ai dit « avez-vous eu le bac ? Si vous l’avez eu, vous avez eu des cours de français ». Croyez-moi je n ai pas étudié un seul jour le français, mais nous les gens du sud on nous donne systématiquement la note de 10 en français » (Interviewé d’une université, Pr d’université, région centre)

« Le problème de la langue est sérieux. Ils apprennent du primaire au lycée en arabe et

en arrivant à l’université tout bascule en français ; je connais des étudiants qui étaient brillants au lycée avec de très bonnes notes au bac. Une fois à l’Université, ils ont l’obstacle de la langue. Quand les enseignants n’arrivent pas à faire passer le message, ils utilisent le français » (Interviewée du secteur sélectif, région centre).

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Source : http://www.univ-boumerdes.dz/universit%C3%A9/universite-chiffres.html, consulté le 15/1/2015.

163 Le premier et le second segment de texte susmentionnés montrent l’ampleur de la « déconnexion » et/ou le décalage linguistique vécue par des étudiants. Dans cette situation l’étudiant est au centre d’un handicap lequel, faute de soutien en langues, ne peut qu’aller en s’accentuant et produire de l’échec.

« Tout est écrit au tableau. La plupart des enseignants que je connais écrivent au

tableau. Les étudiants demandent qu’on écrive au tableau. Mais même le recopiage est difficile notamment en 1ère année. (…) La langue est un gros handicap pour nous. On est obligé de mélanger français et arabe pour qu’ils comprennent le sens de la phrase. Je leur dit la phrase d’abord en arabe et je la redis en français. Je leur demande « Est-ce que vous comprenez que le français est important… ». Mais ils lisent sans problème en anglais. Leur gros problème c’est d’écrire et s’exprimer devant quelqu’un » (L.A.,

universitaire, Alger).

« Ce problème de langue ne se posait pas pour notre génération. Il se pose maintenant.

Quand tu es bilingue, la question ne se pose pas » (S.A., Pr universitaire, Alger).

Dans l’analyse d’un enseignant chercheur en sciences du langage le problème est de nature didactique et pédagogique. « C’est que nous sommes face à une nouvelle

génération qui a suivi son cursus scolaire totalement en langue arabe. La langue française retrouve un nouveau statut en Algérie. Après avoir été langue seconde pour une grande partie des Algériens, elle est devenue une langue carrément étrangère pour la génération de l’après-arabisation. (…) Car nous avons des élèves qui sont de véritables génies en physique ou en maths, qui échouent à l’université parce qu’ils ne maîtrisent pas l’outil de médiation qu’est le français. C’est une question d’équité. Le français n’est pas un luxe, mais une qualification » (Interview In El Watan Etudiant du 27/7/2015).

A l’UABT Tlemcen, des enseignants-chercheurs expliquent le problème linguistique par une faible mobilisation des acquis de l’enseignement de français du primaire, collège et lycée. Or, parfois le problème se pose même pour des étudiants inscrits dans un département de français et affecte les fondements mêmes de la langue. Pour une professeure de français « ce sont les mécanismes qu’ils n’ont pas. Ils viennent avec le

Bac, censés connaître le français étudié durant neuf ans, on se rend compte qu’ils sont incapables de faire la moindre phrase simple, oralement ou par écrit » (O.J.D, Pr de

français, UAB Tlemcen).

Le problème linguistique se pose également après les études, dans la recherche d’emploi, car le système économique, notamment la production fonctionne plutôt en français. Pour un Pr d’économie, il y a aussi des difficultés d’insertion car « (…) les entreprises

travaillent en français, alors que les Sciences Humaines et Sociales sont arabisées, d’où un fossé entre l’Université et l’entreprise. Les entreprises considèrent que les cadres sont inadaptés et qu’il faut du temps pour s’adapter. La plupart des annonces et offres d’emploi sont en français » (A.C., Pr d’économie, doyen de la faculté de sciences

économiques et de gestion, université de Constantine 3).

Ce problème n’étant pas nouveau, le MESRS avait lancé une opération de formation doctorale en français, dans le cadre d’une coopération avec des universités françaises depuis septembre 2002. Ce projet a démarré effectivement en 2004-2005 avec l’objectif de former 2000 enseignants-chercheurs en langue française.

164 On ne connait pas encore le bilan de cette opération au niveau national. Une des responsables actuels à l’UABT Tlemcen avait participé à ce programme en ayant fait son Magister en Algérie. Elle apporte un témoignage sur son propre parcours à partir duquel elle suggère même des pistes d’amélioration du fonctionnement de l’école doctorale : « J’ai soutenu mon doctorat en décembre 2012. J’ai fais partie de l’Ecole Doctorale

pendant six ans (6 inscriptions au doctorat). On avait trois stages : D1, D2 et D3. Un par an. (…). Personnellement le D1 ne m’a servi à rien, j’ai perdu deux ans. La 1ère

année, on m’a donné une enseignante de Paris en tant que co-encadreur. On a perdu du temps, on n’a pas eu de réunion de travail la 1ère

année en fait. On a commencé à discuter seulement la 2ème année sur le corpus, etc. Mais le travail administratif ralentit énormément la recherche. Mme O.O.D m’a beaucoup aidé (…) J’ai eu la chance de pouvoir terminer. Ce n’est pas évident. On a le problème de la documentation. C’est énorme. J’ai la chance d’avoir mes parents à Aix. Donc je partais même sans stage. Avant de partir je prenais ma bibliographie toute prête. Dès que j’arrivais je ne perdais pas de temps et je revenais avec de la documentation. Par rapport à des collègues qui attendaient les stages, j’ai eu de la chance. Il y avait 10 à 15 jours maximum par stage. C’est très peu. Il faudrait avoir des contacts préalables par mail, comme ça on part avec quelque chose. Pour le D1 j’étais un peu perdu. Il faudrait le mettre en D2, quand le doctorant sait déjà ce qu’il faut faire – c’est-à-dire avec une problématique » (R.B., MC

de français, responsable du département de français, UAB Tlemcen).

Mais de manière générale l'expérience de l'école doctorale est relativement récente en Algérie. Dans l'exposé des motifs, le MESRS estime que celle-ci « est le fruit de la solidarité et du partenariat entre les universités nationales. Elle recouvre le magister (Master 1 + Master 2) et le doctorat ». Dans le cadre de la réforme LMD, en principe une école doctorale a vocation à prendre en charge l’avant-garde de la réforme. Elle fédère plusieurs équipes de recherche appartenant à plusieurs disciplines en vue de missions essentielles à remplir dans le cadre de la politique scientifique d'une Université ou d'un campus universitaire ; elle apporte d'abord un soutien et des services aux doctorants ; mais elle joue également un rôle important dans le rapprochement et les échanges entre équipes ou laboratoires qui font évoluer une politique scientifique de site universitaire. Evoluant dans un contexte euro-méditerranéen, les chercheurs et doctorants algériens devraient pouvoir s'insérer à plus ou moins long terme dans les réseaux R&D européens. Reste à savoir si des chercheurs et des enseignants-chercheurs n’ayant quasiment pas d’autonomie ni de moyens suffisants, dans un contexte national très bureaucratique et en l’absence de projets d’établissements, peuvent gérer les structures dédiées à la formation doctorale, la recherche et l'innovation en répondant à des appels d’offres européens orientés vers la R et D ?

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