• Aucun résultat trouvé

La production scientifique africaine, notamment celle des pays d’Afrique francophone subsaharienne, n’a toujours pas atteint un niveau de développement appréciable malgré les efforts notés depuis quelques décennies. Selon le Centre Régional Africain de Technologie, même si la population africaine représente, aujourd’hui, près de 14,8% de la population mondiale, sa part de la production scientifique ne dépasse guère le 1% (l’Institut Marocain de l’Information Scientifique et Technique [IMIST], 2012). Nous entendons ici par production scientifique d’un pays, le nombre de publications parues dans les revues scientifiques internationales indexées et à comité de lecture. Selon l’Académie Hassan II des sciences et techniques, elle englobe également les travaux sanctionnés par l’édition d’ouvrages scientifiques de valeur, ainsi que les brevets d’invention déposés au niveau international.

A cet égard, les pays d’Afrique francophone subsaharienne sont caractérisés par une masse critique faible en production scientifique. Toutefois, ces pays ont pris conscience de l’importance de la recherche et de la production scientifique dans le développement des pays et ont pris d’importantes initiatives.

4.1-Organisation

Les Etats africains ont donné un signal fort avec la création de ministères en charge de la recherche scientifique et de l’innovation, de Ministères de l’Enseignement Supérieur et de la recherche (MESR) et des Centres Nationaux de Documentation Scientifique et Technique (CNDST) qui sont des structures de référence. Ces structures se retrouvent au Sénégal, en Côte-d'Ivoire, au Mali au Niger, au Bénin, au Togo et au Burkina depuis les années 1970. Cependant, le financement de la recherche constitue un problème majeur pour ces pays en développement, où les vrais enjeux de la recherche ne sont pas forcément bien perçus par l’opinion publique. Celle-ci reste pourtant un impératif de développement49. Conscients de cette réalité, les pouvoirs publics, au fur et à mesure que s’affirme la politique scientifique des Etats, accordent des subventions aux chercheurs bien que cela soit insuffisant.

4.2-Moyens Financiers

L’insuffisance de moyens rend difficile la production des chercheurs qui sont confrontés à de réelles difficultés de publications. Toutefois, il faut noter l’apport considérable fourni par l’aide étrangère sur laquelle repose le financement de la recherche africaine même si, celui-ci est souvent orienté vers des travaux de recherche, dans les secteurs qui intéressent la coopération internationale. Dans certains pays africains, l'aide étrangère peut atteindre jusqu'à 70 % ou plus du budget national de recherche (Gaillard & WAAST, 1986). Au Sénégal une étude récente (Sall, 2017) a montré que l’essentiel des fonds de recherche compétitifs de l’UCAD provient de l’extérieur. Il s’agit d’appels d’offres de financement

127

lancés par les pays développés ou les organismes internationaux auxquels les enseignants chercheurs et les chercheurs de l’UCAD s’associent avec leurs pairs en général, des universités du Nord pour s’engager dans la compétition.

Ainsi, le rôle joué par les partenariats constitue un atout majeur qui participe au développement de la production scientifique en Afrique. A cet égard, la Côte d’Ivoire en fournit un bel exemple à travers le partenariat mené entre le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et les laboratoires ivoiriens. Ceci a permis de recenser 128 publications en 2009, faisant de ce pays le 18e pays africain pour la production scientifique50.

Par ailleurs, les éditions africaines confrontées à de sérieux problèmes de moyens rencontrent des difficultés pour assurer leur travail.

Au Sénégal, les presses universitaires de Dakar qui devraient assurer la publication des enseignants manquent de moyens financiers également, en conséquence ils ne publient que très peu de documents.

4.3-Supports Institutionnels

A ces problèmes de financement s’ajoute le manque de support institutionnel (revues par exemple), ce que tous les enseignants déplorent. Cette situation a pour conséquence une faible production locale caractérisée par le manque de documents édités en Afrique mais également par des revues fragiles d’une périodicité souvent irrégulière. Les publications des facultés, notamment les annales, les revues des départements et des publications de renommée, pour le cas toujours du Sénégal, comme « Bulletin de l’IFAN », « Notes africaines », annales de la faculté des lettres deviennent de plus en plus irrégulières. Les monographies et les grandes collections également suivent le même sort que les revues. Il faut également souligner l’insuffisance et la faible valorisation de la production scientifique.

De fait, le défi de l’accessibilité des éditions publiées, l’absence d’espaces de publications et la modicité des ressources financières destinées aux publications constituent des facteurs bloquants pour le financement de la STI (Science, la Technologie et l’Innovation) en Afrique, comme le note le Directeur du CNDST51.

A cela s’ajoute la fuite des cerveaux qui contribue à la réduction des capacités nationales et sous régionales dans la formation des étudiants, des enseignants chercheurs pour le développement de la recherche. En ce sens, Lahdidi (2017) souligne qu’elle demeure l'une des principales problématiques qui entrave la capacité de l'Afrique à se renouveler et à innover. Il avance quelques raisons de cette migration massive des scientifiques et des experts africains qualifiés relatives à la faible rémunération, au manque d'équipements de recherche, à la préférence accordée aux consultants étrangers en raison des mécanismes de financement bilatéraux et multilatéraux décourageant les experts nationaux qualifiés et les incitant au départ.

50 http://www.cnrs.fr/derci/spip.php?article114

128

En outre, le problème de la massification des universités qui provoque une surcharge de travail chez les enseignants ne fait qu’aggraver la situation.

Ainsi, pour mieux appréhender la situation de la production scientifique des enseignants chercheurs, nous avons essayé de voir la proportion d’articles scientifiques africains présents sur le Web à partir de web of sciences puis de Scopus afin de les confronter.

Ces bases de données sont à dominance anglophone principalement WOS, elles sont appropriées en partie pour les STM mais très peu pour les SHS qui intègrent de nombreuses revues nationales dans des langues non anglophones.

4.4 –Evolution de la production scientifique africaine

4.4.1- Analyse des données

Web of Science (WOS) et Scopus sont 2 bases de données commerciales fondamentales du même type au niveau international, qui donnent accès à, des références bibliographiques (et l’abstract pour Scopus), des références citées (références de fin d'article citées par les auteurs) et des proceedings (colloques).

En terme de couverture, la partie bibliographie du WOS couvre toutes les disciplines (sciences, sciences sociales, lettres et arts), même si les domaines "sciences dures" et médicales sont mieux représentés. Scopus par contre, est une base pluridisciplinaire et offre une couverture plus large avec plus d'exhaustivité surtout dans les domaines de l'ingénierie, plus riche dans la partie SHS (titres CAIRN) et ne se limite pas aux revues anglo-saxonnes.

Ces bases de données regroupent des données scientifiques issues du monde entier dans le but d’en faciliter leur utilisation.

 Web of Sciences

Web of Sciences constitue l’une des plus importantes bases de données universitaires. Elle présente la littérature scientifique mondiale avec un contenu diversifié. L’ensemble du contenu est constitué du dépouillement de plus de 10 000 périodiques et de plus de 110 000 actes de conférences. Cette base de données est largement utilisée dans les universités des pays du Nord et rarement dans celles d’Afrique pour faute de moyens liés au coût de l’abonnement.

Le graphique ci-dessous indique la production mondiale d’articles scientifiques (toutes disciplines confondues) pour le compte de l’année 2015.

129

Figure 1: Production mondiale d’articles scientifiques en 2015 Source : Web of Sciences fourni par Mboa Nkoudou (2016)52

On observe à travers ce graphique que l’Afrique produit moins de 1 % d’articles scientifiques du monde entier. Cette contribution africaine est partagée entre l’Afrique du Nord (44%) et l’Afrique subsaharienne (56%), mais il est important de souligner que la production en Afrique subsaharienne est largement dominée par les pays anglophones. En Effet, au niveau subsaharien, l’Afrique francophone ne produit que 2,75 % d’articles ainsi sa production est presque nulle au niveau mondial avec (0,01%). Les données recueillies dans Scopus ne viennent que confirmer cette tendance malgré les évolutions notées ces dernières années.

 Scopus

A partir du nombre de publications indexées par la principale base de données internationale Scopus, nous avons pu enregistrer quelques évolutions importantes de la production scientifique des pays africains ces dernières années. Quelques évolutions sont ainsi notées principalement depuis les années 2000 marquées par une augmentation significative du nombre de publications scientifiques. Cependant, la production est encore insuffisante vu la forte population qu’enregistrent les pays d’Afrique francophone subsaharienne qui comptent par ailleurs un faible taux de PIB compris entre 4,9 milliards (560 US$ par habitant) et 31.76 milliards (1399 US$ par habitant) selon les données fournies sur le site de la banque mondiale53.

Néanmoins, la recherche par discipline que nous avons effectuée dans Scopus révèle que les domaines de production sont très divers et la médecine qui enregistre plus de la moitié des publications domine

52 http://www.projetsoha.org/?p=1357

130

largement les autres sciences. La médecine enregistre plus de la moitié de la production totale, elle est suivie par les sciences agricoles, alors que la production des sciences sociales reste encore très faible. Une autre donnée importante est également notée avec l’analyse par affiliation qui a permis de déceler la part importante de la production issue des universités qui se placent au premier rang vu l’importance de leurs publications par rapport au nombre total des publications. Le reste de la production documentaire est fourni par les institutions de recherche. Par ailleurs, la recherche simple effectuée selon l’onglet « search » et selon l’« affiliation Name » c’est-à-dire le nom du pays, nous a permis d’obtenir le nombre total de publications pour chaque pays. Une autre recherche par « affiliation » a fourni des réponses sur les institutions nous permettant ainsi de voir les institutions qui publient le plus dans un pays donné, cependant, nous nous sommes limités aux 3 premières institutions. C’est ainsi que nous avons pu recueillir dans Scopus54 (en Août 2017) le nombre de publications indexées pour les pays d’Afrique francophone subsaharienne.

La Côte d’Ivoire enregistre 4572 documents dont, 2469 publications en médecine soit plus de la moitié des publications du pays, là où les sciences sociales n’enregistrent que 139 publications. L’analyse par affiliation révèle une répartition en faveur de l’université de Cocody qui occupe la première place 467 publications suivie du centre hospitalier universitaire 413 documents et l’INSERM 265 documents (cf. Figure 2).

Figure 2: Evolution de la production scientifique en Côte d’Ivoire

Source : Scopus 2017

131

Au Mali les pouvoirs publics multiplient les initiatives et les actions pour booster les institutions de recherche. A cet effet, le Fonds compétitif pour la recherche et l’innovation Technologique (FCRIT) a été officiellement lancé en 2011. Cependant, l’analyse des données fournies par Scopus révèle une production scientifique encore faible (1731 publications) entre 1973 et 2017 dont 1124 publications en médecine, ce qui montre encore la prédominance des sciences médicales par rapport aux sciences sociales qui n’enregistrent que 72 publications.

En outre, la production qui était de 96 publications en 2010 est passée à 100 en 2016 bien que ce nombre soit toujours insuffisant.

Figure 3 : Production scientifique par affiliation (institutions) au Mali

Source : Scopus 2017

Ici également la présence des universités est remarquable, l’Université de Bamako et la Faculté de Médicine, de Pharmacie et d’odontostomatologie de l’Université de Bamako occupe la première place avec 407 publications recensées dans chacune d’elle puis l’Institut National de Recherche en Santé Publique ,189 publications.

Au Bénin la recherche scientifique est peu développée et on note une situation alarmante selon le diagnostic fait par la ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique. Elle révèle que les structures universitaires béninoises sont sous-équipées et peu organisées pour participer à la

132

production du savoir nécessaire à la résolution des problèmes économiques et sociaux du pays. Elle note également que les quelques résultats de la recherche ne sont ni diffusés, ni valorisés55.

Toutefois, l’analyse des données recueillies dans Scopus en dit beaucoup plus. En effet, nous avons relevé 8197 publications dont 4753 en médecine, soit plus de la moitié des publications et 842 publications en sciences sociales. Les universités constituent les principaux producteurs, avec l’Université d’Abomey Calavi qui enregistre 1089 publications et l’International Institut of Tropical Agriculture Cotonou 342 publications. Cependant, on observe une évolution positive des publications entre 2009 et 2013 même si elle reste encore faible comme le montre ce graphique (Figure 4).

Figure 4: Evolution de la production scientifique au Bénin Source : Scopus 2017

Ce graphique montre nettement une importante progression des publications si l’on considère le nombre très faible de publications en 1973 (6 seulement) par rapport à celles des dernières années précisément celles de 2016 qui sont de 700 publications.

Au Burkina entre 1972 et 2017 nous avons recensé 3439 publications dont 1961 en médecine soit plus de la moitié des publications pour seulement 203 publications en sciences sociales. La production scientifique a enregistré une progression significative en 2016, soit 271 publications vu que les publications des années 1970 étaient presque inexistantes. L’analyse par affiliation montre clairement la prédominance des publications de l’Université de Ouagadougou comme le montre le graphique ci-après (cf. Figure 5).

133

Figure 5: Production scientifique par affiliation (Institution) au Burkina Faso

Au Togo, le nombre de publications référencées dans Scopus est faible, nous avons enregistré 1402 publications entre 1973 et 2017 dont 792 en médecine pour 52 publications en sciences sociales. Néanmoins, la situation s’est un peu améliorée vers les années 2010, où nous avons enregistré 64 publications, jusqu’en 2016 où le Togo compte 121 publications. La figure 6 permet d’y voir clair et d’observer ces évolutions.

Figure 6: Evolution de la production scientifique au Togo Source : Scopus 2017

134

L’analyse par affiliation révèle que les publications de l’Université de Lomé viennent en tête avec 756 documents produits, suivie du Centre hospitalier universitaire 705 et du Centre national de la recherche scientifique 54 publications.

La situation au Niger (figure 7) est marquée par la prédominance des publications dans le domaine de l’agriculture contrairement aux autres pays. Entre 1975 et 2017, 2537 publications sont enregistrées dont 762 dans le domaine de l’agriculture, 658 en médecine et 434 en sciences sociales.

L’Université Abdou Moumouni de Niamey, avec 445 publications, suivie de l’Hôpital National de Niamey avec 96 publications. L’évolution des publications a été marquante, d’une seule publication en 1975, le Niger est passé à 153 publications en 2017, bien qu’il y ait eu des années de recul entre temps, comme le montre le graphique ci-dessous.

Figure 7: Evolution de la production scientifique au Niger

Concernant le Sénégal, de 1959 à nos jours, 8653 publications ont été enregistrées dont 4544 en médecine pour seulement 387 en sciences sociales. La même situation se retrouve ici également marquée par la prédominance de l’UCAD qui enregistre 3780 publications, suivie de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) 1425, puis du Centre Hospitalier universitaire Dakar 1095.Tout comme les autres pays en 1970 le Sénégal ne comptait que 6 publications référencées, la production scientifique totale indexée est passée à 545 références en 2016. Une évolution importante a

135

été ainsi notée bien qu’il y ait eu des années où les publications étaient très faibles comme l’illustre la figure 8.

Figure 8: Evolution de la production scientifique du Sénégal Source : Scopus, 2017

On constate, d’après cette analyse que le Sénégal, en nombre absolu, arrive en tête par le nombre de publications enregistrées, suivi de près par le Bénin qui arrive en deuxième position. Ils sont suivis par la Côte d’Ivoire puis le Burkina qui devance le Niger, le Mali et le Togo arrivent en dernière position. Ces résultats, comparés aux résultats des pays d’Afrique anglophone sont très faibles. Le Nigéria compte à lui seul 93164 publications indexées, soit dix fois plus que le Sénégal. Le Ghana enregistre 15132 publications, ce qui constitue le double de la production du Bénin pour ne citer que ces quelques exemples.

4.5-Conclusion Partielle

On constate d’après cette analyse une progression remarquable de la production scientifique des pays d’Afrique francophone subsaharienne. Cependant, elle reste encore très faible quand on la compare à la production des pays d’Afrique anglophone, puis à celle des pays développés, telle que la France qui enregistre une production énorme de 1 272 267 publications dans Scopus. Les données issues de l’analyse de la production africaine dans Scopus nous ont permis de totaliser les publications pour ces 7 pays d’Afrique subsaharienne présentés soit, 23 837 publications en 2017 pour l’ensemble, ce qui

136

correspond à la production de la France des années 1995 (20311) et 1996 (25071). Ces résultats confirment ceux du Web of Sciences qui révèlent une production presque nulle des Africains (0,1%). On observe également, qu’en Afrique les universités produisent beaucoup plus de documents que les autres institutions, cela s’explique par la volonté des Etats de propulser la recherche en accordant des financements aux chercheurs bien que ces financements soient encore très faibles. Mais également, des actions de coopération et de partenariat avec des institutions des pays développés, tels que le CNRS ont beaucoup contribué au développement des publications à travers notamment des co-publications.

Par ailleurs, le manque de supports de diffusion constitue des facteurs de blocage qui freinent considérablement la visibilité de la production scientifique locale notamment en SHS. Cependant, de nos jours, on constate que les coûts relatifs à la production ont considérablement baissé avec les avancées technologiques dans le domaine du numérique et Internet, ce qui rend possible la diffusion de l’information scientifique et technique. Toutefois, on remarque que les enseignants chercheurs ne profitent pas assez des avantages liés au numérique et à Internet et continuent de brandir l’excuse de manque de financement et de support de diffusion comme cause de la faible production. Un enjeu est donc de valoriser la production locale par les archives ouvertes, afin de la rendre visible et accessible à tous.

137

Deuxième Partie - Usage de l’information numérique

138